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PLEURE SI T'ES UN HOMME !

par Marie-José Sibille

publié dans Cette société - c'est la notre !

                                              PLEURE SI TU ES UN HOMME !

                        De la force des émotions pour assumer le monde et le transformer

 

Les émotions ne sont pas nos ennemies. Ce discours patriarcal et rationaliste, même porté par des femmes, même vendu par des féministes,  s’entend à nouveau de tous les côtés, sous prétexte que certaines  émotions sont comme les opinions par rapport à la pensée, des stéréotypes facilement manipulables. Alors, entendons-nous partout, il faut les maîtriser, par la force ou par les médicaments. Mais certains veulent aussi utiliser pour cela des démarches positives comme la méditation ou la psychothérapie qui deviennent soudain, ce n’est pas nouveau, le même mal a été fait pour la prière, des outils de contrôle social . Très vieux discours d’un très vieux pays dont trop d'hommes et de femmes ont toujours prôné l’évitement émotionnel sous prétexte de pensée et d’objectivité.

Les émotions sont utiles, belles, créatrices. Comme leur nom l'indique, elle mettent en mouvement. Elles nourrissent la pensée de leur énergie, que cela soit conscient et assumé, ou nié et refoulé. Et nous avons besoin d'être mis en mouvement.

La peur est là pour éveiller notre conscience endormie par des décennies de consommation abrutie. Comme les compagnons d’Ulysse, nous avons mangé à la table des Lotophages jusqu’à oublier tout ce qui n’est pas le plaisir immédiat. Nous avons bu le flacon  de Circée,  et nous avons été transformés en porcs. Le réveil est douloureux, mais il est temps de donner le pouvoir à Ulysse à l’intérieur de nous.

Car la peur n’est par contre pas là pour nous remettre sous la houlette de discours haineux et fanatiques, ou tout simplement sécuritaires et liberticides, comme des petits enfants qui reviennent chez papa et maman au moindre coup de tonnerre.

La tristesse est là pour nous faire compatir avec les familles, les victimes, mais aussi pour nous aider à élargir notre cœur. La tristesse peut nous aider à sentir que les drames qui touchent notre « famille », tous ces gens qui nous ressemblent, convergent avec les drames qui touchent le monde entier, que nous soyons victimes des terroristes ou du climat, de la guerre ou de la faillite provoquées par les multinationales du pétrole et de l'armement, comme par celles de l'agriculture et de la finance. Ces catastrophes ont la même racine : l’avidité sous toutes ses formes.

La tristesse n’est par contre pas là pour nous mettre à bas, nous rendre impuissants ou dépressifs, nous faire perdre notre voix et notre capacité de mobilisation.

La colère existe pour que nous puissions nous faire entendre. Notre voix doit être forte, car la cacophonie est assourdissante, celle qui voudrait penser et ressentir pour nous. 

La colère n’est par contre pas là pour stigmatiser la différence de l’autre, ni même pour se perdre dans de petits combats contre de petites personnes – en particulier politiques. Comme la terre, nos ressources sont limitées. Nous avons peu d’énergie, il faut l’utiliser à bon escient. Nombreux sont ceux qui disent l'autre possible. Relayons leur parole et leur action.

Et enfin la joie. Elle est là pour nous rappeler que l’homme a des ressources à partager, même et surtout en situation de crise. Elle est là pour nous pousser à nous rassembler et à chanter ensemble ce nouveau monde possible.

La joie n’est pas là par contre pour se satisfaire de faire encore partie des vivants et retourner comme si de rien n’était à nos occupations.

Les émotions sont des forces vivantes, tant à l’intérieur des individus et des familles que dans nos mutations sociales. Et là, le monde change. C’est une très grande opportunité. Il est temps alors d’interroger les mythes porteurs de nos émotions collectives. Les Dieux vengeurs, colériques, destructeurs, et leur corollaire obligatoire, les Vierges pleureuses et compatissantes, ont fait leur temps. Dans les trois religions monothéistes, pas de Dieu pleureur, non mais tu rigoles ou quoi ? Pas de Déesse en colère, il manquerait plus que les femmes commencent à l’ouvrir. Des déesses en colère ? A la pelle dès qu’on sort des religions patriarcales. Chez les anciens égyptiens, la déesse de la guerre, Sekhmet la lionne. Elle s’apaise quand les hommes apprennent à vivre ensemble et devient alors Bastet, la chatte ronronnante. Némésis chez les grecs, est une figure très motivante, car le nom de cette Déesse de la juste colère veut dire « répartir équitablement, distribuer ce qui est dû ». On dirait que Némésis est de retour sur terre pour un moment. Bienvenue, tu as du travail. Les grecs qui ne supportent pas les hommes en pleurs ont par contre plein de femmes en colère à leur disposition : les Furies, les Gorgones, j’en passe et des plus angoissantes. Elles sont réveillées par la lâcheté, par l’impuissance, l’inaction ou l’injustice. Elles doivent être en pleine forme en ce moment.

