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PLUS OU MOINS PSYCHOTHERAPEUTE?

par Marie-José SIBILLE

publié dans Le métier de Psychothérapeute

Psychothérapeute, ni plus, ni moins (2ème partie[1]) :

Réflexion sur la loi du 20 mai 2010, relative à l’usage du titre de Psychothérapeute, et publiée au JO du 22 mai[2]

 

La loi réglementant l’usage du titre de psychothérapeute devient applicable à partir du 1er juillet. C’est une loi injuste, insatisfaisante, qui selon l’optique que l’on prend,  vide un mot de tout contenu, ou une profession de tout titre fédérateur.

Bien sûr, nous survivrons. Et notre pratique aussi, car elle offre aux usagers, il faut le dire et le redire, des alternatives introuvables dans les institutions actuelles : tant dans le domaine du soin des blessures de la vie, que dans celui de l’affirmation de soi face aux complexités psychosociales actuelles, en particulier dans le monde du travail ; tant dans le domaine du développement de l’intelligence émotionnelle et relationnelle, que dans celui de l’équilibre psychocorporel ; tant dans le domaine du développement de l’enfant, du couple et de la famille, que dans celui du développement psychoaffectif de l’adulte, qui semble faire défaut à nombre de personnalités dites de pouvoir.

Mais à quel prix survivrons-nous ?

Vais-je garder ce titre de psychothérapeute ? Soit grâce à la clause « du grand-père », qui cherche à préserver la susceptibilité des professionnels déjà en activité depuis plus de cinq ans ;  soit en complétant ma formation selon les critères de la loi.

-          Au risque d’utiliser un mot vidé de son sens ?

-          Au risque de devenir un instrument dans un système à la fois étatique et soumis aux immenses pressions du privé, tel que se présente la santé publique en France aujourd’hui ?

Vais-je prendre le maquis pour continuer ma pratique hors du regard de la loi ?

-          Au risque de ne pas participer pleinement au changement social qu’apportent la pratique et les valeurs de la psychothérapie indépendante ?

-          Au risque de confondre marginalité créative et coupure du monde social?

Vais-je me battre à visage découvert ?

-          Au risque  que l’énergie mise dans le combat nourrisse les plus forts et ne se retourne contre moi en me rendant trop visible ?

-          Au risque que ce combat ne soit pas le bon, et me détourne de combats plus importants, comme par exemple le développement de ma pratique clinique, ou celui de l’indispensable écriture professionnelle ?

Cet article se veut une réflexion sur ces thèmes, dans la continuité de mon article de mai 2009, « Psychothérapeute, ni plus, ni moins » ; il est  également nourri des nombreux témoignages et commentaires que ce premier article a suscité, et dont je remercie sincèrement  les auteurs.

 

LA LOI EST DURE MAIS C’EST LA LOI ??

 

La loi est là. Une loi accueillie avec autant de joie par une organisation aussi sectaire - au sens premier du terme, qui signifie « couper » - que celle de la Miviludes, a toutes les chances de ne pas être une loi suffisamment bonne.

Qu’entends-je par « loi suffisamment bonne » ? Une loi qui suit les règles de la démocratie, c’est-à-dire une loi qui a pour mission de faire mieux vivre ensemble des enjeux différents voire opposés, de mettre suffisamment de « nous » dans les différents « je » collectifs. Il est impossible me semble-t-il de penser la société, même dans un pays comme le notre, comme une entité unie, à la manière dont nous parlions avant de la patrie, de la nation, ou de la terre de nos ancêtres. Ces termes d’ailleurs avaient déjà été mis en avant pour fédérer des peuples régionaux indépendants, créatifs et batailleurs. Non. Notre société mosaïque, reflet de la complexité souvent bienvenue de notre siècle, se compose de tribus, communautés, sectes, partis, corporations, lobbies, familles, mafias, castes et classes, mais aussi de puissants courants qui brassent le tout et permettent les échanges. La plupart du temps, les lois sont forgées par les groupes dominants au profit de leurs propres membres. Cet état de fait est mis en oeuvre de manière plus ou moins subtile, très caricaturalement aujourd’hui en France. La démocratie se réduit-elle alors au sacro-saint suffrage universel ?

La démocratie, c’est le pouvoir du peuple. A l’origine, le mot « peuple » se référait à l’ensemble des habitants d’un espace commun (pays, ville, continent, …). Ce n’est que plus tard qu’il a été dévalorisé – par les classes dirigeantes – pour ne plus représenter que les classes supposées inférieures, c’est-à-dire non incluses directement dans les appareils de pouvoir quels qu’ils soient.

Rappelons donc le plus souvent possible que « peuple » veut dire « totalité » ; une totalité non pas unanime, ni monochrome, mais reliée, mais ensemble, même dans le conflit.

Une loi suffisamment bonne c’est une loi dont tous les acteurs, toutes les personnes concernées, sont partie prenante.

Sinon c’est une loi qui coupe, qui exclut, qui marginalise, qui commet le meurtre symbolique d’une partie de la population.

Et cette loi qui veut régir l’usage du titre de psychothérapeute, loin de nous réunir, nous sépare ; loin d’améliorer le vivre ensemble, veut la guerre et la domination du plus fort ; loin d’être bâtie sur la concertation et l’écoute de toutes les parties, est construite dans le clivage et le déni de notre expérience. Elle cherche à diviser pour mieux régner, en privilégiant de manière éhontée les titres médicaux, universitaires et la psychanalyse.

Quel est le but alors ? De toute évidence, et quel que soit le sujet d’actualité que l’on observe en ce moment en France, le but actuel du pouvoir semble être … le pouvoir ; et en particulier le pouvoir économique. Les moyens mis en œuvre ? La brutalité et la force abusive, mais aussi l’ignorance, et le désir d’y rester. Peu de place ici pour le dialogue et l’enrichissement par la différence, pour la justice, la nuance ou l’ouverture d’esprit. Ceci étant, cette loi a réussi l’exploit de mobiliser contre elle la plupart des acteurs « psy » que sont les psychiatres, les psychologues, les psychanalystes et les psychothérapeutes. C’est très encourageant.

La loi vide le mot de « psychothérapeute » de la signification qu’il a acquise depuis quarante ans, sans même parler de ses origines antérieures, passionnantes à étudier mais qui dépassent le cadre de cet article. Elle le vide de sa substance en lui enlevant ce qui faisait sa spécificité : l’implication personnelle du praticien dans le travail psychique, la formation longue et expérientielle, les systèmes de supervision et de covision, la reconnaissance par ses pairs plus expérimentés, et de préférence indépendants de toute école, le type d’espace thérapeutique proposé aux patients que ce soit en individuel, en famille, en couple, en groupe.

Elle garde le contenant, et s’approprie le contenu en le modifiant complètement. Sous prétexte de faire barrage à quelques charlatans, au mépris de la réalité complexe que leur existence signale, et surtout avec le présupposé extrêmement discutable que l’université est un – voire le seul –  critère d’éthique professionnelle, cette loi pourrait rejeter hors du champ de la reconnaissance sociale des milliers de praticiens ; prenant donc paradoxalement le risque qu’elle voulait – au moins officiellement – éviter, à savoir créer des zones de non droit, où la loi de la jungle et les risques de pratiques abusives pourront éclore et continuer de se développer sans aucun contrôle.

Les « charlatans », je rappelle que le mot désigne les vendeurs de potions médicinales sur les marchés (!) existeront toujours, dans tous les domaines, et quels que soient les formations exigées. Nous vivons une société suffisamment complexe pour que charlatans et bonimenteurs de tous genres, voulant nous vendre leurs potions miraculeuses et leurs discours empoisonnés, soient légion. Il y a des chamans très sérieux, il y a des médecins complètement pervertis, et l’inverse. Et qui peut ignorer, même sans être paranoïaque, que le lobbie pharmaceutique a plus de poids que celui des psychothérapeutes !

Ceux qui voudront se soumettre aux exigences de cette loi dans une adhésion pure et simple, devront donc peut-être renoncer à une part importante d’eux-mêmes, et de ce qu’ils proposent à leurs usagers.

Ils devront par exemple, accepter la supériorité de la formation intellectuelle de type universitaire sur la formation expérientielle, renoncer à l’indépendance institutionnelle, reconnaître la psychopathologie comme élément essentiel de l’anthropologie de notre profession, la liste est longue. Elle agit ainsi comme un couperet, dans le déni des valeurs, irréductibles selon moi, qui sont les nôtres.

Faut-il pour autant renoncer si facilement à ce titre ?

En ce qui me concerne, je ne veux la place de personne.

Beaucoup de psychiatres et de psychologues font un travail formidable, le leur. Que ce soit dans le champ de la santé mentale, du respect des malades en France, ou dans des domaines très institutionnalisés, comme celui de la protection de l’Enfance par exemple, nous avons heureusement des professionnels de talent pour monter au créneau. Dans ces espaces sociaux, et dans bien d’autres en rapport avec les pathologies lourdes, l’extrême pauvreté de plus en plus présente dans nos villes, les combats majeurs comme le scandale des malades mentaux dans les prisons françaises, nous, psychothérapeutes indépendants, ne pouvons apporter, si possible avec humilité, que l’apport de nos approches thérapeutiques et notre formation à une véritable écoute. Car les réponses institutionnelles sont prioritaires. On leur amène sur un plateau une reconnaissance supplémentaire dont ils n’ont aucun besoin : que vont-ils en faire ? De plus, certains d’entre eux, nombre d’entre eux à vrai dire, ont l’humilité de se former à nos pratiques et d’adhérer à nos valeurs pour enrichir leur métier ; ou au minimum de respecter notre place et notre travail. Que demander de plus ?

 

« PSYCHOTHERAPEUTE » : UN TITRE ? UN METIER ? DES METHODES ?

 

Il semblerait donc que le mot de Psychothérapeute risque de nous échapper.

Un mot habité par des dizaines d’années de pratique clinique, de sueur et de larmes pourrait-on dire, mais aussi de grandes victoires, d’innovation, de vitalité, d’ouverture d’esprit, de changement social.

Un mot qui a acquis sa maturité grâce à nous, car c’est nous qui l’avons nourri et éduqué quand il était petit, nous qui avons essayé, et essayons encore, de tempérer les excès de son adolescence. Il semblerait qu’il ait acquit son statut de jeune adulte ; maintenant qu’il est véritablement capable de nourrir le collectif et d’être vecteur de changement social, maintenant qu’il est reconnu par les usagers grâce à notre travail, les puissants se réveillent pour piller ses fruits, nier les valeurs et les règles déontologiques qui l’ont nourri dès le berceau, contrôler son contenu de peur qu’il ne leur échappe, étant la plupart du temps à dix mille lieux de leurs préoccupations affichées. Et pourtant ces préoccupations sont celles du peuple, et se retrouvent au cœur de la souffrance psychosociale telle qu’elle explose aujourd’hui dans le monde du travail, y compris celui des fonctionnaires, dans le monde de l’éducation, et dans celui de la famille. Les conséquences en terme de coût pour l’ensemble de la société sont immenses.

