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Les mouches, ou la genèse d’un sociopathe. Nouvelle de fiction.

par Marie-José Sibille

publié dans Fiction

Les mouches, ou la génèse d’un sociopathe

Nouvelle 

Toute ressemblance avec qui ou quoi que ce soit est purement fortuite

Ames sensibles s’abstenir absolument …

 

J’ai commencé tout petit, j’avais pas même huit ans. Je me régalais à couper les vers de terre en plusieurs morceaux. Surtout les gros et longs. Ça faisait rire les copains de voir se tortiller les bouts de vie sur le bitume devant l’école où j’allais encore. Ils aimaient bien, surtout qu’ils étaient pas trop caps de le faire. Et les meufs, ça les faisait se tortiller et dire « c’est dégueulasse », comme ça elles nous fichaient la paix. Trop sensibles et pleurnichardes, juste bonnes pour se défouler seul ou en bande. Du coup j’étais popu auprès de mes potes, c’était cool.

Plus vieux je suis allé une fois sur la plage avec mes parents et ma sœur. Une erreur, ils s’étaient paumés en cherchant un bar à la sortie de l’autoroute. Quand le père à commencé à trop l’ouvrir et la mère à chougner, j’ai chopé un crabe vivant, et je l’ai coupé en morceaux en riant devant ma mère. La vieille a failli tourner de l’œil en voyant les pinces et les pattes continuer à bouger, et mon père m’en a balancée une belle. Mais pour le coup ils l’ont fermée. Ma sœur était encore plus muette que d’habitude. La cruche quoi.

Mon darron, l'a pas que la main lourde, il m’apprend aussi quelques trucs quand il est pas trop bourré. On vit dans un coin paumé, même si c’est pas trop loin de la mer. Le genre de coin où on est séparés des voisins par des terrains vagues qui servent de décharge sauvage à ceux de la ville d’à côté, la grande ville comme on dit.

Dans notre jardin, si je peux l’appeler comme ça pour rire, y’a des taupes. C’est bien le seul truc qui y’a d’ailleurs. Alors il m’a montré comment faire, avec un fusil à double canon pointé vers le trou. Dès qu’une taupe pointe le bout de son nez, il lui tire dessus à c’te garce. Il m’a appris et on rigole bien.

C’est pas vraiment de la chasse, c’est que des taupes.

Alors on dit qu’on est des nettoyeurs, en buvant une canette le soir au bar, et là encore ça fait bien rire les copains, ceux du pater cette fois.

C’est tout doux une taupe, j’aurais pas cru. Il paraît qu’ils en faisaient des manteaux avant, j’ai dû entendre ça à la télé. Nous on les jette à la poubelle ou on les donne au chien pour qu’il s’amuse un peu, surtout si elle bouge encore. Mais faut voir, avec c'qu'on décanille y' peut-être moyen d'en faire un bizness.

Et puis y’a la vraie chasse. Mon premier sanglier on l’a bien fêté. On a pris la photo de nous tous, les mecs : des chiens en train de rire, des hommes la bave aux lèvres, non, c'est le contraire j’veux dire, et moi au milieu avec le père qui me regarde, tout fier de son fils pour une fois.

Et puis l'aut' soir, à la télé, z’ont parlé des jeunes terroristes qu’ont fait sauter tous ces restos à Paris, et un bistrot où ils font de la musique aussi, j’me rappelle plus bien le nom mais ça commençait par bâtard je crois, ça m'étonne pas. Y'a eu plein de morts. Pas que je les plaigne, c’est tous des gens qui m’diraient pas bonjour s’ils me croisaient dans la rue. Mais bon, on partage le même pays, et ces terroristes, ça fout la trouille. Et puis y’a aussi ces migrants près de la mer, je sais plus trop la différence qu’ils font les bolos de la télé, pour moi c’est tous des tordus qui viennent nous envahir.

Je sens que mon père et ses potes ils vont s’amuser samedi prochain dans les rues de la grande ville quand ils seront bien allumés. M’a dit qu’avant on appelait ça des ratonnades et que mon grand-père était bon là-dessus, y s’est jamais fait prendre.

Moi j’ai pas encore l’âge, et puis ça fait chialer ma mère quand je parle de les rejoindre. Et je supporte pas quand elle chiale, ça me fout par terre. Elle chiale aussi quand le père monte dans la chambre de ma sœur pour se vider un coup. J'le comprends, parce que la mère ! Mais quand je veux le rejoindre, j’me fais virer, « chasse gardée » qu’y dit. « T’auras qu’à te fabriquer la tienne quand tu seras un homme ».

Alors en attendant d’être un homme et faire tout ce que fait mon père, je m’entraîne en flinguant les mouches. 

Je les guette une à une et je les tue quand personne me regarde.

Les mouches sont trop nombreuses. Il paraît que c’est parce que la planète est en train de cuire. Elles se ressemblent toutes. Elles pondent leurs œufs partout. Pourquoi ne pas les massacrer ? Et en plus j’me dis, quand j’me surprends à plus pouvoir faire autre chose que les démolir, en plus elles me sont tombées dessus les premières. Je ne fais que me défendre.