La peur affichée comme telle et la tristesse empathique sont très peu compatibles avec les abus de pouvoir. C'est pour cela que la colère est la seule émotion tolérée officillement chez les hommes dans les sociétés patriarcales. La peur et la tristesse sont par contre encouragées chez les femmes et les enfants, car elle permet de les garder sous contrôle. La répression des larmes chez l’homme et de la colère chez la femme s’explique aussi par la survie de l’espèce : l’homme qui pleure a moins de testostérone, la femme en colère a moins d’ocytocine. Ils sont donc moins doués pour se reproduire. Ouf. Enfin.

Des hommes qui pleurent et des femmes en colère, voilà ce qui va changer le monde.

 

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La mort était morte de rire (Attentats Paris 2015)

par Marie-José Sibille

publié dans Cette société - c'est la notre !

                                                  La mort était morte de rire

                                                       Attentats Paris 2015
 

En empathie avec toutes les familles de toutes les victimes du terrorisme, de la guerre, des  criminels climatiques, à Paris, en Russie, au Liban, et partout sur la Terre.


Il y a des personnes qui coupent les vers de terre en plusieurs morceaux. Je les ai vus ces garçons plus si jeunes, rire aux éclats en regardant se tortiller les bouts de vie sur le bitume.
J'en ai vu d'autres, des hommes déjà, essayant de démembrer un crabe vivant sur la plage, toujours riant, riant, jusqu'à ce que je leur fonce dessus pour leur demander d'arrêter. Et là, les yeux baissés comme des enfants pris en faute. Sûrement vite oublié. J'aurai sauvé un crabe.
Les crabes, mon grand-père les plongeait vivants dans une grande bassine d'eau bouillante, je revoie l'image comme si c'était hier. Il me disait que ça ne les faisait pas souffrir. Parce qu'il ne sentait pas leur souffrance.
Et il y a ce paysan débonnaire que je croise la semaine dernière dans le champ à côté de chez moi, armé d'un fusil à double canon pointé vers le bas. Je m'arrête pour lui dire que je ne veux pas le voir chez moi, en gardant un ton mesuré car nous vivons dans un village de chasseurs, et tout se négocie, même l'insupportable. Il me dit en riant lui aussi : "Ne vous inquiétez pas je ne suis pas chasseur, je guette juste les taupes et quand elles pointent leur nez, je leur tire dessus, elles bousillent ma prairie". Ah bon? Tout va bien alors, ce ne sont que des taupes. Elles ne méritent pas le terme de chasseur. Alors lequel ? Nettoyeur ? 
Avez-vous déjà tenu une taupe dans vos mains ? J'ai eu cette chance quand j'étais petite. Egarée hors de son trou - un produit chimique ? - mon père me l'avait mise dans les mains avant de la reposer sur sa terre. Un univers de douceur absolue, une innocence totale, aveugle, devant faire face à la violence, tout aussi aveugle. Et les petites pattes.
La peau de taupe est telle que les dames riches d'une autre époque s'en faisaient coudre des manteaux. Huit cent peaux de taupes pour un manteau. Je fais demi-tour cinq minutes plus tard pour demander au nettoyeur de les prendre vivantes, je les mettrai chez moi. Il a disparu. Je pense que je lui ai fait peur. Je peux avoir cette violence-là.
En ce lundi de deuil national, j'achète le Sud-ouest: les victimes locales prennent un visage, des créateurs, une mère adoptante, je suis émue, l'empathie est facile quand on se voit dans le miroir. Je prends une seconde le jeune terroriste recherché pour une des victimes, je ne regarde pas assez les infos. 
Dans la même maison de la presse, toute une vitrine est réservée aux journaux des chasseurs. C'est la pleine saison. La couverture de l'un d'entre eux me sidère. Un sanglier mort ensanglanté, des chiens en train de rire, un homme la bave aux lèvres, non, excusez-moi, c'est le contraire. Ne foncez pas sur les commentaires pour insulter mes amalgames supposés. Je fais juste le constat que les mêmes zones sensibles résonnent en moi. Peut-être parce que les mêmes zones agressives sont éveillées chez ces hommes ?  
Le soir, au journal télévisé que nous regardons pour l'occasion, de jeunes terroristes à l'air très "boy next door", s'amusent en menaçant les passants. "La guerre comme un jeu", dit la commentatrice. "Je me sens un peu moins vivante" dit une toute petite fille sur France Inter, quand sa maîtresse lui demande ce qu'elle ressent. La mort ricane derrière son épaule.
Ma part de sociopathie à moi ? Ce sont les mouches.   
Je les tue. Sans rire, mais je les tue. Sans rire, mais parfois avec une seconde de jouissance, quand l'une d'entre elles m'a particulièrement ennuyée. 
Les mouches sont trop nombreuses. Multipliées et portées par le réchauffement climatique, elles envahissent mon territoire. Elles sont différentes, et donc pour moi elles se ressemblent toutes. Pourquoi ne pas les massacrer alors? Ce ne sont pas des individus. Elles ont un pouvoir de reproduction mille fois supérieur au mien. Et en plus, elles m'ont agressées les premières. Je ne fais que me défendre de leurs frappes continues. J'ai enfin trouvé mon combat.
Car bientôt sur Terre, si je ne fais rien, les mouches prendront le pouvoir. 
 

La mort était morte de rire (Attentats Paris 2015)

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