Ceci dit, soyons heureux de constater que si cette loi sort du chapeau, c’est parce que nous avons acquis un pouvoir. Et que nous existons suffisamment pour que la loi s’intéresse à nous.  

Il semble que pour beaucoup de collègues la perte du titre de psychothérapeute n’ait pas trop d’importance ; le fait de pouvoir continuer à exercer sous d’autres noms, et en particulier en référence à une méthode bien précise, étant prioritaire.

Ce n’est pas mon positionnement, je l’ai déjà exprimé[3]. Mais tous les avis sont féconds, si ce n’est à prendre, au moins à écouter. Ce qui m’importe ici est de voir les questions que cela soulève.

 

Et la première concerne donc le sens de ce mot « Psychothérapeute ». L’argument souvent exprimé par les praticiens qui sont prêts à y renoncer, ainsi que par certaines de nos organisations professionnelles, est que la loi concerne le titre de  psychothérapeute, et non la pratique de notre métier. Ainsi nous pourrions continuer à l’exercer en changeant simplement l’intitulé. Mais donner naissance à un nouveau mot n’est pas si simple. Choisi dans l’urgence de la crise, et l’absence de consensus démocratique réel, même si nos organisations professionnelles appellent au calme et à la concertation, il risque d’être un emplâtre sur une jambe de bois.

Alors que recouvre le terme de psychothérapeute : un métier ? Un titre ? Des méthodes, donc une pratique ?

Rappelons quand même puisque nous interrogeons ici le pouvoir d’un mot, quelques origines des termes utilisés[4], afin de nourrir notre réflexion.

-          «métier » est issu de « ministère » : il fait référence à l’idée de serviteur, de service, de fonction dans le grand tout social. Mon métier est donc le vecteur de mon rôle dans le grand corps social, l’organe qu’il m’appartient de faire fonctionner au mieux.

-          «titre » est très amusant à déshabiller: il s’agissait à l’origine d’une affiche portée au bout d’un bâton dans les triomphes, affiche sur laquelle étaient inscrits le nombre de prisonniers et les noms des villes prises ! Je laisse votre imagination faire le reste … A signaler quand même que c’était aussi le nom du panneau où l’on relatait la vie du défunt lors des enterrements …

-          Quant au mot « méthode », je rappellerai juste qu’il signifie une route, une direction qui mène au but. Il fait référence dans notre cas à l’ensemble des outils que nous utilisons dans notre pratique. Malgré tout ce que nous devons aux fondateurs des différentes pratiques de notre métier, la méthode ne peut être une fin en soi, elle reste un moyen pour atteindre un but, quels que soient la complexité des paradigmes qui la soutiennent.

Ainsi, si l’on associe le mot « psychothérapeute » à un métier, nous parlons d’un contenant très fort, qui nous donne une place, une identité sociale, une fonction ; et surtout une qualité de service, une manière de nourrir le collectif, tout en assumant nos besoins économiques et de reconnaissance sociale.

Si nous ajoutons, de plus, que le mot « psychothérapeute » est un titre, nous disons qu’il nous identifie de manière claire dans le champ collectif, et, en se rapportant à l’origine, qu’il nous permet aussi de faire valoir nos victoires et nos réussites, tout en acceptant le regard de l’ensemble de la collectivité sur notre pratique.

Ces deux termes, métier et titre, non réductibles l’un à l’autre, sont des limites, à la fois symboliques et réelles, à la toute puissance qui pourrait parfois nous guetter, si nous ne sommes que les serviteurs d’une méthode, d’une famille, voire d’un leader charismatique, ou de nous-mêmes.

Ne sous-estimons donc pas le pouvoir du mot. Ne le renions pas trop vite, au risque de ressembler au renard de Monsieur de La Fontaine, qui trouvait les raisins trop verts, et bons pour les goujats, simplement parce qu’ils étaient hors de sa portée.

Pour beaucoup, c’est ce mot qui a servi de passeport à une nouvelle insertion dans le monde social. Certains - j’en fais partie - n’accordent pas ou plus d’importance, j’entends en termes de définition identitaire et professionnelle, aux méthodes qu’ils ont « cumulé » dans leurs diverses formations, universités, écoles, lectures et expérimentations en tous genres. Celles-ci se rejoignent dans leur « boîte à outils » et en fonction de leur travail, de la personne, de la situation (groupe, famille, couple, enfant, individu, collectivités, …) ils utiliseront la plus adaptée. Et n’hésiteront pas à les remettre en question, en fonction de l’avancée de la recherche, de la clinique et des opportunités de la formation continue.

Ces praticiens là ne peuvent s’identifier qu’au mot de psychothérapeute, qui a sa propre force. Quitte à lui adjoindre un adjectif pour spécifier son indépendance institutionnelle. De la même manière qu’il exprime déjà une autonomie par rapport aux différentes écoles et aux différentes méthodes.

 

Il est aussi indispensable de rappeler que, grâce aux combats et à l’acharnement de nos « grand-pères » et de nos associations professionnelles[5], nous avons habité ce mot d’une certaine manière ; en particulier en insistant sur l’autonomie par rapport aux thérapies institutionnalisées, qui ont leurs propres contraintes. Nombre de nos patients ne souhaitent pas consulter un praticien dans ce cadre. Ils en payent le prix d’ailleurs, puisque nous ne sommes pas remboursés par la sécurité sociale. Est-ce pour pouvoir affirmer leur autonomie de sujet ? Peut-être. Mais aussi, j’insiste sur ce point fondamental, pour rencontrer des opportunités thérapeutiques et de croissance personnelle à travers des espaces et des temps inconnus du monde institutionnel.

Pour l’anecdote, je regardais récemment un colloque organisé pour l’éducation nationale dans le cadre de la gestion du stress. Très péniblement, et sous le regard de pierre de leurs supérieurs hiérarchiques, quelques intervenants osaient soulever l’idée, tabou selon leurs propres dires, que le corps et l’émotion, ainsi que le développement personnel de l’enseignant et l’histoire de ses souffrances et de ses forces, interviennent directement dans sa capacité à faire face aux conflits intenses suscités par ce genre de métier. Incroyable, non ?

 

 

LA SOUFFRANCE ET LE STRESS DES PRATICIENS FACE A LA LOI.

 

Un certain nombre de collègues confrontés à cette loi expriment des sentiments forts, dont le moindre n’est pas, parfois, une grande peur de l’institution juridique ; mais aussi par exemple le conflit entre « je veux être reconnu » et « je veux être libre » ; celui entre « je veux être protégé » et « je veux pouvoir prendre des risques ». Des conflits intérieurs très typiques de l’adolescence, mais aussi de toute étape de la vie qui fait « crise », c’est-à-dire passage, à la fois souffrance et opportunité de changement.

En cas de sentiment d’impuissance à franchir le cap, le praticien pourra développer un fort sentiment d’incompétence de soi, et répondre par un isolement accru. Ceci est particulièrement vrai pour les professionnels débutants, n’ayant pas encore « assis » une clientèle suffisamment sécurisante pour leur avenir, a minima leur avenir économique, et devant donc faire face en même temps, à toute la pression que constitue l’installation en tant que professionnel libéral, ainsi qu’à la pression supplémentaire donnée par la loi.

D’autre part, certains, encore étudiants dans les écoles de psychothérapie privées, ou tout juste débutants, peuvent ressentir de forts sentiments d’abandon, de manque de soutien, voire de trahison de la part de leurs formateurs ou des professionnels plus anciens, en particulier ceux qui pourraient bénéficier de la clause du grand-père ; comme si un pacte avait été rompu, pacte dans lequel ils ont investi beaucoup de temps, d’argent, et de remaniement intérieur.

Il ne s’agit pas ici de « victimiser » ces praticiens, et les nombreux appels au regroupement venus des organisations professionnelles ne laissent personne, me semble-t-il, sur le carreau. Certaines même sont prêtes à aller en justice pour soutenir leurs adhérents.

Il s’agit juste d’entendre, le contraire serait un comble, l’ensemble des sentiments qui peuvent vouloir s’exprimer.

Se posent alors des questions évidentes :

-          Que faire face à ce déni de la part de la loi ?

-          Quelles réponses apporter au stress et à l’insécurité que sa mise en oeuvre peut provoquer ?

-          Etant donné notre présupposé professionnel toujours aussi révolutionnaire qui met la personne au centre du processus de réflexion, que disent les stratégies de défense individuelles de chacun de nous ?

Et d’abord quelles sont-t-elles, ces réponses possibles ?

Si nous devions les résumer sous leur aspect strictement défensif et souvent dysfonctionnel, nous pouvons donc répondre, en fonction de chacun :

-          de manière agressive et belliqueuse ;

-          de manière frileuse, voire collaboratrice, en se réfugiant sous une bannière ou une autre ;

-          de manière dépressive, dans le repli, la fuite et la perte de sens.

Ce que les anglo-saxons résument sous la jolie formule des trois « f », symbolisant trois types de réponse face au stress : « fight, freeze, fly ».

 

Déclinons-les pour notre profession, mais surtout pour chacun d’entre nous, dans leurs aspects positifs, et dans leurs risques :

-          choix d’une stratégie de combat : Accepter le risque de la désobéissance civile et du conflit avec la loi, soit en gardant le titre sans avoir les conditions requises, soit en affirmant clairement nos opinions dans les commissions et les médias, si nous répondons à ses exigences. L’intérêt est de soutenir l’existence d’un métier « différent », mais qui ne veut pas continuer à ne vivre que dans la marginalité. L’autre intérêt est de promouvoir la possibilité d’une « union sacrée » pour la résistance, et donc la fédération des professionnels jusque là en conflit les uns avec les autres. Est-ce le bon combat ? C’est une question indispensable à se poser, et à explorer sous toutes ses facettes, au risque sinon de se braquer dans des positions extrêmes et contreproductives.

-          choix d’une stratégie de repli, de non mobilisation : ici le praticien se sent peu ou pas concerné par la loi. Il préfère rester dans l’indéfinition professionnelle (thérapeute, praticien, ….) et dans la marginalité. Le risque est bien sûr fort de rester isolé dans sa « niche écologique », de « faire sa secte », ou tout simplement de se démotiver et s’épuiser. L’intérêt est de respecter le besoin d’alternatives hors système institutionnel du patient et du praticien, et de pouvoir explorer et promouvoir tous les outils méthodologiques que notre créativité nous fait rencontrer et nous inspire même s’ils ne sont pas cautionnés par l’université.

