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Tous ensemble ou chacun pour soi, la seule alternative ?

par Marie-José SIBILLE

publié dans Cette société - c'est la notre !

Aujourd’hui, le médiateur de la République a publié un rapport qui peut inquiéter : la France souffre de burn-out. Le repli sur ce que certains appellent l’individualisme et d’autres l’égocentrisme est, paraît-il, la norme. Le sentiment d’impuissance aussi, face, par exemple, à des services publics dénaturés, qui remplacent le contact humain par une plate-forme téléphonique ou par l’envoi de courriers ou de mails représentant des fins de non recevoir plus ou moins explicites. Même les plus costauds d’entre nous renoncent souvent à faire valoir leurs droits, ne parlons pas des plus fragiles, ceux qui auraient le plus besoin de la solidarité collective, du moins en apparence, au niveau concret ; les anecdotes sont nombreuses, depuis la femme violentée par son conjoint n’ayant droit à aucune allocation car obligée de fuir son lieu de travail sans préavis, en continuant par les experts juridiques qui décident du sort d’une famille après une heure d’entretien, ou des personnes qui voient leur ressources supprimées du jour au lendemain par un ordinateur incapable de comprendre les détails d’un dossier, pour ne citer que des cas que j’ai rencontrés. Mais ce sont peut-être les puissants qui se cachent derrière des ponts-levis fermés à double tour à la pression du peuple qui en auraient le plus besoin, de solidarité. Car comment peut-on vivre en sachant que l’on contribue à l’affaiblissement des plus fragiles ? C’est une question qui pour moi, à ce jour, est sans réponse acceptable.

Il est dans tous les cas notable que les signes d’une crise collective sont là depuis un moment, et qu’ils apparaissent, en particulier chez les psychothérapeutes et psychopraticiens que nous sommes, sous la forme qu’entraîne l’épuisement psychique exprimé par le burn-out : d’abord par une augmentation massive de l’agressivité et de la violence non régulée, que ce soit chez les jeunes, dans les familles, dans la société ou dans le monde du travail. Mais aussi par une augmentation des phénomènes de repli et d’évitement, à travers la polyaddiction par exemple : la fuite d’un réel devenu insupportable à travers les écrans, les boissons, les drogues, la nourriture grasse et sucrée… Ou encore par les différentes formes de la dépression, avec une augmentation signifiante des phobies relationnelles et sociales, et même du suicide, en particulier dans les âges que l’on aimerait croire à l’abri de ce phénomène, comme la petite enfance.

Mais des solutions existent. Le mouvement que les sociologues ont nommés les « créatifs culturels » en fait partie : ce sont des personnes qui croient – naïvement ? - qu’en se transformant elles-mêmes elles peuvent faire avancer les choses. N’est-ce pas la croyance du psychothérapeute, du psychopraticien tel qu’il est défini depuis des années dans nos lieux d’échanges collectifs ? C’est en tous cas une alternative acceptable pour sortir du sentiment d’impuissance d’un côté, et de la tentation totalitaire de l’autre, et je ne parle pas de l’épouvantail FN en pointant ce risque.

C’est là que le bât blesse vraiment beaucoup avec la loi hôpital 2010. Non pas, en soi, que je sois opposée, bien au contraire, à la mise en relation positive des psychothérapeutes avec les institutions publiques et universitaires. Mais le danger majeur que l’on nous agite, celui des charlatans, me paraît mineur à côté de celui que je ressens, moi comme d’autres, majeur : celui de considérer qu’un savoir extérieur, même de qualité, peut remplacer le long cheminement intérieur et interindividuel qui a formé le psychothérapeute tel qu’il se définissait avant la loi. C’est un épouvantail de plus, agité pour faire peur aux petits oiseaux, pour qu’ils ne viennent surtout pas picorer dans les champs réservés par certains.

