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La mort était morte de rire (Attentats Paris 2015)

par Marie-José Sibille

publié dans Cette société - c'est la notre !

                                                  La mort était morte de rire

                                                       Attentats Paris 2015
 

En empathie avec toutes les familles de toutes les victimes du terrorisme, de la guerre, des  criminels climatiques, à Paris, en Russie, au Liban, et partout sur la Terre.


Il y a des personnes qui coupent les vers de terre en plusieurs morceaux. Je les ai vus ces garçons plus si jeunes, rire aux éclats en regardant se tortiller les bouts de vie sur le bitume.
J'en ai vu d'autres, des hommes déjà, essayant de démembrer un crabe vivant sur la plage, toujours riant, riant, jusqu'à ce que je leur fonce dessus pour leur demander d'arrêter. Et là, les yeux baissés comme des enfants pris en faute. Sûrement vite oublié. J'aurai sauvé un crabe.
Les crabes, mon grand-père les plongeait vivants dans une grande bassine d'eau bouillante, je revoie l'image comme si c'était hier. Il me disait que ça ne les faisait pas souffrir. Parce qu'il ne sentait pas leur souffrance.
Et il y a ce paysan débonnaire que je croise la semaine dernière dans le champ à côté de chez moi, armé d'un fusil à double canon pointé vers le bas. Je m'arrête pour lui dire que je ne veux pas le voir chez moi, en gardant un ton mesuré car nous vivons dans un village de chasseurs, et tout se négocie, même l'insupportable. Il me dit en riant lui aussi : "Ne vous inquiétez pas je ne suis pas chasseur, je guette juste les taupes et quand elles pointent leur nez, je leur tire dessus, elles bousillent ma prairie". Ah bon? Tout va bien alors, ce ne sont que des taupes. Elles ne méritent pas le terme de chasseur. Alors lequel ? Nettoyeur ? 
Avez-vous déjà tenu une taupe dans vos mains ? J'ai eu cette chance quand j'étais petite. Egarée hors de son trou - un produit chimique ? - mon père me l'avait mise dans les mains avant de la reposer sur sa terre. Un univers de douceur absolue, une innocence totale, aveugle, devant faire face à la violence, tout aussi aveugle. Et les petites pattes.
La peau de taupe est telle que les dames riches d'une autre époque s'en faisaient coudre des manteaux. Huit cent peaux de taupes pour un manteau. Je fais demi-tour cinq minutes plus tard pour demander au nettoyeur de les prendre vivantes, je les mettrai chez moi. Il a disparu. Je pense que je lui ai fait peur. Je peux avoir cette violence-là.
En ce lundi de deuil national, j'achète le Sud-ouest: les victimes locales prennent un visage, des créateurs, une mère adoptante, je suis émue, l'empathie est facile quand on se voit dans le miroir. Je prends une seconde le jeune terroriste recherché pour une des victimes, je ne regarde pas assez les infos. 
Dans la même maison de la presse, toute une vitrine est réservée aux journaux des chasseurs. C'est la pleine saison. La couverture de l'un d'entre eux me sidère. Un sanglier mort ensanglanté, des chiens en train de rire, un homme la bave aux lèvres, non, excusez-moi, c'est le contraire. Ne foncez pas sur les commentaires pour insulter mes amalgames supposés. Je fais juste le constat que les mêmes zones sensibles résonnent en moi. Peut-être parce que les mêmes zones agressives sont éveillées chez ces hommes ?  
Le soir, au journal télévisé que nous regardons pour l'occasion, de jeunes terroristes à l'air très "boy next door", s'amusent en menaçant les passants. "La guerre comme un jeu", dit la commentatrice. "Je me sens un peu moins vivante" dit une toute petite fille sur France Inter, quand sa maîtresse lui demande ce qu'elle ressent. La mort ricane derrière son épaule.
Ma part de sociopathie à moi ? Ce sont les mouches.   
Je les tue. Sans rire, mais je les tue. Sans rire, mais parfois avec une seconde de jouissance, quand l'une d'entre elles m'a particulièrement ennuyée. 
Les mouches sont trop nombreuses. Multipliées et portées par le réchauffement climatique, elles envahissent mon territoire. Elles sont différentes, et donc pour moi elles se ressemblent toutes. Pourquoi ne pas les massacrer alors? Ce ne sont pas des individus. Elles ont un pouvoir de reproduction mille fois supérieur au mien. Et en plus, elles m'ont agressées les premières. Je ne fais que me défendre de leurs frappes continues. J'ai enfin trouvé mon combat.
Car bientôt sur Terre, si je ne fais rien, les mouches prendront le pouvoir. 
 