-          choix d’une stratégie que l’on peut appeler de négociation ou d’évitement, selon le regard et la manière de la mettre en oeuvre, avec deux variantes :

-          Intégrer l’institution avec reconnaissance, si nous le pouvons, ce qui fait irrésistiblement penser au mécanisme d’identification à l’agresseur ; il me paraît important de ne pas négocier avec ceux qui semblent nous inviter au dialogue et accepter notre présence, à la condition expresse d’exclure plus marginaux que nous.

Quant à la clause du grand-père, le risque est qu’elle permette de rendre suffisamment d’entre nous reconnaissants des bribes qu’elle nous laisse, et de la sécurité qu’elle nous offre, pour que nous oublions le combat originel. Les anciens soixante-huitards reconvertis au libéralisme en sont un bon exemple. C’est assez classique dans l’histoire, non ? Mais bien sûr, cette clause peut être aussi un « cheval de Troie » pour faire positivement avancer nos valeurs à l’intérieur des institutions.

-          S’identifier à une méthode, une famille, une école. C’est un choix respectable, pour des gens qui ne se reconnaissent pas dans ce combat plus général et politique ; c’est tout à fait leur droit.

 

Je me dois ici de partager mon positionnement : savoir tenir est parfois plus difficile que de savoir lâcher. Je peux aujourd’hui choisir, c’est une chance, entre chacune des trois options que j’ai présentées. Si je tiens au titre de Psychothérapeute, et au métier qu’il décrit mieux que tout autre terme, c’est que ce mot a été pour moi … thérapeutique, dans mes relations pour le moins conflictuelles avec l’ordre établi. Il m’a permis de sortir de la marginalité, où je n’étais pas si mal, mais frustrée de ne pouvoir mieux collaborer à l’amélioration de la société, tout en me permettant d’avoir le minimum de reconnaissance sociale qui montre que l’on se sent concerné par l’ensemble. D’autre part, dans la complexité qu’il suppose, il m’a permis d’intégrer toutes les facettes de mon parcours, des plus marginales aux plus orthodoxes.

Le pire me semble-t-il aujourd’hui, serait de vouloir éviter le pire. La question de la collaboration ou de la résistance est toujours d’actualité, elle n’est pas liée à une période historique déterminée, elle est constitutive des dynamiques de pouvoir qui président à l’évolution des sociétés.

Que sacrifierons-nous de nous pour une pseudo reconnaissance illusoire ?

Mais qu’accepterons-nous, à l’opposé, de remettre en question pour pouvoir se servir de ce défi lancé par la loi pour nous améliorer et avancer ?

Que voulons-nous ?

Trouver une place sécurisante dans la société ou continuer d’ouvrir de nouveaux chemins : essayer d’agir non pas comme une contre-culture ou un contre-pouvoir, qui ne servent souvent qu’à nourrir le plus fort, mais comme des agents de changement qui, dans leur décalage indispensable, sont de véritables acteurs de transformation collective ?

De là la nécessité de développer des idées autres que la simple revendication de notre titre, des idées fécondes, mais aussi identifiables et lisibles extérieurement comme étant le produit de la psychothérapie indépendante en tant que «  culture d’à-côté ». Le décalage, qui n’est pas la rupture et la marginalisation, peut être beaucoup plus efficaces que l’opposition frontale.

Mais pouvons-nous par ailleurs continuer à revendiquer ce titre comme étant celui qui nous identifie le plus clairement ? Et l’utiliser pour garder le contact avec les institutions et ainsi faire mieux connaître nos méthodes et nos valeurs humaines, tout en gardant notre intégrité ?

 

SERVICE PUBLIC OU INTERETS PRIVES ? CE QUESTIONNEMENT EST AUSSI AU CŒUR DE NOTRE PROFESSION.

 

Face aux enjeux actuels, qui confrontent en même temps tous les besoins de base de chacun d’entre nous, depuis la sécurité jusqu’à l’appartenance et la reconnaissance, ce questionnement pourtant fondamental pour notre profession peut sembler hors sujet. Quand un pays est attaqué, peu importe d’où vient la résistance, pourvu qu’elle existe.

Mais.

De jeunes psychothérapeutes ou étudiants, ainsi que des praticiens bien établis, peuvent se sentir facilement manipulés, malmenés ou non concernés par ces différentes instances que sont :

-          la société civile et ses lois, mais surtout ses pouvoirs ;

-          les écoles et instituts privés de formations avec leurs méthodes, leurs leaders, et leurs enjeux économiques et leurs luttes d’influence ;

-          les organisations professionnelles certaines indépendantes, d’autres peu différenciées des précédents ;

-          les associations professionnelles qui essaient de fédérer des praticiens d’une méthode en dehors des formateurs-fondateurs ; et celles qui restent comme des relais de la pensée de leur fondateur.

-          les associations indépendantes, locales, qui essaient de faire se rencontrer des psychothérapeutes de toutes origines, y compris ceux qui ne veulent pas de ce titre.

Vers qui se tourner en ces temps de crise ? Avec qui collaborer ?

Ma position est que les organisations professionnelles doivent se libérer autant que faire se peut des intérêts, en particulier économiques, mais aussi d’influence, des acteurs privés de la psychothérapie, pour devenir un véritable service public de la profession, et ce, grâce à l’impôt de nos cotisations.

De toutes façons, ne serait-ce que grâce au charisme et à l’influence acquise de leurs leaders, à l’efficacité de leurs méthodes et de leurs formations, et à leur capacité à se vendre, ces instituts survivront, quels que soient les titres que prendront ou ne prendront pas leurs étudiants.

Donc nous devons agir à un autre niveau si nous croyons au service public à l’intérieur de la psychothérapie, et au métier, ainsi qu’au titre, de psychothérapeute. Il nous faut vraiment déplacer le combat. Etre un lobbie certes, nous le sommes, même petit, mais clairement pas au nom d’intérêts privés de type économique dont les dirigeants se mettraient d’accord pour sauvegarder leurs territoires respectifs.

Les enjeux financiers des écoles privées sont considérables, et certains positionnements de leurs leaders face à leurs étudiants, collègues et contradicteurs pourraient se résumer à : « ne touchez pas à mon fond de commerce et faites-moi confiance, on s’en sortira toujours, peu importe ce que dit le système en place » ; je ne peux cautionner ce discours, ni même chercher à défendre de manière indirecte ce fonctionnement.

Il ne s’agit pas ici de critiquer ou de faire une leçon de morale. J’ai trop conscience de ce que je dois aux différentes formations, et parfois formateurs, dont je suis issue pour aller dans ce sens. La position des acteurs privés de la psychothérapie que sont les écoles et les instituts est fondamentale ; c’est grâce à eux que la psychothérapie, qui s’est nourrie de l’apport de nombreux théoriciens universitaires, a pu et su trouver une pratique clinique et une déontologie bien particulières, introuvables en institution. Mais ils ne représentent pas l’ensemble de ce que nous devons proposer aujourd’hui. Nous devons réfléchir aux différents pouvoirs à l’œuvre dans notre profession, et comment les équilibrer.

Le pouvoir de type « médiatique » totalement indépendant que j’utilise ici pour communiquer en fait partie. Il n’a pas d’autre objectif que d’apporter sa pierre à la réflexion collective, surtout dans ce contexte où nos organisations sont très mobilisées au quotidien pour réagir.

Pour réorganiser les pouvoirs à l’œuvre au sein de notre profession, nous pourrions mettre en place une organisation véritablement indépendante des chefs d’école qui pour l’instant ont à la fois conquis le territoire, mené la plupart des combats, amené de grandes innovations et expériences, construit les formations expérientielles qui sont les nôtres, mais aussi pris toutes les décisions nous concernant. Ce serait un bon moment pour eux de faire naître quelque chose de ce genre,  ce serait un autre moyen de transmettre. Mais peut-être en ces jours où tout bouge, cela est-il déjà fait au moment où j’écris ces lignes.

 

INVESTIR LA DEMOCRATIE

 

Le problème n’est pas le combat à mener, mais de perdre le lien dans ce combat, ou de vivre le combat sans liens.

Que faire collectivement face à cette offensive du pouvoir ? Nos organisations professionnelles appellent au regroupement, à l’union, au calme, à la confiance, mais parfois me semblent-ils renoncent trop facilement à notre titre, même si tous déclarent qu’ils iront jusqu’au bout de tous les recours légaux possibles, y compris au niveau européen. Ce combat est essentiel.

Une erreur pourrait pourtant être de croire au dialogue possible à équivalence avec les pouvoirs politiques à l’oeuvre, de rationaliser face à une pulsion militante, et dominante, la leur, présentée comme une succession d’arguments de bon sens, où le psychothérapeute indépendant représente une menace. Notre colère, et donc parfois aussi nos propres pulsions, ne peuvent qu’augmenter face au « disque rayé » que renvoie les responsables de cette loi, ou ses promoteurs, aux discours pourtant hautement compréhensibles et argumentés qui lui sont proposés. Nous sommes face à une émotion, mais aussi à un instinct d’accaparation du pouvoir. Les puissants veulent dévorer le monde et ne sont prêts à laisser que des miettes. Voulons-nous être les hyènes qui se jettent sur les restes dédaignés par les lions ? Voulons-nous être les militants naïfs broyés par les chars qui leur sont opposés ?

Et surtout sommes-nous capables de faire face aux lions ? En ce qui me concerne, je ne me sens pas l’âme d’un grand prédateur ; mon animal totem, c’est plutôt la chouette, mais je peux reconnaître le requin blanc et le tigre quand je les croise …

Faire directement face à ces prédateurs, c’est surtout leur donner des proies pour se nourrir davantage …

Il me semble que la seule solution reste d’investir la démocratie :

-          soutenir la démocratie dans nos propres instances professionnelles, privilégier des responsables largement indépendants des intérêts économiques à l’œuvre, et ceci en leur permettant l’autonomie financière que requiert un véritable service public de la profession.

-          soutenir les assemblées participatives telles qu’elles sont de plus en plus proposées par les organisations professionnelles localement et nationalement.

-          soutenir la création d’associations locales ou de représentants pour que tout ne soit pas centralisé à Paris ou dans le sud-est …

-          fuir les guerres de chapelle et d’écoles et chercher le consensus fort, celui qui inclut la conflictualisation, mais privilégie les points de rencontre.

