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Accompagner les familles adoptantes : dix erreurs à éviter. Erreur numéro quatre : Inventer une histoire à la place de l’enfant ou de la famille.

par Marie-José Sibille

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

Accompagner les familles adoptantes : dix erreurs à éviter.

Erreur numéro quatre : Inventer une histoire à la place de l’enfant ou de la famille.

Il est tentant de dire à l’enfant que nous accueillons en thérapie : « ta mère devait t’aimer beaucoup pour te confier à l’adoption », « tes parents, ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour que tu t’en sortes ». Ou à l’inverse : « tu as dû souffrir beaucoup là-bas ». Et « C’est parce que …, que tu as été abandonné(e)/adopté(e) », avec la confusion de langage récurrente entre abandon et adoption, ainsi que, la plupart du temps, l’ignorance et surtout le réductionnisme au sujet des causes possibles d’un abandon. Ou encore : « Mais maintenant tu es sorti d’affaire, tu es tombé sur une bonne famille … ».

Par exemple.

Le réel est impossible à réduire à une équation du premier degré : réalité concrète, comportements visibles, sensations apprises, émotions mises dans la relation, pensée et opinion, langage thérapeutique ou traumatique, empathie et jugement, notre cerveau doit faire avec tous ces éléments pour entrer en contact avec le monde, et, dans le lieu thérapeutique en particulier, avec le monde de l’autre.

La tentation est grande alors de simplifier ce réel, de combler les trous plutôt que d’apprendre à la famille à recoudre et de l’aider à repriser les déchirures de son histoire, avec ce qu’elle sent, avec ce qui est disponible dans sa réalité d’aujourd’hui.

Cette posture consistant à parler pour l’autre jusqu’à lui inventer une histoire, lui « inventer une vie » comme disent les ados, est une manière comme une autre de rester dans une position de pouvoir, dans cette position haute associée encore trop souvent en France à la relation thérapeutique. Elle s’accompagne souvent de conseils et de réponses lapidaires à des questions complexes. Cette attitude « chirurgicale » et interventionniste, qui peut sembler indispensable dans certaines situations, même les médecins urgentistes essaient de la remettre en question, certes, surtout dans les séries américaines !

Cette posture est particulièrement inadaptée en psychothérapie et en relation d’aide. Elle est à oublier, même si parfois, prises dans une habitude relationnelle face à la personne supposée savoir, les personnes ou les familles demandent elles-mêmes des conseils et des réponses simples à leur souffrance, ainsi qu’à être rassurées sur leur histoire ou celle de leur enfant.

Prenons ces demandes conventionnelles et convenues comme une manière de dire « bonjour » dans un lieu où elles n’ont pas encore leurs marques, le lieu thérapeutique.

Répondons par un autre « bonjour », un bonjour qui va ancrer la relation thérapeutique dans la sécurité affective, qui va proposer à la famille de s’appuyer sur le lieu thérapeutique pour développer ses propres ressources, et ce sans avoir besoin d’inventer des histoires, de supposer des faits, de donner des conseils qui sont autant d’aveux d’impuissance, d’apporter des réponses à des questions qui n’ont pas été posées.

Dans la pratique thérapeutique, une méthode appelée « l’Approche narrative »[1] permet de déconstruire les récits qui nous enferment dans des traumatismes passés, dans des comportements basés sur l’insécurité relationnelle apprise dans notre enfance, et trop souvent confirmée par la suite, pour développer des histoires résilientes, des histoires qui nous permettent de reprendre croissance et développement, un peu comme dans « le livre dont vous êtes le héros », ces petits livres amusants qui foisonnaient dans les années 80[2]. Mais dans l’approche narrative, il ne s’agit pas de s’appuyer sur un imaginaire séparé du réel. Au contraire, le thérapeute va partir de la perception qu’à la famille, la personne, et même l’enfant, de son histoire. Le travail consistera à prendre certains éléments de cette histoire pour démarrer un autre scénario, autre scénario rendu possible par un autre regard, une autre interprétation, par exemple d’une situation qui provoque de la honte, ou d’une relation nourrie par la peur. Ainsi la personne va déconstruire les scénarios souffrants, les scénarios qui bloquent son devenir.

Ces histoires, ce ne sont pas seulement les histoires que la personne s’est inventée, ce sont aussi celles que les autres lui ont racontées, les premiers autres étant ses parents. 

En thérapie familiale, ou en thérapie EMDR[3] avec de jeunes voire de très jeunes enfants, c’est le parent qui va être ainsi le porteur du récit, c’est lui qui va aider à construire l’histoire narrative de son enfant. Cela fait partie de son rôle. Le thérapeute sera là pour aider le parent à accoucher de l’histoire, pour l’aider à aller vers un scénario positif, résilient, un récit nourrissant un attachement sécure, tout en restant en contact avec les faits tels qu’ils sont connus ou transmis. Un récit sans trous trop important, avec des reprises et des raccommodages qui ont du sens, un récit qui au fur et à mesure du travail thérapeutique va devenir cohérent, congruent, et présenter une certaine continuité. 