Car bientôt sur Terre, si je ne fais rien, les mouches prendront le pouvoir.

Enfin … C’est moi qui les appelle les mouches.

En 2016, quand j'ai écrit cette nouvelle, il y avait les attentats du Bataclan très présents, les femmes violentées à Cologne, et à Calais aussi, des migrants agressés avec le mot "ratonnade" qui était remonté des poubelles de l'histoire. J'avais entendu le désespoir des journalistes de Nord Littoral sur France Inter face aux messages de haine qu’ils recevaient tous les jours alors qu’ils ne font que leur travail.

Aujourd'hui, ça ne c'est pas trop amélioré, et je peux encore dédier cette nouvelle comme en 2016 :

- aux migrants qui se sentent rejetés et aux autochtones qui se sentent envahis 

- aux hommes ayant perdu toute humanité qui commettent de tels actes sans pouvoir être soignés et contenus.

- aux impuissants que nous sommes, mais aussi aux bénévoles qui se bougent pendant que les grands de ce monde comptent leurs sous

- à tous les citoyens français et à tous les migrants qui essaient de communiquer autrement.

Ça finira par compter plus. J’y crois en tous cas.  

 

Les mouches, ou la genèse d’un sociopathe. Nouvelle de fiction.

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L'homme qui murmurait à l'oreille du bois

par Marie-José Sibille

publié dans Le quotidien c'est pas banal

 

L'homme qui murmurait à l'oreille du bois

 

Il est arrivé chez moi tôt le matin pour livrer et monter un meuble un peu compliqué. Un nouveau lit.

Il a défait les cartons avec précaution et aligné les pièces l’une à côté de l’autre. Puis il a choisi ses outils. Je l’entendais parler depuis la pièce d’à côté, alors je suis venu regarder de temps en temps, juste pour voir le lit habiter peu à peu le vide.

Il ne se parlait pas à lui-même comme je le pensais. Il parlait au lit, ou plutôt à chaque pièce de bois, l’une après l’autre. Il parlait doucement, avec chaleur et empathie, comme on encourage un enfant à apprendre, quand on est bien luné.

« T’es un bon, toi », disait-il au montant du lit qu’il caressait en passant, jouissance du contact soyeux, je peux comprendre, « tu sais que j’ai une longue journée qui m’attend et t’as décidé de m’aider ». Puis il a tapoté l’autre montant, histoire de lui montrer comme son copain était participatif. Et l’autre montant s'est mis juste là où il fallait.

Puis il a pris un maillet matelassé pour aider une petite pièce à rentrer dans le rang.

Il ne voulait pas risquer de faire un bleu au lit.

Il s’est énervé un peu contre une latte qui ne se mettait pas bien comme il faut, qui n’y mettait vraiment pas du sien, « Tu as décidé de me prendre la tête toi aujourd’hui » ! Mais c’était juste un moyen de réveiller la latte et de mobiliser son énergie. Le bout de bois lui résistait, mais il allait finir par comprendre. « Ah, voilà, tu t’y es mise finalement ! Tu vois que ce n’était pas si dur ! ». La latte s’emboitait maintenant parfaitement avec ses copines. Il releva un instant la tête avec un sourire satisfait.  

Au bout d’une demi-heure de travail, il a défait les deux chevets et les a posés de chaque côté du lit, et, dernière touche au tableau, il a passé un coup de chiffon pour enlever la petite poussière de bois.

« Tant qu’à faire », m’a-t-il dit.

Je voyais qu’il était fier.

Il commençait bien sa journée.

Et me sont alors revenus ces clivages de ma scolarité entre les intellectuels, les bons quoi, et puis les manuels, les mauvais, le rebut.

Et puis chez les intellectuels, il y avait les vrais bons, les scientifiques, ce qui feraient « S » aujourd’hui, et les faux bons, les littéraires …, les « L ». Par exemple et au hasard les femmes qui ont besoin d’apprendre quelques mots pour pouvoir bouquiner entre deux corvées ménagères quand elles seront mariées et auront des enfants.

Et puis après, il y avait les vrais vrais bons, ceux des grandes écoles, et les faux vrais bons, ceux de la Fac …

Et au final, il n’en reste plus qu’un, un homme blanc, tout paumé en haut de sa pyramide, mais qu’est-ce qu’il nous ……. !

J’ai mis trop de temps à larguer les amarres pour faire ce qu’il me plaît, à murmurer à l’oreille de ce qui m’écoute et me parle, tant la pression élitiste de ce système d’apprentissage se présente encore souvent comme la seule vérité malgré ses échecs spectaculaires en terme d’intégration sociale et d’épanouissement professionnel et humain. Il faut aujourd’hui comme hier suivre la droite ligne depuis la maternelle encore heureusement un peu épargnée, un peu créative, jusqu’à l’université et aux grandes écoles, publiques ou privées, ces régimes totalitaires du savoir.

Alors merci à cet homme qui murmure à l’oreille du bois.

Quand il est parti, j’ai vu le lit sourire.

L'homme qui murmurait à l'oreille du bois

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