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Le Carnaval des symptômes ou la rude existence des enfants et ados d'aujourd'hui !

par Marie-José Sibille

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

Le Carnaval des symptômes

La rude existence des enfants et ados d'aujourd'hui

Article du 10/2/2015 revu et corrigé

Les symptômes de nos enfants se multiplient et semblent sortir d’un chapeau de magicien : l’un remplace l’autre si vite que l’œil ne peut les suivre. Le lapin de l’hyperactif fait la course avec la tortue du phobique scolaire, les deux sont bientôt rejoints par l’enfant dépressif, abusé, harcelé ou harceleur, à moins qu’il ne soit boulimique, anorexique, addict aux écrans, aux réseaux ou aux jeux vidéos.
C’est le grand carnaval des symptômes, l’expression sans barrière de la souffrance … des parents, et encore plus de celle de la société. Les rituels de Carnaval permettent d’exprimer sans entraves la folie devenue reine du bal. Protégée par le masque qui la cache au regard des autres, elle danse, chante à tue-tête, pleure, crie à tue-corps. Finira-t-elle enfermée ? Isolée dans sa peine ? Pourra-t-elle au contraire se sentir accueillie dans la famille et dans le cadre thérapeutique et ainsi, peut-être, se dire différemment, avec moins de violence, plus de créativité ?
Dans de nombreuses situations familiales et sociales, l’enfant joue le rôle du masque derrière lequel se cache et s’exprime la souffrance de l’adulte. La douleur est grande, mais peu importe, puisque l’enfant est là. Dans son souci vital autant qu’affectif de plaire à l’adulte, à n’importe quel adulte mais encore plus à ceux qui se nomment ses parents et qu'il reconnaît comme tels, il endossera le symptôme avec la joie de celui qui porte la caisse à outils trop lourde de son père, les sacs de courses de sa mère, ou l’inverse !
L’enfant hyperactif court vite, vite, vite pour répondre à l’océan de sollicitations de notre société de consommation, et au stress dans lequel il voit vivre ses parents. Il y vit d’ailleurs lui-même entre la scolarité, les activités et les écrans. Il court encore plus vite si il est le fils d’une mère isolée, pauvre, surstressée, non soutenue, se sentant coupable de ne pas pouvoir nourrir ses enfants correctement.
L’enfant phobique scolaire s’arrête longtemps, longtemps, longtemps pour ne plus répondre aux exigences de notre société, pour se couper du stress envahissant de la crise, du chômage, des infos quotidiennes, pour éteindre l’écran social dont il ne se sent peut-être pas assez protégé.
L’enfant obèse se remplit beaucoup, beaucoup, beaucoup pour combler le vide affectif et remplacer le trop plein d’émotions non exprimées par un contenu plus organique.
L’enfant anorexique se vide encore, encore, encore, pour essayer de se rendre invisible, tant il a peur d’intérioriser d’autres exigences de son entourage.
Quant à l’enfant dépressif, il peut finir par se tuer.
Ces symptômes sont génétiques, disent certains. Mais non, ils sont sociaux répondent d’autres. Ils viennent de l’éducation ! Mais non, des traumatismes … Le grand cerveau collectif dialectise à voix haute pour faire avancer la pensée du moment.
En tant que parents nous prendrons souvent en priorité l’explication qui nous permet de nous ôter un peu de culpabilité, qu’elle soit génétique, donc ancestrale, naturelle ou divine, traumatique ou sociale. La société réagit de même d’ailleurs, lente à reconnaitre dans l’enfant hyperactif la pression permanente à laquelle elle soumet ses membres, aveugle à voir dans les troubles alimentaires le dérèglement profond de la société de consommation et de l’ultra-libéralisme. Jusqu’aux suicides des enfants et des adolescents qui augmentent et nous parlent de ce trop social anxiogène et envahissant.
La souffrance d’un enfant peut avoir des causes multiples qui ne concernent apparemment pas les parents : les rituels de dominance et d’interactions dans les fratries, comme la différenciation sexuelle, ne sont pas exempts de douleur. Les harcèlements de la cour de récréation - le gros, la chinoise, le cramé, le têtard, le youpin et le bougnoul que l’on croyait disparus des dictionnaires - peuvent faire des dégâts, ainsi que les humeurs noires et agressives de certains enseignants dépassés par leur tâche. Si le harcèlement scolaire nécessite aujourd’hui une loi, c’est bien que le bizutage est devenu une norme, le souffre-douleur un élément reconnu de la collectivité enfantine, et non le délire collectif d’une grande école quelconque. Mais les parents n’en restent pas moins concernés. Les dégâts seront d’autant plus grands que la parole ne circule pas à la maison sur ces sujets, si, d’une manière ou d’une autre, l’enfant sent que sa souffrance est trop lourde pour l’adulte qui s’occupe de lui, parfois pour de très bonnes raisons, comme celles de la mère célibataire dont je parlais plus haut.
Est-ce qu’il faut pour autant nier l’individualité de l’enfant ? Paradoxalement, c’est le signe d’une liberté nouvelle que les enfants puissent exprimer ces symptômes de manière visible dès le plus jeune âge. 
La société est-elle à fuir ? La famille est-elle systématiquement toxique ? Tous en crèche puis en pension ? Ou au contraire l’école à la maison ?
Le choix qui consiste à apprendre à l’enfant à mettre de la distance tout en le laissant dans le milieu familial puis social commun est aussi une alternative. Pas forcément la meilleure.
Chaque parent fait ce qu’il peut.
Mais c’est ainsi qu’être psychothérapeute d’un enfant tiré de son contexte est un paradoxe qui atteint très vite des limites. Dans une vision écologique de la psychothérapie la prise en compte de l’environnement est indispensable, ainsi bien sûr que le vécu de l’enfant au sein de sa famille.
La fonction de véhicule de souffrance de l’enfant symptôme saute aux yeux du thérapeute familial.
Le rôle du bouc émissaire est d’être une voie de dérivation, un lieu de déplacement des problèmes du couple ou de l’un des parents, à moins que ce ne soient des fautes pour lesquelles leur sentiment de culpabilité est tel qu’il est impossible de les nommer. Ce silence a d’ailleurs souvent comme objectif, encore un paradoxe, de protéger leur enfant ! C’est une réalité récurrente chez les enfants des grands traumatisés de l’histoire. Mais ces souffrances, il faut malgré tout les montrer. Elles le seront donc par le masque du symptôme de l’enfant. Ce masque dévoile l’ombre de la famille. Il permet aussi d’y avoir accès.

