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Avatar: Just a good trip?

par Marie-José SIBILLE

publié dans Cette société - c'est la notre !

Un regard de plus sur le film évènement de l’année 2010avatar_118.jpg

 

Pour quelqu’un comme moi, dont le monde émotionnel et l’imaginaire fonctionnent à plein régime depuis l’âge de la lecture du Petit Prince, et de celui de la découverte du Seigneur des Anneaux, AVATAR c’est déjà 2h40 de pur bonheur, suivi par au moins le même temps de nostalgie et de réadaptation au réel. On appelle ça « la descente »  après le « trip » lors d’une prise de drogue. Donc, bien sûr que ce film est à voir, même si ça donne des sous à des gens qui en ont déjà trop.

Est-ce qu’en plus, ce film permettrait, ce serait la cerise sur le gâteau, de se poser des questions sur notre humanité passée et toujours actuelle ? Ou plutôt que de poser des questions, car le scénario est compréhensible, et sa fin prévisible, à partir de l’âge de sept ans, de ressentir des émotions qui pourraient développer notre conscience collective ?

Internet nous fait toucher depuis quelque temps une communication globale, une unanimisation de l’humanité qui fait penser aux intuitions de Teilhard de Chardin, ainsi qu’au fonctionnement de beaucoup de peuples premiers. Si ce n’est que c’est la technique qui provoque cela, aucune transformation éthique n’en découle d’office. Les catastrophes telles que celles d’HaÏti y arrivent également partiellement, en touchant quant à elles au cœur de notre empathie envers les plus vulnérables ; et je voudrais penser que seuls quelques pervers psychopathes sont exclus de ce sentiment, même si je sais que ce n’est pas le cas. Cette plongée dans une humanité unifiée dont je me retrouve simple goutte est une véritable douche intérieure, qui nous amène, pendant un temps plus ou moins court, à sortir de nous, à élargir notre conscience et notre affectivité. Et ce sont bien sûr les mêmes émotions, et les mêmes besoins, utilisés par des chefs charismatiques au profit d’appartenances cette fois-ci partielles, qui conduisent à toutes les dérives sectaires, politiques,  religieuses, nationalistes, sportives ou autres, comme l’indique l’étymologie du mot « secte », qui signifie « couper ».

Certaines œuvres d’art ont aussi ce pouvoir d’élargir nos frontières intérieures, et peut-être ce film en fera-t-il partie, quelles que soient les marchands du temple qui nous l’ont tout d’abord imposé.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore l’histoire, il s’agit de la rédemption d’un homme, de son initiation aussi, qui le font passer du stade d’ancien marine exclus, dépressif, handicapé, opportuniste, à celui d’Avatar, c’est-à-dire d’incarnation sacrée, en l’occurrence de l’esprit de la déesse mère de la Planète Pandora, dont le sol recèle un minerai objet de toutes les convoitises. D’abord engagé par les multinationales qui ne pensent qu’à l’argent, et par les mercenaires à leur solde qui ne pensent qu’à tuer, bref par les très méchants, il va, par amour, finir par prendre le parti du peuple d’indigènes et les mener au combat, en connaissant parallèlement une initiation complète, c’est-à-dire une transformation radicale et irréversible de son être au monde et de son niveau de conscience. Voilà, s’il en est un, un thème qui a nourri de nombreux mythes, depuis la plus lointaine antiquité, un archétype toujours aussi efficace auprès de notre inconscient. Le monde de Pandora, beaucoup d’entre nous aimeraient sûrement y vivre. Je vous laisse en découvrir l’infinie beauté. Peut-être existe-t-il d’ailleurs, dans la nature qui nous entoure encore. Peut-être s’agit-il simplement de "voir", comme il est suggéré dans le film. Notre avenir, pour qu’il puisse exister, passe-t-il par le retour aux sources que propose le film ? Par une quête toujours plus avancée technologiquement telle que la vendent les nanotechnologies et le monde post-moderne ? A chacun de voir. Deux types d’initiation, assez fondamentalement opposées, mais peut-être réconciliables, nous sont aujourd’hui proposées.

Ce qui est certain, c’est le besoin d’initiation, de transformation de la conscience de chacun d’entre nous.