-          Et aussi, point auquel je suis particulièrement sensible et que je développe dans les deux paragraphes suivants : transmettre et communiquer.

 

 

TRANSMETTRE : SE RECONNAITRE DANS UNE CULTURE COMMUNE POUR POUVOIR NOURRIR LE COLLECTIF

 

La complexité de la pensée et de la pratique, qui est notre richesse, nous conduit parfois vers le piège du morcellement.

Nous sommes encore trop souvent dans une phase où chacun essaie de différencier sa méthode plutôt que de s’approprier le mot de psychothérapeute. La psychanalyse et la psychologie clinique ont réussi cette unification. Pour l’instant, nous y avons échoué. A notre décharge, nous n’avons pas bénéficié, comme la psychologie clinique, du support de l’institution universitaire. Quant à la psychanalyse, elle est née dans un temps où un penseur génial faisant école pouvait suffire à changer durablement la vision du monde et de la culture. Nous souffrons donc, pour ce travail d’unification, des difficultés propres à notre époque, et de celles que nous portons, en tant que dignes représentants de cette société : individualisme et valorisation de la créativité individuelle, refus des grands systèmes de pensée pouvant conduire au dogmatisme, et par là même, multiplication de « micropenseurs » faisant chacun école, l’universalisation allant de pair avec le morcellement de la pensée et de la pratique. Tout d’un coup, mais dix fois par jour, un praticien redécouvre le monde à travers une idée qu’il trouve géniale, et comme souvent il n’est pas passé par la lecture des classiques et n’a pas fait ses humanités, il ignore que les Peuples premiers, Platon, Lao Tseu, Les évangiles ou Freud ont dit la même chose bien avant lui. Cela donne « une nouvelle méthode de psychothérapie » qui va essayer de démontrer à quel point elle est différente et meilleure, oubliant qu’alors le collectif même des psychothérapeutes en pâtit, que cette pseudo-créativité, qui n’est que perpétuelle redécouverte, sert de support d’affirmation à l’individu mais nuit à l’ensemble. Est-ce que je dis par là qu’il faut renoncer à cette créativité et suivre l’unanimité d’une nouvelle Eglise, bien sûr que non. Juste reconnaître la créativité individuelle de chacun comme un apport à la profession de Psychothérapeute, à condition bien sûr que celle-ci ne soit pas récupérée par quelques prophètes fondateurs, mais soit considérée comme un héritage véritablement collectif, une culture commune, à faire fructifier démocratiquement. Nous en sommes loin. Et peut-être tous proches.

 

COMMUNIQUER : CREER UN MEDIA LIBRE ET INDEPENDANT : « LE JOURNAL DES PSYCHOTHERAPEUTES »

 

Un tel journal pourrait aider, comme dans toutes les professions, à l’objectif du précédent paragraphe. Une de mes surprises quand j’ai intégré la profession, et une de mes recherches récurrentes, a été de ne pas trouver d’organe de presse fédérateur de la profession, libre et indépendant de toute école, comme de toute institution, reflet de nos combats, mais aussi agent de transmission de toutes nos recherches et de notre expérience, et assumant notre titre. C’est tragicomique de voir les collègues hésiter entre s’abonner à Psychologies magazine, au « Journal des psychologues », ou aux « Cahiers de la psychanalyse » ; de voir des « cahiers » propres à chaque méthode si bien fournis et aucune publication qui soit le porte-parole de l’ensemble de la profession ; de voir quelques tentatives, portées par des groupes ou des individus, que je ne citerai pas pour ne pas réveiller de vieilles blessures, ne pas aller jusqu’au bout en assumant le titre dans leur titre, et finalement avorter ; ou encore ne pas revendiquer ce combat et finalement se noyer dans l’indifférencié.

-          Créer le « Journal des Psychothérapeutes », ce serait avoir une voix entendable et lisible.

-          Créer le « Journal des Psychothérapeutes », ce serait reconnaître le métier et notre culture commune, pour qu’ils émergent enfin des méthodes.

-          Créer le « Journal des Psychothérapeutes », ce serait une possibilité d’action et d’expression offerte à des responsables et des auteurs libres et indépendants de toute école privée, comme de toute institution publique.

Peut-être est-il déjà trop tard, et aurait-il fallu le créer il y a déjà longtemps. A mon avis, nous avons loupé un sacré coche. C’est un des points où les intérêts des acteurs privés, des promoteurs d’une méthode, sont entrés selon moi en conflit avec la collectivité des psychothérapeutes.

Mais peut-être pouvons-nous encore y croire ? En tous cas je lance non seulement l’appel – car je pense et j’espère que l’idée a été évoquée de multiples fois avant moi, même si je ne l’ai jamais lue ou entendue – mais je me propose de participer activement à sa fondation.

Nous en avons besoin.

J’attends vos retours à ce sujet en particulier !

 

NOTRE EXISTENCE EST LEGITIME

 

Voici venu le temps des infinies négociations avec le réel.

Le temps, semble-t-il, de l’âge adulte pour notre profession, le temps où les intérêts privés devraient donner naissance à une conscience collective.

C’est un défi incontournable ; il est inutile de nier qu’il y aura un avant et un après, pour chacun d’entre nous, et pour nous tous collectivement ; c’est un rituel de passage, et je crois que nous avons les moyens d’atteindre l’autre côté. Des moyens dont beaucoup passent aujourd’hui par  la confrontation au politique.

Le politique nous concerne aussi, tout dépend comment on le définit. Comme un combat permanent de boucs en rut, et de chèvres moins souvent, ou comme le « mieux vivre ensemble » indispensable à l’humanisation.

J’espère, dans cette confrontation, arriver à ne pas renoncer aux valeurs fondatrices et irréductibles de notre profession.

Mais j’espère aussi ne pas renoncer à notre titre et à notre métier, au mot de « psychothérapeute » et à la force qu’il dégage.

Je souhaite enfin apporter ma part et trouver ma place dans ce combat, ni plus, ni moins.

C’est difficile : je suis, sans doute comme la plupart d’entre vous, déjà saturée par les exigences, même heureuses, du quotidien.

La tyrannie gagne toujours ainsi. Les travailleurs épuisés, les mères de famille nombreuses vidées jusqu’au fond des tripes, tous ces gens n’avaient plus la force de se battre.

Jusqu’au jour où …

 

Marie-José Sibille

Psychothérapeute, formatrice, auteure

Fini d’écrire à Lasseube, le samedi 26 mai 2010



[1] Si cet article ne vous parvient pas via mon blog, vous pouvez lire la première étape de ce partage, sur mon blog : Psychothérapeute, ni plus, ni moins

 

[2] L’AFFOP a mis en place des liens très pratiques sur son site pour consulter cette loi, au cas où vous seriez rebutés par la noyade dans les différents sites administratifs.

Sinon : http://www.legifrance.gouv.fr/home.jsp

 

 

[3] Dans « Psychothérapeute n plus, ni moins » déjà cité.

[4] Toutes les origines des mots sont issues du dictionnaire historique de la langue française sous la direction d’Alain Rey. Editions Le Robert, 2000. Une mine !

[5] Je rappelle les principales, pour que vous puissiez consulter leurs sites si ce n’est déjà fait : FF2P, Psy en mouvement, PSY’G, SNPPsy, AFFOP.

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SEA, SEX AND SUN ?

par Marie-José SIBILLE

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

SEA, SEX AND SUN ?

Quelques dommages collatéraux de Mai 68

 

 

« 69, année érotique… »

Serge Gainsbourg et Jane Birkin

 

 

Avertissement : J’ai écrit et publié cet article en 2004 pour la revue Adire, revue professionnelle de l'Analyse psycho-organique.  J’hésitais alors à le mettre sur mon blog car les attaques rétrogrades contre mai 68 n’ont pas manqué dans les dernières années, et je ne voulais pas que cet article puisse être lu dans ce sens. Ces attaques se multiplient aujourd'hui, de même que les témoignages et les dénonciations d'artistes, d'incestes, de pratiques problématiques. Alors, faut-il tout jeter des années 70 ? Je vous laisse décider, quant à moi, malgré le prix payé, je ne souhaiterai pas revenir en arrière ! Juste interroger les abus voire les crimes, l'inconscience aussi de l'époque.

 

 

Hiver 2004 : la loi Veil sur l’IVG a trente ans, le MLF trente-quatre. J’écris cet article sur fond de musique actuelle inspirée des années 70 et je me crois revenue à l’âge de quinze ans. Une nostalgie me prend. Mais non, « les années 70 c’est simplement la dernière période de créativité musicale, c’est pour ça qu’on y revient » me dit une jeune femme de vingt ans, reprenant inconsciemment le leitmotiv des soixante-huitards, à savoir qu’ils sont les derniers à avoir eu des idées ; leurs petits frères et sœurs et encore plus leurs enfants, sonnés par la crise (1973) et le chômage[1], déçus par les années Mitterrand, abrutis par la société de consommation, la télé et la pub, recroquevillés dans un individualisme protecteur qui ne se fissure que pour surfer sur le Net, ne savent pas se montrer dignes des idéaux révolutionnaires et de la liberté qu’ils leur ont légués.

Du moins c’est ce qu’ils disent.

Hiver 2004 : j’écris cet article et je vois « Les Invasions Barbares ». Tout y est dit. Si vous voulez voir les images qui vont avec le texte qui suit, merci de regarder ce film. Vous ne risquez que de voir un chef d’œuvre.

Hiver 2004 : les corps libérés crèvent de faim sur les trottoirs, le tout sécuritaire et le tout économique envahissent notre société. Le hard sexe, les strings pour fillettes de 8-12 ans, les clubs échangistes promus à la télé et la pédophilie sur le Net semblent narguer les créateurs du « peace and love ». Les soixante-huitards rechignent à partir à la retraite et à passer le flambeau, et critiquent leurs descendants comme toutes les générations qui les ont précédées. Ils ont rêvé, certes. Mais le passage du rêve à la réalité les a vu se reconvertir dans un pragmatisme subtilement moralisateur, le prix du pouvoir sans doute, quand ils ne se sont pas réfugiés dans un infantilisme désocialisé en le laissant, ce pouvoir, aux mains des bureaucrates et des faiseurs d’argent.

Entre colère et tendresse, je leur dédie ces lignes.

 

Je suis née en 1961, j’ai donc abordé le troisième millénaire avec cette quarantaine propice à toutes les expressions et prises de position. Je fais partie d’une demi-génération restée jusque là globalement silencieuse, mais qui commence maintenant à s’exprimer en ayant moins peur d’être politiquement incorrecte et en osant remettre en question les générations précédentes.

