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Moi, ce que j’aime dans les cimetières …

par Marie-José SIBILLE

publié dans Le quotidien - c'est pas banal ...

   Moi ce que j'aime dans les cimetières...

Billet d'humeur paisible

 

-         « Moi ce que j’aime bien dans les cimetières, dit ma plus jeune fille, c’est qu’on peut ramasser les feuilles et les fleurs tombées pour en faire des bouquets.

-          Et moi, ce que j’aime dans les cimetières, c’est que l’on peut lire les noms de tous ceux qui sont morts, et imaginer leur famille, réagit la plus grande.

-          Et moi, c’est qu’on peut courir dans les allées », dit mon fils, qui s’y verrait bien en skate ou à vélo.

 

Alors, avec l’élan donné par la plus jeune, nous avons continué.

 

Moi j’aime chercher et trouver la plus vieille tombe du cimetière,

 

Moi, le gravier qui crisse sous les pas,

 

Moi j’aime jouer  à se perdre,

 

Et moi, les gros arrosoirs, ceux qui voudraient arroser une fois pour toutes, pour que l’on n’ait pas à y revenir, dans les cimetières.

Et les plaques "souvenir", plus laides les unes que les autres, et les fleurs en plastique qui arrivent à se faner sans avoir jamais été vivantes, et les familles qui viennent aux alentours du jour des Défunts, ou de celui de la Toussaint, constater une année de plus à quel point elles n’y viennent pas souvent le reste du temps.

 

Et j’aime les personnes très âgées qui viennent parler à ceux qui sont déjà là, en leur demandant de leur faire une petite place, et de préparer leur accueil. J’aime leur sourire, et la transparence de leur visage, j’aime qu’ils parlent à celui qui est parti avant eux comme si ils prenaient le thé ensemble, là, sur une des tombes du cimetière.

 

Et j’aime ces dames affairées avec leurs sécateurs et leurs balayettes, qui viennent faire le ménage autour de la tombe de leur époux, comme elles ont toujours fait le ménage autour de lui quand il était en vie. Je peux les imaginer  sans peine râlant dans leur tête du désordre que le mort a encore une fois laissé derrière lui.

 

-     « Pourquoi il y en a qui ont des cabanes et d’autres rien du tout ? », me demande l’une de mes filles.

 

J’aime les monuments ridicules, et la beauté des tombes les plus simples, j’aime les éloges, les épitaphes et les remerciements, j’aime savoir qu’ici est enterré un grand général, là une grand-mère chérie, ici un sportif de haut niveau, là une résistante, ici un adolescent disparu trop tôt contre un platane, là une petite fille qui n’avait que six mois.

 

J’aime les oiseaux qui viennent chanter sur les tombes.

 

J’aime entendre les cimetières me parler de la vie.

 

-     « Regarde maman - conclut mon autre fille en attirant mon regard sur     l’une des tombes - il est bien entouré celui-là, on dirait un bébé qui vient de naître … ».

 

Certaines et certains ont peut-être lu la version ci-dessus datant de novembre 2011. Mes enfants ont grandi depuis les scènes que je décris. Mais je constate que malgré les tourments parfois rebelles de l'adolescence, aucun(e) ne rechigne à aller au cimetière le jour de la Toussaint. Comme une évidence qui reste. Et nous fêtons encore chaque année à cette époque la mémoire de nos ancêtres : nous préparons un repas où nous les invitons sous la forme d'un couvert réservé, assiette et verre garnis.  Nos ancêtres ? A force, celle qui trône sur la table avec le plus d'importance est Lucy, l'ancêtre de l'humanité, une femme sans race ni religion, une femme avec une âme et un ventre féconds, une femme universelle et généreuse, je peux l'imaginer ainsi en tous cas. Sa mémoire me permet d'intégrer toutes les nuances imparfaites et vivantes de ma famille, ses origines multiples et complexes, légitimes et illégitimes, longuement racontées, mythifiées, idéalisées, ou tues et planquées dans les caves et les greniers. Elle me permet de transcender les liens de sang ou de filiation pour penser les liens d'humanité, elle intègre tous ceux et celles qui ne représentent rien pour moi même si nous sommes de la même famille, et respecte ceux et celles que j'ai tant aimé, même si nous sommes de la même famille. Elle accueille tous les enfants légitimes et illégitimes, mort-nés, avortés, exclus, exilés, adoptés, conçus, désirés, rejetés, oubliés, adorés, et parfois juste aimés et aidés à grandir.

