Madame, monsieur, qui que vous eussiez été , ... t'es trop relou toi!
Madame, monsieur, qui que vous eussiez été , ... t'es trop relou toi!
Remarques sur le bon français d'aujourd'hui à l’aube de la rentrée scolaire
Mon père m'a nourrie aux dictionnaires. Tous les soirs ils étaient sur la table entre la poire et le fromage : le Littré pour l’étymologie et l’abondance de mots que contient notre langue ; le Gaffiot pour le latin, langue morte source d'une grande lumière dans ma tête en me donnant la clé du sens. Le latin donnait aussi à table la parole à ma mère, ce qui n'était pas si facile. Le grec et l’hébreu étaient aussi présents, en deuxième ligne malgré tout. Ma famille étant polyglotte et d’origine plurielle, il faut ajouter les dictionnaires anglais et espagnols, tant quotidiens qu’étymologiques. A ces basiques s’ajoutaient les différentes encyclopédies naturalistes, oiseaux, arbres, papillons, coquillages, coléoptères, fossiles, j’en passe, ainsi que d’autres plus généralistes. Tous les mois arrivait dans la boîte aux lettres celle réservée aux enfants, « Tout l’univers », dont je sens encore la bonne odeur de papier neuf. Terminé mon inventaire à la Prévert. Mon père était ainsi un nommeur de monde, dans la lignée trop tardive pour lui des Buffon, Lamarck et Darwin.
Ma mère m'abreuvait quant à elle des grands textes de la littérature française, depuis Villon et Rabelais jusqu’à Boris Vian, Paul Eluard et Saint John Perse. Avant d’attaquer la puberté et ses délicatesses, j’avais déjà tout lu Zola et connaissais par cœur la tirade des nez de Cyrano de Bergerac, je plains ceux et celles qui ne savent pas de quoi je parle … Ma mère était une passeuse de vies, une ouvreuse de possibles.
Mais.
Quand je fais réciter le passé simple et le subjonctif à mes collégiens d'enfants, je suis morte de rire (mdr), quand cela ne s'apparente pas à de la maltraitance. J'eusse, tu eusses, yeux tournés vers le ciel et mains dans le dos, le front plissé de concentration, « mais maman pourquoi, on s'en sert jamais ».
Certes.
Réponses: pour former ton cerveau et ta mémoire, parce que tu n'as pas le choix, pour faire rire maman et papa.
D'ailleurs Word et Google me mettent tous les temps compliqués en rouge alors que j'ai tout juste, et ils acceptent sans problèmes mdr et relou ...
Ainsi vont le monde et sa langue.
Il y a des mots que j'ai envie de virer des dictionnaires comme des malpropres: Monsieur, Madame en font partie. Je n'arrive plus à les utiliser, ou alors avec la plus distante des administrations. Au moyen âge, Mon Sieur évoque un courageux chevalier pourfendeur de dragons, un gentil seigneur protecteur des terres et de leurs habitants, Ma Dame évoque un être sublime à mi-chemin entre notre monde et celui des Elfes et des fées. Dur de les utiliser à la boulangerie le matin. Mais il y a pire: appeler "Maître" l'avocate qui encaisse mon chèque au bout de deux minutes d'entretien et me fait poireauter des mois sans me donner le moindre signe de vie? Impossible. Pour moi, Maître, ce sont les grands et grandes philosophes qui m'ont aidé à construire ma pensée, les thérapeutes qui m'ont aidée à rendre intelligentes mes émotions et mes sensations, et tous les gens, quels qu'ils soient, qui m'ont appris à vivre.
Pour Docteur, plus d'hésitations, partagée entre "respect" pour certains médecins qui vivent leur métier comme un apostolat, et "bouffon" pour ceux qui font médecine pour se créer une rente à vie, héritiers d’une culture de dominants dotés d’une mémoire éléphantesque qui leur tient lieu d'intelligence et que je connais trop.
J’aime inventer des mots, cela s’appelle des néologismes. Par exemple, un mot que j’ai trouvé il y a plus de dix ans maintenant, alors que j’errais perdue dans une zone commerciale de banlieue : néantigène. Origine : adjectif issu de la combinaison des mots néant, gène et antigène. Définition : contraire à la vie, créateur de néant. S’utilise pour de nombreux objets et situations actuels. Exemples : une cité néantigène, un programme scolaire néantigène, une loi néantigène (citons celle du port d’arme en Amérique), un supermarché néantigène.
La création de mots appartient comme toute inspiration à l’inconscient collectif. Par exemple, quand est sortie l’expression « Bobos » pour parler de la nouvelle bourgeoisie intellectuelle de gauche, j’ai tout de suite vu dans ma tête sa variante « Bobios », qui y ajoute une certaine écologie pas trop salissante ni limitante, une affection pour la nourriture bio, le New Age, la thérapie et le développement personnel. Je l’ai mis dans un article que je n’ai pas publié. Las ! Un an après je le trouvais dans une revue de grand renom … Voilà comment je suis passée encore une fois à deux doigts de la célébrité et de la fortune (ouf !).
Depuis quelques années, la vulgarité et l’obscénité envahissent les médias populaires, de nombreux films, ainsi que les cours de récréation, en particulier celles du collège. Devant le déferlement de mots orduriers et l’obsession scatologique et pornographique distillée par nombre de comédiens, rappeurs, pas tous, et comiques, il a fallu faire barrage à la maison. J’ai été assez surprise de la relative rapidité avec laquelle mes ados se sont alignés. Un soulagement peut-être de trouver une limite à ce déferlement ? Selon les spécialistes, la vulgarité et l’obscénité omniprésentes signent une fin de civilisation, comme les orgies romaines.
Qu’on en finisse vite alors …
Mais il y a aussi des expressions d'aujourd'hui qui donnent la pêche, pourquoi alors ne pas les inclure dans notre quotidien avant qu’elles ne disparaissent ?
« Askip [1], genre, c’est abusé les gens ! De fou … Ce mito il m'a fait un truc-de-ouf »
Il y en a qui durent quelques semaines, et d’autres que j’utilisais déjà quand j’étais ado.
Ma préférée depuis plusieurs mois est : Paumée de la Life. J'adore être Paumée de la Life. Quand j'ai entendu cette "insulte" pour la première fois dans une dispute entre ados, j'ai compris que j'avais enfin trouvé ma place dans le monde.
Paumée de la Life.
J'aurais aimé le savoir plus tôt, j’aurais gagné du temps.
Car le langage et le mot existent pour nous aider à définir qui nous sommes et l’univers dans lequel nous voulons vivre.
[1] A ce qu’il paraît