Chaque génération devrait pouvoir oser la déconstruction des représentations sociales de ses prédécesseurs. Mais c’est plus difficile quand ces ancêtres encore jeunes sont censés nous avoir légué la liberté et l’égalité, surtout sexuelles. Comment ne pas leur être reconnaissant d’avoir brisé les tabous, aboli les frontières, libéré les corps du puritanisme rigide et des dictats de la procréation qui les encorsetaient depuis quelques siècles ?

Ma naissance en début de décennie me facilite le travail. Adolescente, je me suis glissée pile entre mai 68 et le retour de bâton des années SIDA. A quelques années près, je ne serais pas en train de vous parler maintenant.

Une demi-génération trop tard pour faire la révolution, une demi-génération trop tôt pour mourir dans un hôpital, des perfusions plein les bras.

Pour une partie des gens de mon âge, mais soyons clairs aussi de mon milieu socioculturel, car si nous partageons la même planète, nos mondes sont innombrables et souvent radicalement différents, certaines choses sont devenues aujourd’hui évidentes : homosexualité, coparentalité, droit sacré au partage des taches ménagères, écouter France Inter plutôt que regarder la télé et continuer à croire en l’amour avec un grand A malgré une vie sentimentale marquée, comme d’ailleurs la professionnelle, par une succession de ruptures et de séparations avant d’atteindre le port.

Cette vie de sauts permanents, cette vie borderline toujours à la frontière, constitue la vraie nouveauté culturelle par rapport à la génération précédente. Elle crée chez les survivants une certaine force, en particulier pour accepter l’intériorité et ses tempêtes, pour relever le défi de l’intime, pour être capable de voir l’ombre à l’intérieur de soi plutôt que chez l’ennemi extérieur, qu’il soit politique, professionnel ou intime et sexuel.

En fait, pour ces personnes auxquelles je me sens appartenir, le cadeau de ce qui fut notre guerre, avec ses atrocités, ses violences et ses morts, est une sécurité ontologique qui a peu besoin pour se définir d’une case bien précise dans la société, d’une fonction, d’un dogme ou d’une idéologie, voire même d’une manière de penser et de vivre qui nous accompagnerait de la naissance à la mort. Cette sécurité d’être trouve à s’épanouir dans l’intime, qu’il soit affectif ou créateur, et de cet intime profondément subjectif au sens positif du terme, peuvent se construire une vie de couple, de famille et une place sociale voulues et non imposées ou simplement subies pour des raisons d’appartenance ou de besoins affectifs et matériels. Que demander de plus ?

Mais pour cela, nous, les enfants du chaos, avons dû traverser la tempête pulsionnelle déclenchée par nos chers prédécesseurs … C’est de cette tempête dont je me ferai ici l’écho, du pont de mon navire arrivé pour l’instant à bon port.

 

Les enfants du désordre

 

Colère.

Elle dit : « A treize ans, en 72, mon premier rendez-vous chez la gynécologue. Celle-ci me prescrit d’office la pilule qui vient d’être décrétée remboursable par la sécu et me laissant paralysée, me met un grand miroir entre les cuisses et détaille à voix haute mon anatomie sexuelle en joignant le geste à la parole. » Etait-elle tombée sur la seule gynéco lesbienne pédophile et sadique de sa bonne vieille ville de province ? Non. Juste sur une femme libérée dont le prosélytisme militant incluait l’éducation sexuelle des jeunes filles juste pubères. 

Tendresse.

J’ai 42 ans ce 8 mars 2004, et j’écoute les larmes aux yeux Simone Veil parler de son histoire et de son combat pour les femmes.

Colère.

Il dit : « J’avais quinze ans en 73 quand mes parents ont décidé de se mettre au nudisme. J’ai suivi, par défi. Je revois le sexe rétréci de mon père et la chair plus très ferme de ma mère. Comme en gros plan. Cela me soulève encore le cœur. Je revois aussi les regards troubles des adultes qui m’entouraient et leur désir gluant. J’en ai encore du dégoût trente ans après ».

Tendresse.

Elle dit : « J’ai quatorze ans, nous sommes en 74. Je fais grève avec ma meilleure amie devant les portes du collège. Nous sommes deux derrière les grilles ! Décidées contre toute évidence à bénéficier de ce droit nouveau qui vient d’être octroyé aux collégiens et lycéens. Mes parents refont le monde avec leurs amis devant la cheminée : psychanalyse, écologie politique qui venait de naître, nouvelles spiritualités, thérapies corporelles, ésotérisme, tout y passait ! »

Colère.

Il dit : « Quand j’allais passer le week-end chez mon père, il m’invitait à boire, à fumer un joint avec lui et à profiter de ses partouzes pour m’initier à la sexualité. Alors c’est vrai que maintenant j’hésite même à me montrer à poil devant mon fils de trois ans. »

Et encore …

Il y avait ces communautés où tout le monde faisait l’amour avec tout le monde, parfois sous couvert de spiritualité ou de thérapie. Enfants et adolescents baignaient dans une surexcitation pulsionnelle qui ne les concernait en rien et que personne ne leur avait appris à contenir.

Il y avait ces enfants et adolescents assistant aux ébats de leurs parents et invités à dormir dans leur lit quand l’un des partenaires était absent.

Il y avait la banalisation d’un inceste soft, où l’amour et l’absence de violence étaient censés faire passer la pilule, et où les mères étaient aussi actives que les pères.

Il y avait ces éducateurs et ces enseignants fusionnant avec les enfants dont ils avaient la charge, libres enfin de pouvoir vivre leur sexualité infantile et qui étaient simplement paumés, mais tellement intelligents  qu’ils avaient lu tout Freud pour pouvoir se justifier. 

Il y avait, avant que ne frappe le SIDA, la drogue, l’alcool et le suicide, les overdoses et les accidents qui faisaient déjà pas mal de morts ou de gens fichus pour le reste de leurs jours. La drogue et l’alcool amplifiaient encore le dépassement, je devrais plutôt dire l’explosion, des limites dans une recherche toujours plus loin, toujours plus forte de « Où est mon corps ? Quelles sont mes limites à moi ? Jusqu’où je peux aller avant de rencontrer une barrière qui pourra me freiner ? » C’est pour cela que je parle sans peine et sans exagération de « survivants » pour ceux qui ont traversé ce type d’adolescence.

Il y avait le sexe libre dès la puberté et les viols non dénoncés par peur de paraître coincé.e. Il y avait déjà les viols collectifs qu’on n’appelait pas encore des « tournantes » et qui n’étaient pas réservés aux banlieues ghettos qui n’existaient pas encore tout à fait.

Il y avait toutes les expériences de Naturisme où les corps des parents s’exhibaient devant les enfants, où les corps des enfants subissaient les regards troubles de l’adulte.

Pendant l’adolescence, il y avait aussi ces rivalités incongrues entre fille et mère, fils et père mêlés dans les mêmes amours. Les parents séduisant les copains et copines de leurs enfants, confondant allégrement les générations physiques, car les générations psychiques n’étaient pas respectées. En effet, ces parents vivaient à trente-cinq ou quarante ans l’adolescence qu’ils n’avaient pas vécue à quinze. C’est quelque chose de très destructeur de voir sa mère ou son père draguer puis coucher avec un.e ami.e à soi, voire son.sa propre petit.e ami.e.

Il y avait les autorités, les médias et l’opinion publique qui ignoraient tout cela sauf rares exceptions. Celles qui témoignaient, souvent des femmes, d'inceste ou de viol devaient subir les commentaires éclairés d'experts, gynécologues ou psychanalystes, surtout des hommes qui justifiaient l'injustifiable. Elles devaient entendre des pères leur demander de ne pas se mêler de ce qu'il se passe à l'intérieur des familles, sans qu'aucune censure ou enquête sociale ne suivent ces déclarations. 

C’était donc bizarrement aussi un temps de silence, comme les phases de terreur suivant toutes les révolutions. Pourquoi mai 68, si petite soit-elle dans le temps, aurait-elle fait exception ?

 

Un inceste culturel

 

Certains à cette époque ont traversé enfance et adolescence sans rencontrer un seul adulte. Ceux-ci étaient bien trop occupés à s’envoyer en l’air dans tous les coins ou à refaire le monde. Certains ados de ma génération ont été envahis par la dite libération sexuelle de leurs aînés : parents, éducateurs, psys, médecins … Quelques uns  ont explosé en plein vol, porteurs d’une sexualité qu’ils ne pouvaient pas assumer, celle des adultes censés les éduquer. D’autres se sont rigidifiés. Certains enfin ont pu trouver leur équilibre après des expériences extrêmes souvent destructrices. Peut-être ceux-là ont-ils pu s’appuyer sur un amour de la vie et une créativité suffisamment forts. Et aussi sur les bons côtés de cette éducation, car il y en a eu, en particulier sur le plan de l’ouverture culturelle et parfois, pas toujours, sur le plan du dialogue entre les générations. Mais ils ont quand même dû traverser la honte, le dégoût et reconstruire une sexualité humanisée, souvent après des périodes de « chasteté », souvent grâce et à l’intérieur d’un couple choisi qui a pu servir de matrice à cette aventure nouvelle.

« Ma mère était une femme géniale, libérée, éduquée. La vie d’un écrivain me paraissait extraordinaire. A 20 ans, on passait nos journées à fumer de l’herbe, à boire du whisky, à s’envoyer en l’air … A l’époque, je ne savais pas dire non à un homme, je faisais n’importe quoi, c’était le dérèglement des sens à la Rimbaud ! (…) Puis je me suis imposée deux ans de chasteté. Pour plaire à Dieu. J’ai fermé pour cause de travaux, ravalement général. J’étais chroniqueuse dans un quotidien, j’y racontais ma vie, mes frasques … »[2]

Cet envahissement par la sexualité parentale et sociale, j’ai envie de l’appeler un inceste culturel. Certains ne l’accepteront pas, préférant réserver strictement le terme d’inceste à l’acte sexuel perpétré par un parent sur un enfant. Mais j’assume ce terme. En effet, cette absence de limites entre la sexualité des parents et celle des enfants, comme le montrent les témoignages du début, dérape souvent vers des contacts physiques incestueux. D’autre part les troubles que j’ai pu rencontrer chez certaines personnes ayant vécu cela sont les mêmes que ceux des personnes victimes d’un inceste au sens strict, au point de me faire souvent penser immédiatement qu’il y avait eu inceste.