La vitalité de la mort

La vitalité de la mort

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La Part du Lion (2)

par Marie-José SIBILLE

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

 

Traumas et traumatismes dans la construction du soi :

La juste attribution des responsabilités.

 

Les thérapeutes ont ceci de commun avec les parents, que la meilleure chose qu’il puisse nous arriver après en avoir eu de « suffisamment bons », est de les quitter… suffisamment vite. Je parle bien sûr du lien de dépendance. Ce lien de dépendance, indispensable dans tout processus de croissance ou de guérison, perdure tant que le traumatisme que j’ai subi reste plus grand que moi. Telle l’antilope sous la patte du lion je n’ai tout simplement pas la force et la ressource de m’en dégager tout seul. Pendant ce temps là, mieux vaut souvent être dépendant d’une personne que d’une substance, bien que certaines personnes soient plus toxiques que l’alcool ou la drogue. Si vous vous rappelez l’histoire de Céline[1], il est probable qu’elle rencontrera nombre de faux prophètes dans son parcours, puisqu’elle a appris très jeune que ce qu’elle ressentait n’était pas la réalité.  

 

Entendons maintenant celle de Cyrille : ce que je peux dire de plus précis concernant cet homme encore jeune quand je le rencontre, c’est qu’il est absent. L’expression « se fondre dans les murs » semble avoir été créée pour lui. Il se tait bien sûr, murmure une vague réponse en tournant très vite le regard, puis le dos, quand quelqu’un le remarque assez pour lui poser une question ou simplement lui dire bonjour. Rencontrer son regard est impossible, ou plutôt serait possible, car Cyrille est fragile, mais d’une trop grande violence. Un espace thérapeutique peu intrusif lui permet de commencer à raconter son histoire. Et ce qui interroge le thérapeute dans son histoire, c’est son infinie banalité. Une telle absence d’évènement fait écho, comme le silence trop assourdissant d’un champ de bataille après la guerre, du moins est-ce comme cela que je l’imagine. Et telle d’ailleurs se relèvera être la réalité de l’enfance de Cyrille : il est né après une guerre terrible, innommée, non répertoriée dans les livres d’histoire de la famille, guerre dont il ne saura rien pendant de très longues années. Privé de la mémoire familiale par des parents voulant l’en protéger, il se retrouve à finalement compter les morts, l’absence de liens avec les grand-parents par exemple, en s’interrogeant sans cesse : qu’ai-je fait pour que le monde autour de moi soit aussi vide ? Est-ce moi la bombe atomique qui ai tout détruit à mon arrivée ? Alors je me tais, je me cache, je fais le moins de bruit possible, en espérant que d’autres sauront réparer les dégâts.

Champ de bataille

 

Un enfant ne peut pas comprendre, ne sait pas, que la souffrance du monde ne vient pas de lui. Il découvre le monde en même temps qu’il se découvre. Mieux : il incorpore le monde autour de lui pour construire son cerveau.

 

Il est miroir du monde.

 

Longtemps, longtemps il sera ce miroir avant de pouvoir passer de l’autre côté, du côté de ceux qui créent les images.

 

Nous pensons protéger l’enfant en lui taisant les secrets dont nous avons honte. Nous faisons alors le choix de lui en faire porter le poids sans lui en donner la clé. Il devra traîner de lourdes malles d’un grenier à l’autre des maisons qu’il habite, sans jamais pouvoir découvrir leur contenu. Peut-être choisira-t-il la rupture, l’amnésie, avec toutes les conséquences que cela peut avoir, par exemple sur ses processus d’apprentissage. En effet, puisqu’il y a des choses essentielles que je dois oublier, alors je vais tout oublier. Et nous trouvons des enfants et des jeunes, non seulement sans mémoire familiale, mais aussi en grande difficulté pour mobiliser leur mémoire sur les apprentissages culturels indispensables. D’autres au contraire, c’est le cas de Cyrille, ne peuvent quitter la maison familiale tant ils pensent être la cause du désastre. Et ils restent à rôder autour de leurs parents vieillissants, en espérant comprendre avant qu’ils ne disparaissent. Les secrets de famille peuvent avoir des effets totalement comparables au traumatisme. Ils sont d’ailleurs la conséquence de traumatismes passés, vécus par les parents, ou certains ancêtres pas trop éloignés.