Sommes-nous capables de nous identifier aux méchants ? Bien sûr pas les grands méchants, le responsable de la multinationale ou le chef des mercenaires, n’ayons pas cette ambition ; mais à tous ceux qui les suivent sans rien dire, voire en hochant la tête d’un air approbateur. A tous ces gens comme vous et moi qui font leur travail sans trop se poser de questions, qui ont appris depuis l’enfance à obéir pour se sentir en sécurité, et qui n’ont pas pu remettre cela en question. Ou encore ceux qui sont tellement pris par l’entretien de leur « secte », quel que soit le petit monde clos qu’ils ont choisi pour pâturer, qu’ils n’ont pas de disponibilité pour autre chose. Et enfin ceux pour qui la survie quotidienne est déjà un tel fardeau, sûrement les plus nombreux, quelle que soit la raison de cette fatigue, qu’il leur est déjà héroïque d’arriver à se lever le matin pour reprendre le collier. Cela fait d’autant plus mal alors, quand on voit dans le film un soldat noir acquiescer au massacre présenté comme indispensable des « sauvages », alors même que dans ses origines réside un drame identique.

Il paraît qu’en Haïti les médecins locaux, ainsi que les classes supérieures, tous formés en occident, se désintéressent du « bas peuple », je cite la radio, allant même jusqu’à jouer aux cartes pendant que des milliers de personnes, gens de leur propre pays, agonisent, juste là, dehors. Cela est très choquant. Mais la mort des SDF en hiver, en France, nous empêche-t-il d’aller acheter le foie gras de Noël ?

Ce processus d’identification à l’agresseur, ou au puissant, à celui qui a le pouvoir et à qui il faut ressembler, fait malheureusement partie des mécanismes adaptatifs et des systèmes de défense de l’humanité, de l’animal aussi d’ailleurs.

Ce film a le mérite de montrer une possibilité de rupture avec ce fonctionnement.

Pour peu bien sûr qu’il ne soit pas simplement un moment de « trip » émotionnel, reproductible à l’infini à l’aide du jeu vidéo sorti dans la foulée, pour rester une expérience possible à mettre en lien avec ma vie quotidienne.

Car une question bien sûr reste le lien avec le réel. De manière totalement prévisible, donc je ne vous dévoile rien, le film se termine bien. Que ce serait-il passé si le réalisateur avait choisi la victoire écrasante des blancs sur les peuples premiers, des dictateurs de toutes les couleurs sur ceux qui osent s’opposer à leur toute puissance, celles des bulldozers sur les arbres millénaires, celles des bombes sur les arcs, celle de la rationalité de l’argent sur la solidarité et sur l’esprit religieux, j’entends par là l’esprit qui relie les hommes entre eux et avec leur environnement, bref, si il avait choisi de montrer la réalité de notre histoire humaine depuis des millénaires, et celle qui nous gouverne encore aujourd’hui, voire de plus en plus ? Aurait-ce été du courage ? Peut-être est-ce plus utile de toucher le besoin d’autre chose qui semble naître de manière plus généralisée depuis quelques années ?

Beaucoup de critiques que j’ai lues pour écrire cet article mettent l’accent sur l’entreprise financière, sur le succès commercial, ou sur la jouissance du voyage sur Pandora. Certains trouvent la leçon de morale trop pesante, d’autres, qui doivent vivre dans un autre monde que le mien, trouvent les méchants caricaturaux ! J’espère juste amener l’idée que le plaisir n’est pas opposé à la prise de conscience et à l’engagement.

Si nous pouvions percevoir, avec la capacité de développement de l’empathie qu’apportent ces nouvelles technologies de l’image, ce que nous avons fait, et faisons encore tous les jours, chacun d’entre nous, subir à notre terre, et à notre humanité, sûrement deviendrions-nous tous fous de douleur.

 

 

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Adoption internationale et corésilence

par Marie-José SIBILLE

publié dans Cette société - c'est la notre !

 

ADOPTION INTERNATIONALE ET CORESILIENCE:

« Qui ne se ressemble pas du tout s’assemble très très bien » 

Enfants rieurs 

 


Parmi les centaines de milliers de situations douloureuses vécues ces jours-ci dans la communauté haïtienne et ceux qui leur sont proches, je voudrais adresser une pensée particulière à toutes les familles en cours d’adoption à Haïti, qui s’interrogent sur la santé de leur enfant, ainsi qu’aux familles qui vivent déjà avec leurs enfants nés en Haïti.

 

Article écrit en octobre 2007, paru dans : « Familles, explosion ou révolution ? », collectif d’écrivains sous la direction de Joyce Aïn, préface de Serge Tisseron, Editions ERES, 2008.

 

 

D’un côté, nous avons des parents en cours d’agrément qui se représentent souvent l’adoption internationale comme un conte de fées où un couple uni et amoureux crée dans l’enthousiasme une famille multicolore et soudée. Et une majorité de familles heureuses, dont on sait que le bonheur n’a pas d’histoire.