Faut-il alors pointer du doigt la faute parentale, se mettre résolument du côté de l’enfant – pendant une heure – et dispenser mille conseils pour être enfin un bon parent ? Faut-il au contraire laisser partir l’enfant sans nommer l’inacceptable ? Est-ce qu’il faut dénier toute part de liberté à l’enfant, au risque de lui interdire tout accès à sa créativité et à sa force de résilience, en l’enfermant pour longtemps dans son rôle de victime ? Faut-il revenir aux temps archaïques et sermonner le méchant enfant qui fait tant de peine à papa et maman en n’arrivant pas à apprendre à lire ou en faisant pipi au lit ?

Chez l’enfant qu’elle écrase, la culpabilité est la plaie saignante de l’innocence. Elle est le coût de son impuissance. Chez le parent, cette même culpabilité devient aussi le prix à payer pour rester immobile. Elle évite la mise en œuvre du changement relationnel familial et maintient un statu quo aussi sécurisant que la gifle quotidienne de la mère, ou que la visite nocturne du père incestueux dans la chambre de l’enfant. Quant à la société coupable, elle n'aborde pas les problèmes, les tais dans les tribunaux, les occulte des livres d'histoire.
Une des fonctions de la culpabilité, un des rôles fondamental du bouc émissaire, est le maintien des rituels, et par là même le maintien de la pérennité du système.
Tel le paria de la société indienne, l’enfant émissaire s’occupe des poubelles de la famille, parce qu’il en est lui-même la décharge émotionnelle. Il subit de la même façon les limites de la culture et de la communauté dans lesquelles baignent sa famille. Que chacun fasse son propre compost, c’est une manière de ne plus avoir besoin de bouc émissaire. Pour soutenir cette autonomie, le psychothérapeute choisira la méthode qui le rend compétent. Peu importe laquelle. L’enfant émissaire porte aussi les aspirations, les espérances, le non réalisé du parent, ce qui peut être une source de souffrance et d’enfermement, autant que leurs blessures. Mais c’est la règle du jeu de la filiation : le mot « parent » veut dire « celui qui donne », et pas « celui qui donne uniquement les bonnes choses » !