Mais justement, un inceste sans violence physique, une relation entre parents et enfants basée sur la séduction et pouvant déboucher sur une véritable passion amoureuse, faisant de l’enfant le réceptacle consentant voire fasciné de ces débordements et entraînant des liens très longs à défaire car la révolte et la colère sont longtemps absentes. L’emprise affective de la séduction est aussi forte que l’emprise autoritaire. C’est une autre manière d’être dans le pouvoir. La notion d’abus est intacte car reste une place de dominant et une de dominé malgré l’envie de nier la différence des générations. Nous nous trouvons ici dans une forme de violence symbolique[3] telle que la décrit Pierre Bourdieu.

La terreur était souvent le mode de relation précédent, dans les relations avec les parents et avec les institutions éducatives. Dans ce nouveau mode relationnel, la terreur ne disparaît pas. Elle se déplace vers l’intrapsychique car le monde pulsionnel n’est plus contenu. Et elle se déplace aussi vers le social qui, en l’absence d’éducation à son fonctionnement, ne laisse plus apparaître que son côté de jungle. Ainsi, les parents ne jouent plus leur rôle transitionnel entre l’intrapsychique et le social. Il manque un pont. Ce sera à l’enfant de le construire lui-même grâce à des processus de résilience. C’est-à-dire en trouvant à l’extérieur de la famille mais aussi, à cette époque, souvent à l’extérieur de l’école, des modèles adultes suffisamment structurants pour remplir cette fonction. Certains, finalement assez nombreux quand on prend la peine d’entendre, ont fait l’expérience de ce que Boris Cyrulnik appelle des communautés extrêmes, qu’elles soient politiques, spirituelles, thérapeutiques, ou simplement centrées sur la vie en commun, fortement centralisées et hiérarchisées autour de leaders charismatiques et de règles collectives rigides, pour tenter de compenser ce manque.

Et en particulier ce manque de fonction paternelle, si on attribue à cette fonction le rôle de socialiser les pulsions. Là encore, c’était un mouvement social logique, après le patriarcat rigide comme seul moyen non de contenir, mais de réprimer le désir et les pulsions.

Dans ce contexte, je peux identifier enfin la fausse communication parents-enfants. « On se dit tout », nous disent ces familles. Peut-être, mais on cache l’essentiel. Les secrets de famille sont toujours aussi présents et la communication n’étant pas plus que par le passé centrée sur l’enfant et sa compréhension, elle reste au minimum inefficace. Par contre, l’enfant ou l’adolescent peut en conclure qu’il n’a pas droit à son jardin secret et laisser violer souvent avec douceur son espace intime. Il peut en ressortir culpabilité, honte et obligation d’aveu.

« Bien sûr ma mère me demandait tous les détails de mes amours. Nous en discutions à table et au bout de quelques jours, mon copain du moment venait passer la nuit à la maison. Je crois qu’elle était prise entre la curiosité et la peur qu’il m’arrive quelque chose. Elle pensait que c’était mieux pour me surveiller. Après tout, je n’avais que quinze ans. Mon père était passif et laissait faire. »

« Un des pires moments de mon adolescence, c’est quand la femme de ménage a trouvé mon journal intime et l’a montré à mes parents après l’avoir lu. Ils l’ont lu eux aussi. Ils n’ont pas renvoyé la femme de ménage qui en a parlé à tout le voisinage. Ils avaient trop peur d’elle. Tout le monde se moquait de moi. J’avais douze ans et je parlais de mes premiers émois amoureux envers un garçon du quartier. »

 

Faites l’amour, pas la guerre : bel idéal ou illusion perverse ?

 

Ces adultes qui refusaient l’idée d’être dans le pouvoir et voulaient une société libérée de ses rapports de force, ont en fait utilisé un pouvoir potentiellement aussi destructeur : celui de la séduction. Lâcheté ou incompétence, si je laisse la place à la colère, canaux enthousiastes des mutations de l’inconscient collectif, si je les regarde avec tendresse,  ces adultes infantiles n’ont pas voulu ou pas pu assumer leur place, ont usé d’un pouvoir sans vouloir le reconnaître et l’assumer, un pouvoir sans autorité ni responsabilité.

Une des caractéristiques de ce type de parents (mais aussi enseignants, éducateurs, thérapeutes) est la peur du conflit. Et là nous retrouvons leur propre éducation basée sur la terreur. Ils voulaient, et c’est tout à leur honneur, instaurer d’autres liens. Mais ne pas vouloir assumer le conflit, le pouvoir du non quand il est justifié, pendant l’enfance et encore plus à l’adolescence, empêche l’affirmation et la croissance en force de ces mêmes enfants. D’autre part, comment affronter un éducateur fuyant ou manipulateur qui devient par un schéma bien connu agressif-défensif quand il se sent acculé ? Faites seulement l’amour et jamais la guerre et vous finirez par nourrir un monstre ultra violent dans votre sein, aussi sûrement que par la pire des répressions. Ce sont les effets psychiques de la négation de l’ombre et du conflit, ou de leur projection sur l’extérieur.

C’est d’ailleurs dans ces années du « peace and love » que naquit le terrorisme (ETA, IRA, Brigades Rouges, …), le tourisme sexuel de masse et ses prostitué.es enfants et un essai de justification de la pédophilie et de l’inceste, non plus comme la domination absolue des pulsions de l’adulte sur le corps de l’enfant, mais en s’appuyant sur des théories de la sexualité infantile, projections d'adultes ayant oublié leur enfant intérieur et sa fragilité.

Danielle Czalczynski[4]se souvient « des discussions souvent vives qui opposaient les hommes et les femmes sur le fait de jouir sans entrave », même avec les enfants. « En tant qu’enseignante, j’ai été beaucoup marquée par la découverte des désirs enfantins mais j’étais opposée, en tant que femme, à ceux qui dérivaient sur les rapports entre adultes et enfants, en faisant abstraction du rapport de pouvoir. » (…) Le bilan de cette période oblige à évaluer les effets des passages à l’acte sexuels entre adultes et enfants (…) qui ont souvent eu des effets désastreux … en particulier dans le développement de la toxicomanie (...) surtout chez les femmes[5] ».

 

Une liberté liberticide ?

 

Il est toujours difficile de porter un regard critique sur une révolution destinée par définition à faire évoluer la société des hommes. « Trente ans après, il existe une incapacité à poser le regard de l’historien sur ces transformations et les resituer dans leur contexte. (…). On ne peut pas réduire Mai 68 et les années qui l’ont suivi à « tout est permis ». (…). Nous avons été confrontés à des dérives mais il ne faut pas s’étonner que ce bouleversement ne se soit pas fait de manière parfaitement ordonnée»[6].

Ne nous plaignons pas, trente ou quarante ans ne sont rien au regard de l’histoire. Il n’en reste pas moins que nous pouvons essayer le plus tôt possible de creuser un peu ces secrets de famille collectifs. Mais comme toujours dans ces cas-là, vient vite le sentiment insidieux d’être injuste et non reconnaissant. Après tout ce qu’ils ont fait pour nous …

Il était bien entendu impossible de remettre en question les valeurs patriarcales et bourgeoises si bien assises en occident sans qu’il y ait des dégâts collatéraux. Il y en a dans toutes les guerres.

On peut malgré tout amener quelques réserves à ces bilans exaltés des années 70 idylliques que l’on trouve dans les médias, bilans fortement teintés de l’auto-satisfaction globale de cette période.

Une psychothérapeute explique[7] qu’il n’est pas difficile d’être héritier de la libération sexuelle, « il faut qu’ils (ces héritiers) dépassent l’idée de cadeau. Ils vont devoir apprendre la liberté sans la subir, en se la réappropriant ». Ce style de discours non critique et moralisateur pour les descendants est typique des écrits sur cette période. Toujours dans le même article, une fille répond à sa mère soixante-huitarde qui lui dit à quel point elle a de la chance d’avoir tous ces acquis : « Ma liberté doit s’exprimer entre Sida, sexe omniprésent, difficulté de rencontrer quelqu’un, peur de finir seule. Je suis condamnée à être épanouie. Si je ne le suis pas, c’est que je ne sais pas en profiter et que j’ai tout faux. Je suis jugée ».

Nous naviguons ici entre la sexualité interdite, en particulier la sexualité œdipienne, ainsi que celle des parents, et l’épanouissement sexuel obligatoire. Cela s’appelle vraiment une double contrainte !

Les descendants de beaucoup de ces soixante-huitards et ce quel que soit leur âge précis, entre trente et quarante cinq ans, forment une génération borderline ou plutôt de l’entre-deux, toujours en quête de ses propres frontières, habile à transgresser les normes établies mais de manière souvent discrète et privée, bien que parfois confrontée aussi à la délinquance sociale. Habile donc, dans le meilleur des cas à privilégier ses choix subjectifs plutôt que ceux induits par les nécessités sociales ou matérielles.

La question c’est de trouver ses propres limites quand la morale ne sert plus de repère. La perception subjective devient prédominante et permet parfois des avancées très positives, fondatrices d’une véritable éthique, ou l’enfant, l’animal, la femme, la terre acquièrent une existence propre et méritent respect, protection et liberté par une sorte d’animisme empathique qui interdit de faire le mal car c’est à soi qu’on le fait. Cette conscience de l’autre élargie, cette sensibilité, deviennent l’aspect positif de ce problème des limites. De là tous ces acquis de 68 en ce qui concerne les lois, l’écologie, les droits de l’homme incluant maintenant la femme et l’enfant, voire l’animal.

Reste la question non résolue de la socialisation des pulsions sexuelles, profondément inscrite dans ce problème des limites, enjeu si important à l’adolescence qu’il en devient source durable de honte et de culpabilité s’il n’est pas assumé.  

L’adolescence, et en particulier la phase juste autour de la pré- et post- puberté, est une période particulièrement sensible aux problématiques concernant la sexualité. L’adolescent est soumis à une forte contrainte interne d’ordre identitaire : suis-je un homme, une femme, puis comment être un homme, une femme ? En plus de cette contrainte interne, il se débat au centre de quatre pressions fondamentales, au lieu d’y être soumis comme l’enfant : famille, pairs, culture, éducation.

C’est dans cette période si fragile que ces adultes ont démissionné, laissant l’adolescent face au vide et à la solitude.

« C’est à treize ans que j’ai perdu mes parents. Jusque là, j’ai le souvenir d’une enfance heureuse voire idyllique, de jeux, de voyages et de plaisirs. Mais quand mon corps s’est transformé et que ma sexualité a commencé à pointer le bout de son nez, je n’ai plus eu personne en face de moi, sauf dans le rejet de mon père.»

 

 

 

 

 

 

[1] Le chômage quadruple dans les pays occidentaux de 1971 à 1993 ; Le Monde du 28.02.01 : Que reste-t-il de la révolution sexuelle de mai 68 ?

