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1,2,3, Hypervitesse!

par Marie-José SIBILLE

publié dans Le quotidien - c'est pas banal ...

Toupie-copie-1Mon fils veut pour Noël une toupie spéciale pour jouer à 1,2,3 Hypervitesse !  dans la cour de récréation.

Je suis sûre que si vous avez un petit garçon dans votre entourage, vous connaissez 1,2,3, Hypervitesse ! Ou alors vous êtes sourd, muet et aveugle.

L’engin en question est une petite toupie en plastique comme nous en avions à une certaine époque dans les années 70 : une courroie permet d’augmenter la vitesse produite par la main … théoriquement. L’objet est customisé avec des héros hypergalactiques qui ont besoin d’exprimer leur agressivité massive dans l’hyperespace, la terre étant déjà bien bousillée.

Le site Que Choisir envoie une alerte aux parents : il y a rupture de stock sur les hypertoupies, et des hyperescrocs sont en train de les revendre hypercher sur Ebay (75 euros !!! Alors que le prix de départ, déjà délirant pour ce que c’est, est d’une quinzaine d’euros). C’est la panique chez les parents : comment dire non, comment dire que le Père Noël est en rupture de stock et qu’il faudra attendre ?

Le pire c’est que je peux comprendre. Quand mon fils me fait partager son plaisir, il est tout à fait contagieux. Il mime la scène où il tire sur la courroie en criant 1,2,3 Hypervitesse ! Et j’imagine sans peine l’ambiance à la récré : c’est à celui qui tiendra le plus longtemps, ou à celui qui arrivera à mettre par terre la toupie de l’autre. Pour tout vous avouer, je me suis moi-même éclatée toute la journée en répétant 1,2,3 Hypervitesse ! dans ma tête, processus heureusement invisible de l’extérieur. C’est un des problèmes des psychothérapeutes, tel que je conçois ce métier, d’arriver à gérer l’empathie.

En apprenant que ce ne serait sûrement pas pour ce Noël, mon fils a eu pendant quelques secondes les larmes aux yeux de frustration. Mais c’est un bon garçon. Il a dit qu’il était d’accord pour passer un contrat avec le Père Noël : une belle toupie en bois qui restera, une avec une courroie aussi, et, quand il y en aura à nouveau sur le marché, pour son anniversaire peut-être, une toupie hypervitesse qu’il pourra casser dans la cour de récré. Car je suis aidée dans cette douloureuse tache éducative par l’objet lui-même : ces toupies se cassent les unes après les autres parce que c’est leur nature de se casser le plus hypervitement possible. Et puis il y a tous les copieurs. Vous trouvez partout des petites toupies en plastique, distribuées par les hypermarchés et les chaînes d’hyperrestaurants. Bien que je ne les fréquente pas, l’entourage social suffit à pourvoir mes enfants. Toutes ces copies finissent par user le désir …

Pourquoi ne pas dire non tout simplement? La frustration systématique ne me paraît pas plus éducative que l’accomplissement tout aussi systématique du désir. Le non qui tombe tel un couperet m’est aussi violent que le oui qui enferme dans la fusion. J’aime les oui mais non, et les non mais oui. Si face à un désir frénétique j’oppose un non définitif, je crée un terroriste, ou un impuissant. Si face au même désir je réponds oui tout de suite à n’importe quel prix je crée un monstre obèse, inerte, informe.

Le pouvoir des adultes est-il si grand ? Oui.

Heureusement compensé par le nombre d’influences possibles.

Parfois le non s’impose, parfois le oui jaillit. En dehors de ces évidences, le dialogue reste la règle que je préfère.

Finalement mon fils a réfléchi : il a créé lui-même des toupies avec des petits legos, des bouts de bois, tout ce qu’il trouve. Et il n’a plus tellement envie de la toupie d’origine, il est vraiment d’accord pour celle en bois (à condition qu’elle ait une courroie …). Il est très fier de ses toupies.

Face à la frustration, la créativité semble finalement une réponse encore plus adaptée que la consommation.

C’est une hyperbonne nouvelle !

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Faut-il être infidèle ? Deuxième partie

par Marie-José SIBILLE

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

Quand l’infidélité émerge dans un couple, quelque chose est dit d’un besoin de distance, d’un désir de renouveau.

tendreIl existe dans tous les couples des zones à risque où l’on peut s’enliser, d’autres où l’on peut se perdre, se séparer, se retrouver, se cacher, se chercher. La Carte du Pays de Tendre de la Renaissance est encore valable aujourd’hui : une belle manière, poétique, amoureuse, de parler de la relation de couple.