La clinique devrait pouvoir rassembler tout le monde, en tous cas tous les gens de bonne volonté[1] : les jeunes praticiens formés par l’université peuvent se rendre compte de l’impuissance qui est la leur au moment d’être en relation thérapeutique avec une personne puisqu’ils n’ont rien expérimenté de ce qui fait le cœur du métier, que ce soit en terme de relation, d’expérience intérieure, ou de méthode thérapeutique ; les artisans formés tels des compagnons du devoir à travers leur propre transformation peuvent se rendre compte que des cadres théoriques importants peuvent être transmis par l’université, en particulier à travers la transmission de tous ceux qui ont existé avant nous dans ce champ d’expérience, et aussi une certaine humilité, une ouverture sur la pluralité des disciplines utiles dans le champ de l’humain, une conscience de la fragilité du savoir et de sa mobilité.

Malheureusement, au lieu de rassembler tout le monde dans un même élan d’humilité pour apprendre les uns des autres, la clinique devient trop souvent à son tour un champ de bataille dont les armes et les boucliers sont les différentes méthodes ou manières de penser, présentées chaque fois comme étant la plus nouvelle, la plus meilleure, la plus universelle, la plus scientifique, et j’en passe.

C’est pour essayer d'éviter cela que je définis ma pratique comme Psychothérapie intégrative.

Pour en revenir au constat social, certains peuvent penser que les créatifs culturels tombent justement dans le piège de l’individualisme. Ceux-là imaginent que la collectivité, c’est « tous ensemble » derrière le dernier maître à penser, ou derrière le dernier mot d’ordre du dernier parti politique en date. Tant que ce sera cela la collectivité, je préférerai toujours la solidarité ponctuelle entre créatifs culturels, et l’association, ponctuelle ou régulière, en vue de défendre des valeurs communes.

Alors, bon courage chers créatifs culturels, pour transformer votre vie en œuvre d’art,  et vivre votre bonheur personnel non comme une île où se réfugier - on ne sait jamais, il y a peut-être des volcans ou des centrales nucléaires qui se cachent dans votre île - mais comme une île faisant partie d’un archipel, où tous ont investi pour construire des ponts, des barques ou simplement des radeaux pour joindre les rives les unes aux autres.



[1] Voir à ce sujet « l’appel des appels », qui regroupe de nombreuses bonnes volontés et consciences ouvertes dans le champ de l’humanisme.

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LES ETATS D’AME DE LA PETITE SOURIS

par Marie-José SIBILLE

publié dans Le quotidien - c'est pas banal ...

SourisQuelques variations supplémentaires sur le thème  (récurrent) du martyr quotidien des parents de famille nombreuse

 

Dans ce beau matin où la nature se prépare à accueillir le printemps, ce matin où vous vous demandez si vous allez disparaître dans une explosion nucléaire ou succomber sous les griffes d’un tyran fou furieux, pour peu que les tremblements de terre, tsunami, et autres inondations vous aient épargnés, se préoccuper des états d’âme de la petite souris peut paraître bien futile.

Mais il se trouve que c’est ce qui me permet encore et toujours de croire en l’humanité.

Or donc.

Si vous avez ou avez eu comme c’est mon cas trois enfants d’âges à peu près similaires, vous devez faire face régulièrement à l’évènement  suivant : LA PERTE DES DENTS DE LAIT.

Perdre une dent est un mini trauma pour l’enfant. Je me rappelle encore - peut-être vous aussi - de la sensation à la fois plaisante et insupportable de la dent qui bouge et du moment tragique où tout bascule : la dent est tombée. Dans les temps préhistoriques où j’étais enfant, les parents bienveillants qui étaient les miens essayaient de raccourcir l’agréable supplice en attachant un fil à la dent, puis en reliant ce fil à une poignée de porte : « ferme les yeux et serre les poings » me disait mon père ; la porte claquait alors, et la dent tombait. Grandir est une histoire de  portes qui claquent plus ou moins fort.

