LES NOURRITURES DU JEUNE. SIXIEME JOUR.
LES NOURRITURES DU JEUNE
FIN DU SIXIEME JOUR DE JEUNE
Aujourd'hui j'ai envie de ne plus manger de ma vie! C'est une telle libération, de tant d'habitudes, de temps consacré, d'heures obligées. Je n'oublie pas les moments formidables passés autour d'une table bien sûr, ni le goût du fruit mûr juste cueilli dans l'arbre et qui explose en bouche. Mais les pizzas surgelées réchauffées, les corvées de courses au supermarché? Même l'épicerie bio, voire le marché peuvent devenir une corvée quand ils deviennent obligés. Ça c'est pour les familles nombreuses dont les deux parents travaillent à l'extérieur. Mais même si vous n'avez plus ou pas encore ces contraintes, combien de vrais repas savourés dans votre semaine, et combien de peurs à l'idée que vous n'aurez pas ce moment d'apaisement ou d'effondrement après des heures socialement trop chargées ?
Le jeûne permet de se nourrir autrement.
Depuis deux nuits, je ne rêve plus de nourriture. Je rêve de morceaux de vie non intégrés, non assumés, non assimilés. Ils demandent à être digérés puisque contrairement à la nourriture physique je ne peux les vomir. D'ailleurs, même pour les aliments, savez-vous que des déchets vieux de vingt ans traînent dans votre intestin?
Le jeûne crée un vide qui se remplit autrement. De la présence de Dieu, pour les plus religieux, de la présence de l'absent pour ceux qui font aussi du jeûne un rituel de deuil. Je l'ai encore mieux compris aujourd'hui. Le jeûne libère l'espace pour le deuil. Je me nourris de ma mère morte, je l'intègre, je l'assimile, je la reconnais en moi et peut ainsi la laisser partir. Et je renais autre dans les eaux du jeûne.
Aujourd'hui, je me suis nourrie de la lumière et de la chaleur du soleil, aujourd'hui je me suis nourrie des sons et de l'odeur de la mer.
Sur la plage, j'ai ramassé des coquillages. Je n'étais pas la seule. Des enfants en remplissaient leurs seaux, accompagnés par des grand-parents attentifs. Un couple de personnes âgées se les montraient avant de choisir, ensemble, ceux qu'ils allaient ramener chez eux. Les coquillages, ces cadeaux de la mer, sont-ils réservés aux enfants et aux personnes âgées? Sont-ils les seuls à voir leur beauté? Non. Ma mère en récoltait sur chaque plage où nous allions. Elle en achetait aussi dans les pays exotiques où elle partait parfois se réfugier. Mon père lui, creusait pour ramasser des fossiles, des dents de requin et des ammonites rejetés par des mers mortes, des mers très anciennes. Je reproduisais ainsi leur geste en me baissant jusqu'au sol pour récolter les petites coquilles vides de leurs habitants. Je n'avais pas envie de comprendre, juste de vivre ce moment.
Puis j'ai laissé mon sac à dos sur la plage, et je suis partie me baigner.
Je n'avais pas peur qu'il soit volé.
Il ne contenait que des coquillages.