La mort était morte de rire (Attentats Paris 2015)

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LES NOURRITURES DU JEUNE. SIXIEME JOUR.

par Marie-José Sibille

publié dans Le quotidien - c'est pas banal ...

                                                    LES NOURRITURES DU JEUNE
                                                  FIN DU SIXIEME JOUR DE JEUNE



Aujourd'hui j'ai envie de ne plus manger de ma vie! C'est une telle libération, de tant d'habitudes, de temps consacré, d'heures obligées. Je n'oublie pas les moments formidables passés autour d'une table bien sûr, ni le goût du fruit mûr juste cueilli dans l'arbre et qui explose en bouche. Mais les pizzas surgelées réchauffées, les corvées de courses au supermarché? Même l'épicerie bio, voire le marché peuvent devenir une corvée quand ils deviennent obligés. Ça c'est pour les familles nombreuses dont les deux parents travaillent à l'extérieur. Mais même si vous n'avez plus ou pas encore ces contraintes, combien de vrais repas savourés dans votre semaine, et combien de peurs à l'idée que vous n'aurez pas ce moment d'apaisement ou d'effondrement après des heures socialement trop chargées ?
Le jeûne permet de se nourrir autrement. 
Depuis deux nuits, je ne rêve plus de nourriture. Je rêve de morceaux de vie non intégrés, non assumés, non assimilés. Ils demandent à être digérés puisque contrairement à la nourriture physique je ne peux les vomir. D'ailleurs, même pour les aliments, savez-vous que des déchets vieux de vingt ans traînent dans votre intestin?
Le jeûne crée un vide qui se remplit autrement. De la présence de Dieu, pour les plus religieux, de la présence de l'absent pour ceux qui font aussi du jeûne un rituel de deuil. Je l'ai encore mieux compris aujourd'hui. Le jeûne libère l'espace pour le deuil. Je me nourris de ma mère morte, je l'intègre, je l'assimile, je la reconnais en moi et peut ainsi la laisser partir. Et je renais autre dans les eaux du jeûne.
Aujourd'hui, je me suis nourrie de la lumière et de la chaleur du soleil, aujourd'hui je me suis nourrie des sons et de l'odeur de la mer.
Sur la plage, j'ai ramassé des coquillages. Je n'étais pas la seule. Des enfants en remplissaient leurs seaux, accompagnés par des grand-parents attentifs. Un couple de personnes âgées se les montraient avant de choisir, ensemble, ceux qu'ils allaient ramener chez eux. Les coquillages, ces cadeaux de la mer, sont-ils réservés aux enfants et aux personnes âgées? Sont-ils les seuls à voir leur beauté? Non. Ma mère en récoltait sur chaque plage où nous allions. Elle en achetait aussi dans les pays exotiques où elle partait parfois se réfugier. Mon père lui, creusait pour ramasser des fossiles, des dents de requin et des ammonites rejetés par des mers mortes, des mers très anciennes. Je reproduisais ainsi leur geste en me baissant jusqu'au sol pour récolter les petites coquilles vides de leurs habitants. Je n'avais pas envie de comprendre, juste de vivre ce moment. 
Puis j'ai laissé mon sac à dos sur la plage, et je suis partie me baigner. 
Je n'avais pas peur qu'il soit volé. 
Il ne contenait que des coquillages. 
 

LES NOURRITURES DU JEUNE. SIXIEME JOUR.

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