L’enfant est nourri de toutes ces influences, familiales et sociales, dont la thérapie et les autres supports de résilience font partie. Plus ils seront nombreux, plus il pourra développer son expression créative, faire la part des choses, et laisser tomber les masques.

La société idéale est une utopie. La famille parfaite n’existe pas. L’objectif est que ce ne soit pas toujours le même qui exprime une douleur, un problème, un symptôme dans le sens du signal fort et porteur d’un message en direction de l’autre. Clairement identifiés par chaque membre de la famille, les symptômes peuvent devenir un jeu, une fête, le grand Carnaval des fous, et non plus une souffrance. Ils expriment alors une différence protectrice : c’est la tante Agathe qui met de l’eau gazeuse dans son grand cru, c’est le cousin Joël qui est obsédé par les trains électriques.
Ils peuvent enfin se révéler créatifs, s’exprimer dans un métier, dans un art.
Ainsi chacun devient son propre émissaire, son propre porteur de symptômes, son propre chargé de la mission secrète de son accomplissement.

Je participe au projet d’un ouvrage collectif sur le thème du “Bouc Emissaire”, initié par Eric Verdier et Geneviève Alline-Lacoste, dans le cadre du Pôle "discriminations, violence, santé" sous l'égide de la LFSM, la Ligue Française pour la Santé Mentale, lfsm.org 
Ce thème est d’une poignante actualité, à de multiples niveaux, que l’on parle de Charlie ou de la loi sur le harcèlement scolaire. Je vous tiendrai donc au courant de la parution de cet ouvrage dont j’apprécie particulièrement l’intention interdisciplinaire.
L’article de mon blog " Le Carnaval des symptômes " fait partie de ceux que j'ai proposé pour cet ouvrage. Un autre ayant été choisi, j’utilise ce travail pour nourrir une réflexion sur la thérapie familiale et sur le sens du symptôme.
Un autre article suivra la semaine prochaine, “Tableaux de familles”.
Le Carnaval des symptômes ou la rude existence des enfants et ados d'aujourd'hui !

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Une petite cuiller d'humanité

