1,2,3, Hypervitesse!
Mon fils veut pour Noël une toupie spéciale pour jouer à 1,2,3 Hypervitesse ! dans la cour de récréation.
Je suis sûre que si vous avez un petit garçon dans votre entourage, vous connaissez 1,2,3, Hypervitesse ! Ou alors vous êtes sourd, muet et aveugle.
L’engin en question est une petite toupie en plastique comme nous en avions à une certaine époque dans les années 70 : une courroie permet d’augmenter la vitesse produite par la main … théoriquement. L’objet est customisé avec des héros hypergalactiques qui ont besoin d’exprimer leur agressivité massive dans l’hyperespace, la terre étant déjà bien bousillée.
Le site Que Choisir envoie une alerte aux parents : il y a rupture de stock sur les hypertoupies, et des hyperescrocs sont en train de les revendre hypercher sur Ebay (75 euros !!! Alors que le prix de départ, déjà délirant pour ce que c’est, est d’une quinzaine d’euros). C’est la panique chez les parents : comment dire non, comment dire que le Père Noël est en rupture de stock et qu’il faudra attendre ?
Le pire c’est que je peux comprendre. Quand mon fils me fait partager son plaisir, il est tout à fait contagieux. Il mime la scène où il tire sur la courroie en criant 1,2,3 Hypervitesse ! Et j’imagine sans peine l’ambiance à la récré : c’est à celui qui tiendra le plus longtemps, ou à celui qui arrivera à mettre par terre la toupie de l’autre. Pour tout vous avouer, je me suis moi-même éclatée toute la journée en répétant 1,2,3 Hypervitesse ! dans ma tête, processus heureusement invisible de l’extérieur. C’est un des problèmes des psychothérapeutes, tel que je conçois ce métier, d’arriver à gérer l’empathie.
En apprenant que ce ne serait sûrement pas pour ce Noël, mon fils a eu pendant quelques secondes les larmes aux yeux de frustration. Mais c’est un bon garçon. Il a dit qu’il était d’accord pour passer un contrat avec le Père Noël : une belle toupie en bois qui restera, une avec une courroie aussi, et, quand il y en aura à nouveau sur le marché, pour son anniversaire peut-être, une toupie hypervitesse qu’il pourra casser dans la cour de récré. Car je suis aidée dans cette douloureuse tache éducative par l’objet lui-même : ces toupies se cassent les unes après les autres parce que c’est leur nature de se casser le plus hypervitement possible. Et puis il y a tous les copieurs. Vous trouvez partout des petites toupies en plastique, distribuées par les hypermarchés et les chaînes d’hyperrestaurants. Bien que je ne les fréquente pas, l’entourage social suffit à pourvoir mes enfants. Toutes ces copies finissent par user le désir …
Pourquoi ne pas dire non tout simplement? La frustration systématique ne me paraît pas plus éducative que l’accomplissement tout aussi systématique du désir. Le non qui tombe tel un couperet m’est aussi violent que le oui qui enferme dans la fusion. J’aime les oui mais non, et les non mais oui. Si face à un désir frénétique j’oppose un non définitif, je crée un terroriste, ou un impuissant. Si face au même désir je réponds oui tout de suite à n’importe quel prix je crée un monstre obèse, inerte, informe.
Le pouvoir des adultes est-il si grand ? Oui.
Heureusement compensé par le nombre d’influences possibles.
Parfois le non s’impose, parfois le oui jaillit. En dehors de ces évidences, le dialogue reste la règle que je préfère.
Finalement mon fils a réfléchi : il a créé lui-même des toupies avec des petits legos, des bouts de bois, tout ce qu’il trouve. Et il n’a plus tellement envie de la toupie d’origine, il est vraiment d’accord pour celle en bois (à condition qu’elle ait une courroie …). Il est très fier de ses toupies.
Face à la frustration, la créativité semble finalement une réponse encore plus adaptée que la consommation.
C’est une hyperbonne nouvelle !