[2] Aminata Zaaria, écrivain.

[3] Le pouvoir symbolique est un pouvoir qui est en mesure d’obtenir la reconnaissance ; c'est-à-dire un pouvoir qui a le pouvoir de se faire méconnaître dans sa vérité de pouvoir, de violence et d’arbitraire. Site Internet : http://1libertaire.free.fr/LexiqueBourdieu

[4] Secrétaire Générale du Syndicat national unitaire des instituteurs et militante féministe dans les années 70.

[5] Journal Le Monde du 28.02.01 : Que reste-t-il de la révolution sexuelle de mai 68 ?

[6] Hervé Hamon, coauteur de Génération, Le Seuil, 1988, cité dans le Monde du 28.02.01 : Que reste-t-il de la révolution sexuelle de mai 68 ?

[7] Journal « Elle », 16 février 2004 : Sexualité, les nouveaux tabous des jeunes adultes.

[8] Ainsi que de voir le remarquable film italien en DVD (2004) : Nos meilleures années, qui retrace en 6h toute l’histoire de ces années-là, en particulier à travers la vie d’un psychiatre.

[9] J’ai traité de certains de ces problèmes dans «L’ombre du groupe », revue Adire n°18.

[10] Norbert Châtillon, psychanalyste, membre de l’Association Internationale de psychologie analytique, in Le Cul, Cahiers n°9 de Gestalt Thérapie, 2001.

[11] Travail de psychothérapie

[12] Je n’oublie jamais la toute petite partie du monde et même de notre société susceptible d’être concernée par ces questionnements.

Un exemple clinique

Voici pour résumer, quelques points-clés de cette problématique, illustrés par un entretien semi-directif réalisé avec une seule personne et centré sur son expérience d’enfant de parents soixante-huitards.

 

  1. Un monde symbolique et un idéalisme forts.

 

« J’avais 7 ans et mes parents ont décidé après une première séparation de partir vivre en communauté. Ils avaient l’espoir de vivre autre chose, une libération ; il y avait un besoin de liberté énorme chez mes parents et ils pensaient que ça passerait par une liberté sexuelle. Il y avait un idéal de vie, une recherche auprès de la Nature, il y avait d’autres enfants et plein d’autres couples. Moi j’ai été projetée là-dedans. Je pense que j’étais assez contente d’y aller, avec aussi cet espoir que ça irait mieux. Mais j’ai vite vu que ce n’était pas bien, que j’étais malheureuse. J’y avais déjà été pendant les vacances et ça m’avait bien plu parce qu’il y avait d’autres enfants. Étant donné que j’étais fille unique c’était bien ...»  

 

  1. Incarnation inexistante ou négative de ce monde symbolique : la Paradis devient Enfer.

 

« … Je suis arrivée avec tous mes jouets et en l’espace d’une semaine tous mes jouets ont été cassés et tout ce qui m’appartenait. Ca a été très très dur pour moi. Et j’ai le souvenir dans cette communauté de chercher ma mère tout le temps, tout le temps, tout le temps, de la chercher. Et puis de chercher mon père aussi parce qu’il n’était jamais là, jamais là où je le cherchais. On était quand même assez livrés à nous-mêmes les enfants. Je pense que les adultes étaient tellement préoccupés par ce qu’ils vivaient et c’était tellement conflictuel, je pense parce que je n’ai pas de souvenir de conflit ouvert ou de violence mais des choses non-dites. Et puis passer d’une chambre à l’autre et voir ma mère avec un homme, puis avec un autre, puis de voir mon père aussi avec d’autres femmes, c’était pas très rassurant ».

 

  1. Absence de repères parentaux pour apprendre à contenir les pulsions.

 

« Ils avaient du mal à s’intéresser à l’enfant et je crois que chaque parent se reposait sur les autres et en fait personne ne s’occupait des enfants. On était un peu des boulets, il y avait des belles phrases et idées pour les enfants, il y avait aussi des choses matérielles, de belles pièces, des salles de jeux, mais moi je sentais que les adultes se faisaient chier avec nous  et c’était vraiment à nous de nous contenir. Moi j’ai le souvenir d’être toujours obligée de me contenir, de pas faire de bêtises. J’en ai fait des bêtises, mais le sentiment qu’il n’y avait personne sur qui se reposer, j’ai pas senti de soutien et personne qui pouvait être parent. C’était des adultes en recherche éperdue de liberté, ils étaient perdus, eux aussi ils étaient complètement paumés, des gosses paumés ».

 

  1. Absence de limites et de protection. Intrusion parfois massive de la sexualité parentale.

 

« Un des souvenirs qui m’est resté, un des plus forts : j’étais très malade et ma mère m’a enveloppée dans une couverture, elle m’a fait boire une tisane pour que je transpire, donc elle s’est occupée de moi. J’étais contente qu’elle s’occupe de moi. Et puis elle est partie en me disant je reviens. Et puis elle ne revenait pas, elle revenait pas, elle revenait pas. J’ai été la chercher, je suis passée d’une chambre dans une autre. Je cherchais ma mère, éperdument ma mère, et je l’ai retrouvée dans un lit avec un homme et elle m’a dit « reste dormir là ». Je me suis mise entre eux dans le lit et lui m’a tripotée. Pas de loi, pas de protection par rapport à la sexualité, aucune protection. Il n’y avait aucune barrière entre les parents et les enfants ».

 

  1. Pas d’intimité, sexualité « sociale », séparée de la reproduction mais aussi de l’intime.

 

A l’adolescence, j’étais pas coincée. Je le vivais comme une revanche par rapport aux autres enfants que j’enviais, c'est-à-dire les enfants des parents normaux qui n’avaient pas vécu mai 68. Moi je pouvais vivre une sexualité, parce que ma mère avait vécu une sexualité libre. Et moi je vivais une sexualité libre, c'est-à-dire j’ai couché très tôt par rapport à mes copines, et vraiment sans culpabilité aucune, très bien, très heureuse. Mais c’était pour prouver quelque chose. C’était « je fais l’amour donc j’existe ». Mais il n’y avait pas de rencontre dans cette sexualité là. C’était un peu comme une révolution. J’avais l’impression d’avoir une banderole dans une manifestation. J’exhibe mon corps, j’exhibe ma sexualité. J’avais des photos dans ma chambre d’hommes et de femmes faisant l’amour. Pas d’intimité, vraiment aucune intimité. Je pouvais me trimballer toute nue, avoir les seins à l’air, ça me gênait pas. Maintenant je vis la polarité complètement inverse. Très pudique, plus de sexualité. Peut-être que j’arriverai à trouver le juste milieu ?

J’ai senti un jour que c’était au détriment de moi. Je devenais l’objet de l’autre ; j’ai eu une relation avec un homme très pervers et là j’ai vraiment senti la limite. Et là avec le travail thérapeutique que je fais[11] j’en viens à sentir comment je me pose en tant qu’objet et pas en tant que femme désirante. J’ai eu énormément d’aventures, je ne les ai même pas comptées. La sexualité était devenue pour moi un moyen d’exister.

 

  1. Imitation de l’exemple parental, ici, sexuel. Aucune révolte possible, collés.

 

« J’étais très très sage comme petite fille. Je ne me révoltais pas, il n’y avait aucune révolte. Rien du tout. J’absorbais tout. Toute la souffrance de ma mère. Collée. J’ai été envahie par sa sexualité, complètement envahie par elle. Je ne sais plus ce qui est moi, ce qui est elle. Je commence à le sentir maintenant mais c’est récent ».

 

  1. Double langage, sexualité toujours liée à culpabilité, problème de fond non résolu.

 

« Une autre expérience c’est que je m’amusais avec un petit garçon. En fait, ce que je voulais c’était reproduire ce que je voyais au niveau de la sexualité, des jeux un peu érotiques avec un petit garçon qui était plus jeune que moi et sa mère est arrivée. Et là je me suis faite engueulée. Et je me souviens qu’il n’y a que moi qui me suis faite engueuler. Lui non. Comme il était plus jeune, c’était moi l’initiatrice, c’était moi la coupable. On m’a foutu une raclée. J’avoue que ça a été vachement dur, c’est encore là dans ma sexualité. Le plaisir du corps est lié à tout ça. Ça finira mal. C’est empreint de culpabilité. C’est comme si il y avait un double langage, en parallèle avec la libération. C’est paralysant. Et donc moi ma sexualité maintenant, je suis paralysée, je suis bloquée, complètement bloquée. Toute la libido coincée. Ça va au-delà de la sexualité, ça touche le désir, le désir de vivre, c’est bloqué. Il y a une culpabilité à vivre pleinement la pulsion de vie, parce que c’est empreint de souffrance, la souffrance y est collée. En fait je sais pas si ça fait vraiment du bien cette expérience là. Je ne sais pas si mes parents ça leur a apporté grand-chose. »

 

  1. Problème de la norme et de l’exclusion.

 

« Quand j’étais dans la communauté, on en sortait pour aller à l’école. Là on nous montrait du doigt parce qu’on puait la chèvre, parce qu’on ne vivait pas normalement comme les autres donc on était exclus. C’était très décevant parce que moi en même temps, je cherchais une appartenance, une norme pour pouvoir être normale, être incluse dans le groupe et j’étais montrée du doigt et ça c’était affreux, affreux, affreux d’être rejetée comme ça. Je me sentais rejetée, bafouée, une image mauvaise, on était les mauvais. Ce qui est paradoxal c’est que je me suis construite après là-dessus, je suis pas normale, je suis pas comme les autres, et donc pour arrêter de vivre dans cette souffrance là, je suis devenue méprisante. Ce côté méprisant que j’avais à l’adolescence, faire l’amour, moi je peux avoir tous les mecs que je veux, regardez, je suis belle … ce côté méprisant où c’est moi qui excluait l’autre. Un moyen défensif comme un autre. »

 

Conclusion : L’intime, un nouveau paradigme

 

La sexualité, comme la créativité ou la spiritualité, peuvent être vécues socialement au nom d’une norme ou d’une appartenance, mais elles peuvent aussi prendre leur source dans le creuset du plus profond de l’être.

Le discours des psychothérapeutes est là encore ambigu, et l’ambiguïté n’est pas le paradoxe ni la complexité. D’un côté nous prétendons être les promoteurs de cette dimension essentielle qu’est l’être subjectif, de l’autre nous mettons sans arrêt en avant la nécessité du lien et de l’appartenance et nous nous méfions comme la peste de tout individu un peu différent.

Alors, sommes-nous réellement les promoteurs de l’intime ?