Dans les parties inconnues ou difficiles, le parent pourra dire alors à l’enfant, en thérapie mais aussi à la maison, après avoir travaillé le récit avec le thérapeute : « Je n’étais pas là dans ta vie à ce moment-là, mais si j’avais été là … », « on ne sait pas ce qui s’est passé pour toi à ce moment-là mais quand on voit comme tu es … (nommer une qualité), ça veut dire que tu as pu prendre du bon ». Le cerveau va ainsi construire les liens manquants, faire des ponts, et l’habitude d’un langage positif va se prendre dans la relation familiale, un langage qui nomme les qualités, les compétences mais aussi les habiletés face à la vie, essentielles chez un enfant qui a éventuellement vécu des situations difficiles en dehors de son abandon.

Ce récit positif et résilient va permettre à l’enfant d’habiter sa vie, de développer le sentiment qu’il peut avoir un contrôle sur les évènements et les relations, qu’il peut devenir acteur de son histoire.

Quant au thérapeute, s’il veut tant que ça raconter des histoires, il n’a qu’à devenir écrivain ou griot, ce sont de très beaux métiers aussi …

 

 

 

[1] http://www.lafabriquenarrative.org/blog/approche-narrative

 

[2] Et dont j’apprends avec plaisir la reprise par Gallimard, je crois que je vais craquer pour un …

 

De bons souvenirs ...

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Accompagner les familles adoptives : dix erreurs à éviter. Erreur numéro trois : Arrêter de penser en entendant le mot " adoption "

par Marie-José Sibille

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

Accompagner les familles adoptives : dix erreurs à éviter.

Erreur numéro trois : Arrêter de penser en entendant le mot " adoption "

 

Pour beaucoup de personnes, dont nombre de professionnels de la thérapie, et ce quels que soient leurs diplômes ou leur style de formation, le mot « adoption » fait arrêt sur image, obstacle à la pensée. Quelle que soit la problématique traversée, dans l’enfance, à l’école, à l’adolescence, et même chez le jeune adulte dans sa construction sociale et affective, il suffit d’apprendre que la personne a été adoptée, et donc préalablement abandonnée, pour stopper le processus de réflexion et de recherche clinique.

L’élément historique devient symptôme unifiant et stigmatisant aux yeux de nombreux professionnels. C’est humain. Nous sommes là pour accueillir les symptômes et nous associons ces symptômes à la partie de l’histoire que nous connaissons. Or nous savons souvent très peu, tant sur le contexte de l’abandon que sur celui de la vie de l’enfant avant l’adoption. Et sur l’adoption elle-même en tant qu’événement fondateur de cette famille-là, nous devons faire également avec peu, l’histoire que la famille veut bien nous raconter, l’histoire qu’elle accepte de se raconter à elle-même dans ce cadre thérapeutique.

Comme pour toutes les familles.

L’effet de réel va venir de la souffrance exprimée, c’est notre seule voie d’accès : souffrance de l’enfant, souffrance de la famille. J’entends par souffrance, la douleur visible, montrée, mais aussi le travail, l’effort que fait une famille pour résoudre une problématique, le mot souffrance renvoyant à « ce qui est supporté » par la personne, ce qu’elle amène avec elle dans le lieu thérapeutique. Et ce quelle que soit la problématique, un trouble de l’apprentissage ou une insécurité d’attachement, les manifestations d’un stress adaptatif ou d’un stress post-traumatique, mais aussi des situations plus banales comme des conflits dans la fratrie, dans le couple ou dans la relation parent-enfant.

La souffrance va nous montrer le chemin à suivre.

Que faire de nos émotions alors, si nous ne pouvons pas les utiliser pour nous révolter contre l’abandon ou au contraire le banaliser, pour nous émerveiller de l’adoption ou au contraire la dévaloriser, pour dramatiser la situation en amplifiant le symptôme ou au contraire fuir par crainte des abréactions émotionnelles, en laissant la famille seule avec sa douleur ? Ne laissons pas nos émotions dehors sous prétexte d’une quelconque « neutralité bienveillante » impossible. Nos émotions sont là pour nourrir le lien thérapeutique. Elles servent de caisse de résonnance pour nous aider à comprendre, mais aussi, dans une psychothérapie centrée sur l’attachement, elles nourrissent l’empathie, la chaleur du lien, la capacité à prendre soin de la personne dans le cadre de la séance ou du contexte d’accompagnement. Elles sont indispensables, et l’idée de ne pas les utiliser doit vraiment faire partie des pensées thérapeutiques à enterrer avec le dernier millénaire.

Et que faire de nos pensées non élaborées alors, de nos jugements, de nos opinions, de nos présupposés sur l’abandon ou l’adoption ? Les laisser au porte-manteau. C’est ici que l’on peut envisager d’utiliser encore le terme de « neutralité bienveillante » à condition de le redéfinir comme n’excluant pas les émotions, voire même le contact physique. Cette neutralité consistera alors à ne pas préjuger d’une situation, exercice difficile quand la situation est socialement bien cataloguée comme les sont les faits d’abandon et d’adoption.

La pensée véritable, c’est la capacité de mise à distance de cette pensée convenue.

Même quand nous la trouvons chez des personnes supposées savoir. Même quand elle se manifeste à l’intérieur de nous.

En tant que brouillon de compréhension, ébauche de réflexion, ou encore arrêt de l’intelligence, cette pensée convenue, cette pensée apprise par contamination sociale, cette pensée-là n’a rien à faire dans le lien thérapeutique.

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