Perdre une dent de lait, c’est grandir un tout petit peu, c’est continuer à se séparer de l’enfance, c’est perdre un bout de soi, c’est difficile. Il faut donc être sûr que cette perte annonce un gain futur, et d’un futur pas trop lointain : d’où la petite souris, chargée de rétablir l’équilibre par une pièce de monnaie.

Première difficulté pour les parents vivant à la campagne : avoir sous la main la pièce de 2 euros qu’il faudra mettre le soir sous l’oreiller en échange de la dent.

Vingt dents de lait à remplacer par enfant = 60 pièces de deux euros.
Savez-vous que plus personne ne veut faire de monnaie ? Il y a encore quelques années, j’allais à la banque ou à la poste échanger quelques billets contre des rouleaux de pièces. Cela n’existe plus. Pourquoi ? Aucune explication n’a été donnée sur un de ces multiples changements sociaux des dix dernières années. Je ne sais plus où faire de la monnaie, alors que d’autres croulent sous les milliers de petites pièces en cuivre dont ils ne savent pas quoi faire, il y a même des machines qui ont été créées pour les recycler en bons d’achats, et l’opération caritative « pièces jaunes » explose depuis le passage à l’euro. Nous avons un problème collectif d’écoulement des liquides semble-t-il.

La dernière fois, un vendredi soir, j’ai dû raconter à mes enfants - qui ne sont pas dupes - que la petite souris était partie en week-end : après tout elle y a droit elle aussi, profitons-en pour faire un cours d’éducation à la citoyenneté. Car impossible de trouver une pièce de deux euros, à moins de puiser dans la tirelire des enfants, ce qui aurait frôlé la perversion, mais j’y ai quand même pensé en désespoir de cause.

Trois enfants, ce sont des dents qui tombent à tour de bras, d’autres qui poussent on ne sait pas trop comment dans des positions et des lieux bizarres ; mes enfants se mettent à ressembler à des vampires, à des lapins, à des pianos dont il manquerait des touches …

Il y a aussi le problème des horaires de travail de la petite souris : tout va bien avec les enfants qui tombent dans le sommeil la tête à peine posée sur l’oreiller (mon fils). Mais pour celles (mes filles) qui « papotent » jusqu’à point d’heure, c’est dur.

Hier encore, la petite souris est montée à pas de loup croyant enfin tomber sur des enfants endormis, ayant elle-même usée de tous les artifices possibles pour rester éveillée. Silence. Tout va bien. La petite souris se prend les pieds dans une construction en lego, trois peluches, quatre poupées, deux fusées et trois voitures, mais elle arrive à chaque fois à se rétablir au dernier moment, dans l’obscurité profonde heureusement éclairée par un bienvenu rayon de lune. De deux lits sur trois, mais pas les bons, émanent de doux ronflements témoignant d’un sommeil juste et empli de beaux rêves. La petite souris arrive enfin au bon lit. Un œil s’ouvre : « je savais bien maman, me dit une petite voix amusée, que c’était toi la petite souris (ou papa d’ailleurs, plus souvent). Mais c’est pas grave, je suis sûre que la petite souris était malade et elle t’a chargée de la remplacer ». Et oui, me voilà travailleuse intérimaire remplaçante de petite souris.

Bien sûr, je pourrais maintenant donner une pièce à chaque perte de dent et décréter la mort de la petite souris, c’est en mon pouvoir de parent, et mes enfants ont dépassé l’âge de raison. Mais ce jeu permanent entre l’imaginaire et la réalité est un des grands trésors de l’enfance, un de ceux qu’il est si dur de garder. L’adulte fuit dans l’imaginaire, ainsi réduit au virtuel, ou fuit dans le réel, ainsi réduit au matérialisme ; il a souvent perdu la clé du pont entre les mondes.

Alors la petite souris et ses états d’âme continueront de nourrir nos conversations familiales encore un moment.

Ça n’empêche pas de penser à la menace nucléaire et à la folie des tyrans.

Si ?

 

 

 

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