La chute des idéologies ne peut laisser la place qu’à la guerre économique et politique totale, ou bien à cette petite chose fragile, à ce monde de l’intime qui représente à mon avis le vrai contre-pouvoir actuel face aux enjeux souvent délirants que porte notre époque. 

Les grands acquis des années 70 concernent en effet, en occident, les valeurs dites féminines que je préfère appeler les valeurs de l’intime : expression des sentiments, accent mis sur la qualité de la relation, intériorité, subjectivité, réveil d’une spiritualité immanente et de la sagesse du corps, conscience de la Terre comme d’un être vivant (écologie), respect de chaque être vivant.

Peut-être que l’enfant peut maintenant être considéré comme une personne, au moins dans une petite partie de la population[12] et sortir des années noires de la terreur et des temps rouge sang de la séduction. Car il ne s’agit encore une fois en aucun cas de promouvoir un quelconque retour en arrière. Quelque chose de nouveau est né dans la deuxième moitié du siècle dernier, un idéal porteur d’espoir et de vie et il serait difficile pour ceux qui l’ont rencontré de renoncer à ses acquis.

La vocation fréquente d’un idéal est certes de se casser les dents sur le réel, souvent à la génération d’après. Mais quand ces enfants du chaos ont relevé le défi et dépassé les traumatismes vécus dans leur enfance et leur adolescence, ils ont développé des valeurs basées sur l’autonomie, la créativité, le partage des compétences et la solidarité, plutôt que des valeurs d’appartenance dont ils ont souvent vécu le pire, tant au niveau familial que social. Et si ces valeurs peuvent se vivre à l’intérieur d’une liberté sexuelle et d’un célibat acharnés, elles peuvent aussi se vivre dans un couple matrice, un couple évolutif que les partenaires n’hésitent jamais à remettre en question, quelles que soient les raisons matérielles, de sécurité affective ou de besoin d’appartenance qui pourraient les en empêcher. Le couple et la sexualité qui en est une des composantes, deviennent alors un lieu de réalisation de soi avant d’être un prélude à une famille qui prend souvent elle aussi une forme originale, qu’elle soit recomposée, mosaïque, homoparentale, élargie aux amis, internationale ou autre.

Encore une fois, toutes les personnes de mon âge ne se reconnaîtront pas dans ces témoignages. En fait plus que d’une génération, il s’agit d’une « niche sociologique » bien particulière correspondant à un état d’esprit et à une somme d’expériences plus qu’à une tranche d’âge spécifique. Ainsi, en récoltant ces expériences, j’ai aussi bien pu trouver des personnes de 50 ans que de 30 ans. C’est surtout le type de relation parents enfants qui a été significative, basée, comme je l’ai longuement expliquée, sur la non différentiation des rôles, sur la séduction, l’absence d’autorité et, dans le meilleur des cas, une grande richesse sur les plans culturel et créatif.

Peut-être ces enfants de soixante-huitards annoncent-il, comme le dit le film, le déclin de l’empire américain, voire de tous les empires et le début des Invasions Barbares ?

Dans ce cas, vive la Barbarie !

Addenda sur les psychothérapies

 

Les abus des « nouvelles thérapies »

 

Il est impossible de faire l’impasse sur le fait que les nouvelles thérapies, relationnelles, humanistes et à médiation corporelle sont entrées en lice dans ces mêmes années 70. Porteuses d’un même idéal révolutionnaire, il suffit de lire Rogers, l’anti-psychiatrie ou Reich[8], elles sont tombées souvent dans des abus qui ont dû depuis être rectifiés par les codes de déontologie de la profession. Les abus existent toujours mais ils sont petit à petit repoussés vers les marges, laissant quand même beaucoup de personnes blessées au passage. On n’en est plus à croire que coucher avec ses clients victimes d’abus sexuels est une thérapie efficace, ni à penser qu’une orgie collective suite à une régression en piscine d’eau chaude est la clé de l’éveil et de la maîtrise des pulsions. Mais il y a encore de trop nombreux témoignages d’expériences actuelles parlant des massages qui dérivent, de thérapeutes qui s’exhibent nus devant leurs clients dans des attitudes provocantes, ou qui se font faire des séances de rebirth par leurs clients (« chacun son tour … »). J’en passe et des meilleures. Ce type d’abus un peu spectaculaires a surtout lieu en groupe et c’est en particulier la thérapie de groupe qui a souffert de ces phénomènes. Les groupes de psychothérapie avaient le même succès dans les années 70 que les communautés soixante-huitardes. Ils inspirent maintenant une méfiance légitime et les personnes ont d’abord besoin de créer une vraie relation de confiance avec leur thérapeute avant de se risquer dans le groupe. Dommage. Car c’est le lieu où jamais de développer une intelligence émotionnelle et relationnelle impossible à apprendre à la fac. Cela éviterait aussi que cette thérapie de groupe se retrouve comme attente informulée dans les formations qui touchent l’humain (entre autres celles de psychothérapeutes) et dans les groupes de développement personnel, avec tous les problèmes qui en découlent[9].

Les abus sont aussi nombreux dans le travail individuel, mais moins visibles.

Les débordements « créatifs » des nouvelles thérapies, leurs déviations, finissent par rejoindre les secrets de famille, surtout en ce temps où la psychothérapie issue des années 60 vit ses 40 ans, a soif de reconnaissance et de respectabilité et veut se refaire une virginité au risque de perdre sa spécificité en voulant trop coller à la psychanalyse et en y sacrifiant le corps, lieu de tous les abus et pourtant grand acquis des nouvelles thérapies.

Quel dommage que le travail corporel peine à sortir de ces excès et à conquérir ses lettres de noblesse ! Quelle tristesse de voir les psychothérapeutes les plus en vue faire la promotion d’une allégeance à la psychanalyse et renier le travail corporel pour être sûrs d’être bien vus et ne pas passer pour des abuseurs ou, encore pire, pour des gourous sectaires ! Hors de l’église, point de salut, la chasse aux hérétiques est ouverte. Il est vrai que le toucher suffit à créer une relation d’emprise et peut créer une agression supplémentaire chez quelqu’un qui n’en a en général pas besoin. Mais les relations d’emprise n’ont pas besoin du corps pour exister. Et le corps appelle, il veut être entendu. Travailler avec lui, permettre l’accès à la régression profonde est une des principales richesses des psychothérapies à médiation corporelle, sous peine de la voir basculer tranquillement, l’âge aidant, vers une pseudo psychanalyse qui n’a aucun des avantages de chaque approche et tous les inconvénients.

Loin d’être une étape préliminaire avant d’accéder à la cour de la reine Psychanalyse, je crois que les thérapies corporelles sont une nouvelle aventure profondément évolutive et contre-culturelle. D’ailleurs, et je pense qu’il en est de même pour les collègues qui me liront, un nombre significatif de clients viennent me voir après de nombreuses années de psychanalyse, justement pour toucher la régression profonde qui intègre les émotions et le corps. Cela implique aussi que les psychothérapeutes aient une vraie formation sur les problèmes touchant à la sexualité, au pouvoir, à la relation d’emprise, ce qui est loin d’être le cas. Souvent cela reste même sujet tabou, par un retour de pendule qui reste à explorer.

Entre autres parce qu’il y a encore peu d’écrits sur ces problématiques et d’ailleurs peu d’écrits en règle générale sur ces thérapies. Ce qui crée un effet bien connu dans les familles : la tradition orale gardant globalement le silence sur les points obscurs, les secrets de famille non explicités créent des tabous incompréhensibles dans les générations suivantes.

Il est temps d’accélérer ce travail de fond sur notre histoire professionnelle et notre pratique.

 

Le retour du pendule 

 

Norbert Châtillon s’interroge ainsi[10] : « Alors pourquoi cette éviction du sexuel (… à différencier du sexe …) dans les thérapies actuelles ? Deux hypothèses :

- une anesthésie des thérapeutes, qui, dans la multiplication des écoles et des formations ont pu accéder au statut de thérapeute dans l’évitement du plus secret, du plus intime, du plus nodal. Et dont toute l’approche consiste à éviter à leurs patients de les interpeller là où ça leur fait mal. Combien de thérapeutes de couples n’ont rien construit en ce domaine, combien de thérapeutes d’enfants ont soigneusement évité la confrontation personnelle à la rude tâche éducative et viennent ensuite donner des leçons et diriger des filières de formation dans des sociétés réputées ?

- une anesthésie sociale dont les thérapeutes se font le miroir, et qui ferait du sexuel un « hors champ », avec des spécialistes nommés « sexologues », et pourquoi pas, puisqu’il y a bien des psychologues ! »

Une autre hypothèse est que beaucoup de thérapies issues des années 60, que ce soit en travaillant sur la régression et l’archaïque, ou de manière plus relationnelle, s’embourbent parfois dans le corps de la mère et dans le manque du père comme le montrent les besoins de reconnaissance sociale actuels de la profession. Ainsi, à force de travailler le pré-oedipe, cela deviendrait presque de l’inceste que de parler de sexe à son thérapeute ! De quoi s’agit-il au juste ? Un fond dépressif collectif mal assumé ? Une difficulté à faire le deuil des images parentales idéalisées ? A force de rester fixé de manière quasi biblique sur les images parentales, est-ce qu’on n’oublie pas de fixer le regard sur l’avenir ? Arriverons-nous à quitter père et mère pour construire notre famille et libérer notre créativité et notre sexualité de sujet adulte ? Ou continuerons-nous à répéter sans arrêt les mêmes nostalgies stériles dans notre profession, nos combats sociaux, nos groupes de référence ? Encore une fois, difficile de parler de sexe, j’entends de sexe adulte, à quelqu’un à qui nous avons passé des années à raconter les difficultés de notre enfance. C’est un problème général et complexe que d’incarner l’adulte et sa sexualité sans passer directement de l’enfant au parent. Les stades de la libido ne sont pas linéaires, je crois même qu’ils voyagent allègrement dans l’espace et le temps et qu’un des héritages de la psychanalyse peut être une vision hiérarchique trop figée. On amène le client jusqu’à la porte de la maison parentale, mais c’était peut-être uniquement une visite, il pouvait avoir déjà par ailleurs développé une sexualité d’adulte. C’est comme ça que celle-ci peut devenir le domaine réservé des sexologues et des groupes de développement personnel.

D’ailleurs, au risque de paraître provocatrice, il est interrogeant de voir que les deux seuls interdits de notre déontologie portent sur la violence physique et la sexualité.

Alors, des psys pudiques ou des psys coincés ? Attention au retour du rigorisme moralisateur, les soixante-huitards en atteignent l’âge !

Pour se protéger des abus du soleil...

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