D’un autre côté nous avons des drames familiaux, de lourdes problématiques de traumas infantiles et de troubles de l’attachement non résolus.

Et aussi de noirs corbeaux annonciateurs de sombres nouvelles, qui véhiculent avec inconscience ou jouissance d’archaïques préjugés :

-          «… ils seraient mieux dans leur pays,

-          d’accord pour les asiatiques mais pas pour les noirs,

-          c’est du pillage, il vaut mieux aider ces femmes à élever leurs enfants sur place,

-          il ne faut pas couper un enfant de ses racines,

-          les traumatismes du début ne guériront jamais,

-          vous ne savez pas quelle tare génétique  va surgir à l’adolescence, … »

Et encore des parents adoptants qui maltraitent les enfants qui leur ont été confiés : violences, rejet, humiliations, voire inceste.

Et des dépressions post-adoption qui touchent tant de parents adoptants (plus de 70%) qui peuvent parfois durer des mois et dont personne ne parle, à commencer par eux.

 

Heureusement, le réel est complexe. Le merveilleux cohabite avec le drame, le préjugé avec l’élan du cœur, la belle histoire avec les difficultés quotidiennes.
Et, surtout, personne ne peut préjuger de « ce qui est bon » pour le devenir d’un enfant. Tout au plus pouvons nous savoir ce qui est à exclure.

J’ai autant de mal à entendre des responsables de l’adoption internationale se permettre de dire « évidemment ils seraient mieux dans leur pays », que des bien-pensants nous dire « ils en ont de la chance que vous les ayez tirés de là-bas ». Il est apparemment très dur de sortir du mythe des parents sauveurs, ou de celui, à l’ opposé, de l’enfant arraché à ses racines. Mais le fait même que des représentations aussi éloignées les unes des autres coexistent me semble rassurant.

 

Qui sait ?

 

Ce qui est certain c’est qu’ils viennent de « là-bas », leur pays d’origine, de l’ailleurs donc. Qu’il nous faut accueillir et aimer, pas forcément « intégrer », même si l’on nous dit que l’intégration de l’enfant est prioritaire. Encore un de ces mots ambigus qui font rage dans le contexte de l’adoption internationale comme dans celui de l’immigration.

Si intégrer veut dire trouver une place créative dans notre monde, d’accord.

Mais souvent ce terme sous-entend de transformer l’autre en même, en bons cannibales que nous sommes au fond restés.

 

 

 

 

Des limites à respecter ?

 

L’adoption internationale est un thème qui touche facilement aux valeurs, aux préjugés, et à ces franges évolutives et encore non totalement intégrées de notre société, par exemple le mariage homosexuel, ou la parentalité d’une femme ou d’un homme célibataires. Ces zones frontières, où les ombres et les lumières se mélangent plus qu’ailleurs, sont à la fois source d’avancées créatives dans le domaine resté longtemps figé de la famille, mais aussi de débats sanglants. Nous risquons de toucher à l’intouchable, aux tabous, très forts en ce qui concerne le lien parents-enfants dans son double aspect de filiation et d’affiliation, et la définition de la famille. A la croisée de la filiation nommée par la loi et du processus complexe d’affiliation qui me fait sentir l’appartenance à une famille, que penser par exemple du fait que dans le livret de famille en France, un enfant adopté est déclaré « né de » ses parents adoptifs, sans que soit mentionnée son adoption ? En dehors de l’aspect tragi-comique (un enfant noir né de deux parents blancs), ces petits symboles de la complexité de la situation, il y en a de nombreux, nous interrogent régulièrement.

 

Mon expérience de mère adoptante m’a suffisamment marquée pour que je veuille partager aujourd’hui cette aventure, en tant que mère adoptante, en tant que psychothérapeute, et aussi en tant que militante, car je crois à l’avenir d’une humanité multicolore et ouverte sur la différence. Voilà pour la part de l’Idéal.

Dans les faits, la différence est toujours choquante, en particulier sur le plan organique. Récemment dans mon entourage, une enseignante s’est effondrée en larmes au milieu de sa classe quand on lui a demandé d’accueillir une adolescente très lourdement handicapée au point d’en être défigurée. Elle n’a pas supporté la vision de cette adolescente, et malgré sa bonne volonté et son humanisme indéniable, n’a pas pu franchir l’obstacle, même et surtout devant l’adolescente en question. Cette enseignante doit actuellement se débattre dans les affres de la culpabilité, prise en tenailles entre son idéal humaniste, ses sentiments altruistes, et son corps, ses émotions, peut-être aussi son inconscient, qui ont dit non, cela m’est insupportable.