 

Je sais votre curiosité : quel était donc le secret des parents de Cyrille ? Peu importe au fond. Il n’est pas forcément utile de dire à l’enfant le contenu d’un secret qui ne le concerne en rien. Juste lui dire qu’il y a quelque chose de difficile que nous avons vécu en tant que parents, que peut-être il peut sentir par certaines de nos attitudes, mais que pour l’instant nous ne pensons pas qu’il est bon pour lui de lui en parler. Cela peut être une des nombreuses manières de mettre en mots quelque chose d’un allégement pour l’enfant. J’ai développé dans un autre article[2] comment dans certains cas les malles du grenier ne s’ouvriront jamais, et comme il est important de savoir vivre avec le mystère. Il en est ainsi par exemple de certaines naissances qui resteront à jamais cachées. Faut-il alors que l’enfant passe sa vie à la porte de l’institution qui lui refusera à jamais le droit d’accès à ses origines ? C’est le cas aussi quand les porteurs de mémoire sont morts en emmenant leur secret dans la tombe. Faut-il faire appel aux médiums et à leurs guéridons pour les interroger encore et encore dans l’au-delà de la mort ?

L’humanité a inventé le rituel pour pouvoir faire face aux situations qui n’ont pas de solution, pour répondre quand il n’y a pas de réponse possible. La mort est le meilleur exemple de cette communication interdite, et c’est pour cela que les rituels les plus anciens concernent l’accompagnement des mourants et la séparation d’avec les défunts. L’humanité a aussi inventé l’art pour pouvoir exprimer toutes ces idées confuses, ces sensations obscures, ces émotions fracassantes qui sont trop à l’étroit dans la rationalité du langage, ou alors faut-il que ce soit un langage poétique, métaphorique, artistique.

 

A l’occasion d’un stage de psychothérapie sur les Ancêtres, stage qui utilise fortement les deux dimensions du rituel et de l’expression créatrice en plus des apports de la psychogénéalogie, Cyrille va trouver l’énergie pour fouiller le passé familial. En effet, le groupe le soutient suffisamment pour se risquer à rompre le silence de ses parents, un peu comme une fraternité choisie, lui qui n’a eu ni frère ni sœur. Il pourra enfin procéder à la juste attribution des responsabilités, rendre aux ancêtres et à ses parents ce qui leur appartient, comprendre qu’il n’est en rien coupable d’un crime innommable et inconnu, s’approprier sa vie.

 

Cette étape est essentielle dans un processus thérapeutique qui nous aide à devenir, un jour, plus grand que les traumas que nous avons vécus. La juste attribution des responsabilités, c’est dire qui est le grand et qui est le petit, qui est le fort et qui est le fragile. C’est dire aussi que les forts ne protègent pas toujours les fragiles, et que les grand n’aident pas toujours les petits à grandir. C’est faire un acte de justice, tout en nommant l’injustice de notre humanité commune. C’est une étape indispensable chez la personne traumatisée que de reconnaître son état de victime. En disant cela, je sais aussi le nombre de ceux qui ont du vivre et mourir sans. Si chez l’enfant, la juste attribution des responsabilités et l’accompagnement se font rapidement, nous pouvons imaginer qu’il pourra vite considérer son trauma, pour peu que celui-ci soit relativement contenu dans le temps, comme un accident de la vie, comme une – très douloureuse – chute à bicyclette.

 

Il pourra se relever et passer à autre chose, et même accepter de remonter à bicyclette, d’aimer à nouveau, et de faire confiance, tant la force de vie ne demande qu’à vivre.

 

Il n’aura pas à mettre en place des mécanismes d’évitement et de défense, très couteux en énergie vitale et psychique.

 

L’enfant ne sera pas obligé de se morceler intérieurement, afin d’oublier le traumatisme qu’on ne veut pas lui reconnaître.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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