Parmi ces zones de risques, l’affirmation et l’épanouissement des identités féminine et masculine sont des défis récurrents tout le long de l’existence d’un couple. On ne naît pas femme, on ne naît pas homme, on le devient ; ceci est d’autant plus vrai que la vie se rallonge. Il est facile de passer de l’enfance au jeune qui brûle la chandelle de son énergie vitale par les deux bouts ; puis de ce jeune à l’adulte standardisé par les contraintes du quotidien social ; de l’adulte au parent débordé ; du parent au retraité qui jardine ; de la retraite au cercueil ; le tout sans passer par la case homme ou la case femme.

Une certaine philosophie de la parité dans le couple va aussi dans ce sens. Sous prétexte d’égalité des sexes, la différence doit être niée : elle fait peur, elle ramène au corps, elle semble porteuse d’idéologies répressives et archaïques. Cette peur dit en résumé : « si nous sommes différents, alors il y a forcément un supérieur et un inférieur, un dominant et un dominé » ; alors nions les différences entre l’homme et la femme, comme entre ces nuances de l’espèce humaine que l’on appelle races, comme entre les âges de la vie. Construisons un monde homogène, quitte à rechercher dans les mondes virtuels des différences amplifiées jusqu’à la caricature par les personnages des films et des jeux vidéos ; quitte à jouer les voyeurs et les voyeuses à travers les magazines et les sites porteurs d’images « monstrueuses » - faites pour être montrées – des attributs sexuels féminins et masculins. Pour ceux qui ne sont pas tentés par ces jeux de rôle et peu sensibles à l’image, ou pour ceux qui ont moins d’appétence organique, le besoin d’homogénéité, d’indifférenciation pousse à confondre les sexes dans un intellectualisme et un rationalisme rigides et gris, où la fonction remplace l’homme ou la femme, que ce soit dans l’exercice de la pensée ou dans celui du pouvoir.

De nombreuses configurations de couple se prêtent à ce jeu de l’indifférenciation. Le but du couple semble alors de « refaire du même » avec le différent, plutôt que d’apprendre ce que Jung appelait la conjonction des opposés, plutôt que d’oser conflictualiser la différence.

Ce jeu de l’indifférencié se trouve par exemple dans ces couples « post-adolescents » qui quittent le toit familial à la condition expresse de tout de suite se retrouver à deux sous la même couette ; mais aussi dans ces couples fonctionnels que l’on imagine bien tenir boutique ensemble, couples qui savourent le bonheur intense de tout faire à quatre mains jusqu’à en oublier les plaisirs du solo. Ou encore les couples qui fusionnent autour de leur bébé dans un indifférencié chaleureux et attendrissant qui donne envie de célébrer Noël à la Saint Jean.

Vous l’avez compris j’espère, tout n’est pas à jeter, loin de là dans ce besoin du même. Une fois les hormones de la passion apaisées, il est plutôt positif pour un couple d’aimer discuter, danser, chanter ensemble ; il est dynamisant d’être motivé par les mêmes combats, de se reconnaître dans un socle commun qui fait lien et qui produit des fruits souvent savoureux.

Mais trop de « même » finit par créer une bombe à retardement qui fait imploser ou exploser le couple. En particulier quand ce besoin de même répond à une peur de l’autre, du monde extérieur, de la socialisation, de la sexualisation : c’est alors un besoin défensif,  qui se traduit par un centrage excessif sur un couple forteresse; Le même besoin de sécurité se trouve dans ces couples qui n’arrivent pas à couper le cordon avec les familles d’origine: des couples incestuels, vivant un peu comme frère et sœur sous la coupe de la génération d’au-dessus.

Heureusement, de nombreuses crises viennent nous rappeler qu’un couple qui ne prend pas le risque du renouvellement, prend celui de la sclérose ou de l’explosion. Chaque crise est une opportunité de changement, avec un passage obligé par une forme ou une autre de souffrance; l’infidélité en fait partie.

C’est par exemple le cas de la crise du milieu de vie : l’augmentation de l’espérance de vie et le départ décalé d’enfants venus plus tard tendent à déplacer cette crise vers la cinquantaine. Imaginons un couple usé et mélangé, confusionné par le quotidien, un couple qui parfois perd son sens après le départ des enfants, un couple où le confort et la tendresse des souvenirs partagés ne suffit plus à nourrir le présent, un couple qui manque de rêves, de projets, d’imaginaire commun : il est possible alors que la différence fasse irruption dans leur quotidien tel un éclair à travers un ciel grisâtre. Un homme, une femme, frappent à la porte : ils semblent venir de nulle part car ils viennent d’ailleurs, de cet ailleurs trop longtemps oublié par le couple.

 

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