par Marie-José Sibille

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

Simone Veil volait des petites cuillers dans les cafés où elles se retrouvaient, bien des années après la guerre, entre survivantes des camps. C'est ce que racontait Marceline Loridan Ivens ce matin sur France Inter dans son témoignage sur la  Shoah. Elle les volait pour ne plus jamais avoir à laper le brouet infâme du camp de Birkenau.
Attendez. Vous voulez dire Simone Veil la ministre? La grande Dame qui a permis à ses sœurs de disposer de leur corps en défendant la loi sur l'IVG ? Vous voulez dire qu'elle volait en même temps des petites cuillers dans les cafés ?
Quelle est la plus grande souffrance? Le viol, l'inceste, la torture, le génocide, la maltraitance chronique dès la plus petite enfance? La perte de tous ceux que l'on aime dans des circonstances atroces ? La lente dégénérescence de sa conscience et de son corps dans un vieillissement qui n'en finit pas ?
C'est une question récurrente en psychothérapie, celle d'une hiérarchie dans la souffrance psychique, d'un ordre du mérite des traumatismes.
Il y a soixante-dix ans, Auschwitz était mis au grand jour et l'humanité découvrait un nouvel enfer, un enfer qui n'avait pas encore été pensé jusque là, dans ces proportions-là. Est-ce que pour autant les délires de l'inquisition, le génocide des peuples d'Amerique du Sud, la monstruosité de l'esclavage négrier devinrent alors  plus humains ? Est-ce que l'infanticide systématique et les mutilations sexuelles rétrogradèrent ce jour-là dans la hiérarchie des souffrances ? C'est ce que beaucoup disent. La mère qui vient de perdre son enfant, le survivant d'Auschwitz qui est à l'honneur aujourd'hui, la Gueule cassée de retour des tranchées par erreur,  la femme violée et torturée, la petite fille visitée tous les soirs par son père et tant d'autres encore, tous semblent se battre pour décrocher la première place dans l'échelle des enfers créés par les hommes. 
Et je suis d'accord avec chacun d'entre eux, oui, c'est vraiment cette souffrance qui est la plus insupportable, inexplicable, insoutenable. Jusqu'à ce que je lise "le scaphandre et le papillon" ou le récit des survivants du génocide rwandais; à moins que ce ne soit un témoignage du Goulag, ou celui d'un bourreau khmer rouge décrivant les atrocités qu'il a commises. 
C'est l'affreuse banalité du mal telle que l'a nommée Hannah Arhent. Le mal n'est jamais loin, puisqu'il est en nous. Il ne peut être autre, sinon l'espoir est mort. La seule prise que nous pouvons avoir sur lui réside justement dans cette odieuse familiarité.
Peut-être qu'il est important de dire que le crime commis envers les Juifs ne peut se comparer à nul autre, je n'ai pas envie de discuter ce point tant l'émotion m'étreint en entendant encore une fois ces témoignages. Au moins est-il important de le dire aujourd'hui, par respect pour les derniers survivants. Et cette émotion, loin d'annihiler ma pensée comme je l'ai - encore - entendu dire aujourd'hui de multiples fois, donne une profondeur différente à mon intelligence.
Toutes ces souffrances extrêmes portées par des individus de chair et d'os ont le même effet sidérant ou bouleversant chez ceux qui les écoutent. Ils induisent la pensée, l'émotion, la sensation brutale qu'à leur place, on ne pourrait pas survivre, on mourrait de douleur, on se suiciderait. Mais voilà. Nous ne sommes pas eux. Eux ont survécu. Pour des tas de raisons. Peut-être pour témoigner, ou pour honorer. Peut-être simplement car la vie est la plupart du temps plus forte que la mort. En tous cas pendant un temps plus ou moins long.
Je ne crois pas qu'il y ait une hiérarchie dans la souffrance. Une spécificité, oui. L'horreur de l'un est différente de l'abomination de l'autre. 
Mais face à la douleur nous sommes tous aussi démunis que des petits enfants qui viennent de tomber tête la première sur le sol dur, qui se sentent abandonnés dans le noir, qui hurlent car leur ventre vide semble devoir le rester toujours, même si maman est déjà sur le pont avec son biberon à la main.
Et ceci a un effet humanisant.
C'est un cadeau que nous fait Simone Veil en volant des petites cuillers dans les cafés, elle, la ministre féministe, une des très grandes dames de France ! Un cadeau d'humanité aussi fort que son courage pour défendre la loi sur l'IVG, aussi mobilisateur que son combat permanent pour les femmes, aussi puissant que son exemple d'un pouvoir au féminin. Justement parce qu'elle était si grande par ailleurs, ce geste nous humanise tous.  Il nous montre l'effet du trauma et la limite de la résilience. La quête du surhomme est toujours une tentation, y compris chez les psychothérapeutes; la quête d'un homme - d'une femme - qui aurait tout résolu, dépassé, guéri, transcendé. Elle est une tentation de beaucoup d'hommes doués de "raison". L'émotion est dangereuse ? Tellement plus dangereuse est une pensée dénuée de toute sensibilité. 

Marceline Loridan Ivens, en racontant l'histoire de Simone Veil, rajoute: "nul ne peut imaginer la permanence du camp à l'intérieur de ceux qui l'ont vécu."
Nul ne peut imaginer la permanence du trauma à l'intérieur de l'autre.
C'est une des grandes difficultés du métier de psychothérapeute.
C'est un des plus grands défis de l'humanité actuelle, le développement de cette faculté si fragile, si rare: l'empathie.

 

"ET TU N'ES PAS REVENU", de Marceline Loridan Ivens sorti en février 2015 chez Grasset. "Tout y est, nous dit-elle, je n'ai plus rien à ajouter".

"ET TU N'ES PAS REVENU", de Marceline Loridan Ivens sorti en février 2015 chez Grasset. "Tout y est, nous dit-elle, je n'ai plus rien à ajouter".

Aujourd'hui, Charlie est en train de voler des petites cuillers dans les cafés, accompagné du fantôme de Simone Veil.

Aujourd'hui, Charlie est en train de voler des petites cuillers dans les cafés, accompagné du fantôme de Simone Veil.

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