L’AVORTEMENT, PARLONS-EN !
L’AVORTEMENT, PARLONS-EN ...
AVANT QUE L'ON N'EN PARLE MOINS !
C’était beau la cérémonie du scellement de l’IVG dans la constitution (malgré une partie des acteurs, dont les principaux …).
Je suis du style à avoir la larme à l’œil dans ces moments-là, j’ai même aimé le discours du président, c’est tout dire !
Mais surtout, soulagement, mes filles ne courent plus aucun risque de vivre ce qu’ont vécu mes grand-mères et ma mère.
Par contre je ne suis pas sûre qu’elles soient à l’abri de ce que j’ai vécu moi.
Qu’ai-je envie de partager à ce sujet, en tant que femme, en tant que psy ?
En tant que très jeune femme, deux avortements, je ne savais pas qu’atteinte d’endométriose j’aurais de toutes façons fait une fausse couche, je l’ai su bien après. Dommage.
Dans les deux cas, compagnon (différent) présent, rien à dire de ce côté-là. Ou plutôt plein de choses sur leur vécu, mais ce n’est pas le sujet.
Acte banal ? Non. Intense réflexion et choix conscient dans les deux cas.
Par contre la deuxième fois je suis tombée sur une gynécologue « pro-vie » qui m’a fait comprendre ma douleur. Curetage sans anesthésie, certaines qui me lisent compatiront, et leçon de morale pendant toute l’intervention, du genre, « comme ça au moins vous ferez plus attention la prochaine fois, c’est vraiment pas sérieux, un deuxième en plus … » (SIC). Certes. Dans ces folles années de jeunesse ne faisais-je donc pas attention ? La pilule faisait partie de ma vie depuis l’adolescence pour cause de douleurs insupportables, dont j’ai appris bien plus tard (après 40 ans ! après X fausses couches !) qu’elles étaient dues à l’endométriose. Je ne savais pas que cette maladie existait, personne ne m’avait diagnostiquée, pas faute d’avoir vu des gynécos. Bizarre, maintenant je m’en passe …
Donc un problème de pilule, ça arrive, et la culpabilisation n’a pas marché. Je ne me suis pas sentie coupable, je savais trop bien qu’il n’y avait pas d’alternative satisfaisante. Ensuite l’endométriose m’a lavée de tout regret inutile, elle a eu au moins ça de bon.
En tant que psy, j’ai accompagné des femmes qui portaient comme une blessure un avortement non choisi, imposé par les conséquences, non accompagné, que ce soit par le porteur du spermatozoïde mais aussi, trop souvent, par la famille. Sentiments d’abandon, de solitude, de culpabilité, tristesse, colère, honte …
Celles qui ne m’en parlent pas c’est, dans le meilleur des cas que je leur souhaite, que ce n’est pas un sujet.
J’ai appris à accompagner ces jeunes filles et ces femmes, dans un vrai processus de deuil à retardement, un peu le même que pour une fausse couche, avec plus de culpabilité. J’ai évité de leur dire « ce n’est rien, juste un œuf », comme j’ai pu me l’entendre dire lors d’une fausse couche par une autre gynécologue tout aussi inspirée que les précédentes, et en tous cas mal à l’aise avec les émotions.
J’ai compris que même si cette liberté fondamentale se devrait de n’être jamais remise en question ni même discutée, elle n’empêche pas les émotions, l’histoire particulière et le contexte relationnel de chacune.
L’avortement est lui aussi un fait bio-psycho-social, qui s’inscrit dans un corps, dans une personne, avec ses émotions et son histoire, et dans une culture plus ou moins patriarcale (jamais pas du tout).
Un élément de réflexion incontournable, c’est que l’avortement ramène la jeune fille ou la femme à une relation, au minimum sexuelle, parfois plus. Et cette relation s’est inscrite dans sa chair. Impossible de faire l’impasse là-dessus sous peine d’être dans le déni et le clivage par rapport au corps.
Ensuite, soit je n’en entends pas parler en séance, parce que ce n’est pas un sujet ou au contraire, parce qu’il il y a encore un clivage, soit il y a ce processus de deuil à faire, et c’est tout à fait entendable malgré mon militantisme affiché.
Accomplir ce processus de deuil, parfois très rapide, une ou deux séances, libère de l’espace pour un futur, avec ou sans enfants, peu importe, mais un futur choisi.
Parfois des personnes pleines de bonne volonté voudraient nier, banaliser, oublier cette étape, qui encore une fois n’est pas obligatoire, pour certaines, l’avortement reste un acte médical « banal ».
Mais ce que j’ai pu constater ces derniers temps c’est que certaines jeunes filles commencent à avoir honte de leurs émotions, c’est un comble ! Elles culpabilisent, non pas de l’avortement, mais de ressentir des émotions alors que c’est une liberté si durement conquise par des générations de femmes, et une impossibilité dans tant de pays au monde. Elles se doivent d’être reconnaissantes et c’est tout !
Alors, est-ce possible de penser et de vivre ce phénomène dans la complexité ? De soutenir l’absolue liberté tout en accueillant les émotions légitimes ? J’ai bien dit en accueillant, pas en dictant.
Ce serait bien de ne pas emprisonner les émotions sous prétexte de liberté … Ça me fait un peu penser à la liberté sexuelle des années 70/80 ce que je dis, là. J’en ai parlé ailleurs, il y a déjà longtemps. Il y avait par exemple cette impossibilité à nommer un viol ou une emprise, sous prétexte de « liberté » durement acquise … Heureuse de voir que le débat s’affiche aujourd’hui.
Alors faisons attention de ne pas ouvrir de nouvelles prisons au nom d’une plus grande liberté. C’est un malheureux classique de l’histoire. Je vous laisse avec cette réflexion philosophique …