C’est pourquoi il est si important de tenir compte de nos limites, ce qui sous-entend d’abord de les connaître, quand on se lance dans cette aventure bouleversante. L’enfant noir incarne souvent cette limite individuelle ou familiale, à travers par exemple un interdit grand parental impossible à transgresser, mais il est loin d’être le seul. Différentes ethnies peuvent provoquer ce sentiment de rejet organique, y compris bien sûr la notre, y compris chez des parents de même origine ; c’est pourquoi certains parents adoptants blancs ne peuvent adopter d’enfant européen, le rejet du même étant trop fort ! Evidemment, ce n’est qu’une toute petite minorité, mais très signifiante. Quand il ne s’agit pas de « racisme organique », les limites les plus fréquentes sont les handicaps, où certaines maladies, comme le syndrome de l’alcoolisme fœtal ou le sida ; parfois même des maladies aussi bénignes, en tout cas je les ressens comme telles, que la gale provoquent des réactions de panique et de rejet chez certains parents ; ou encore des facteurs psychosociaux comme l’âge de l’enfant, ou le fait que les parents biologiques soient encore identifiables et donc joignables dans le futur.

Toutes ces limites peuvent être mal jugées de l’extérieur, y compris par les professionnels. Il n’en reste pas moins qu’elles existent, plus ou moins loin. Notre corps, notre monde psychique, nos représentations, sont plus ou moins plastiques, plus ou moins aptes à accepter véritablement et ensemble la différence de l’enfant. Et bien sûr elles ne sont pas forcément identiques à l’intérieur du couple adoptant. Il nous faut alors tenir compte de la limite la plus basse.

Lors de mon premier processus d’adoption, alors que notre dossier suivait tranquillement son cours et que nous savions avoir environ deux ans d’attente devant nous, un responsable de l’organisme par lequel nous passions me téléphone un matin pour me proposer d’adopter une petite fille handicapée en me disant : « comme ça vous aurez votre bébé dans deux mois ». Nous présentions un profil social et psychologique qui avait poussé ce responsable à transgresser les indications de notre agrément qui indiquait clairement que nous ne nous sentions pas prêts, pour une première adoption et une première expérience de parentalité, à accepter un enfant handicapé. Dire non a été une expérience très douloureuse, j’en ai pleuré, et fait des cauchemars, pendant plusieurs jours ; j’y repense encore de temps en temps. C’est mon mari qui s’est chargé de porter le « non ». Je ne suis pas sûre que seule j’en aurais eu le courage. Il m’est d’ailleurs encore difficile de partager cette expérience, alors même que je le croie utile.

Je crois pourtant que tous les enfants ont besoin d’une famille pour pouvoir grandir et s’épanouir ; à commencer par les enfants français, ceux qui passent des années dans des structures collectives, ou changent des dizaines de fois de famille d’accueil, victimes d’obscures paperasseries, de lois désuètes, véhiculées par d’anonymes acteurs institutionnels.

L’adoption internationale permet de réfléchir à l’hégémonie encore actuelle de la loi du sang et à toutes ses conséquences psychosociales, dont le racisme, mais aussi la situation de la protection de l’enfance en France. Les échecs parfois terribles de ce secteur sont trop souvent liés à cette théorie, profondément idéologique malgré son évidence apparente, qui encourage à maintenir à n’importe quel prix le lien enfants - parents de sang, sans aucune réflexion en profondeur centrée sur l’enfant, où plutôt dans une réflexion ne tenant pas encore compte des avancées les plus récentes dans le domaine de la psychothérapie appliquée à la famille et à l’enfant. Nous retrouvons d’ailleurs cette théorie autrement présentée dans les débats actuels sur l’amendement ADN, qui manifeste une idéologie familiale à l’opposé de celle que représente l’adoption internationale, quels que soient les arguments favorables qui puissent être entendables dans une vision complexe de cette question. Ces supports idéologiques étayent aussi souvent la peur des professionnels du terrain de provoquer ou d’annoncer une séparation familiale ; une peur très compréhensible, qui, comme ils sont nombreux à le dire, pourrait être vraiment soulagée si ces professionnels, ainsi que les familles d’accueil, bénéficiaient de l’appui de personnes ressources capables de les entendre et de les aider à réguler leurs émotions, ainsi que de lieux et temps de partage.

Et au bout du compte ces enfants ne sont pas ou plus adoptables, même par les familles d’accueil où ils se sont parfois enfin reconstruits. De ce côté-là, l’adoption internationale est clairement en avance, en montrant qu’il est possible pour des parents, le plus souvent pour une mère, de mettre au monde un bébé sans pour autant avoir la capacité ou le soutien social et familial pour s’en occuper, à plus ou moins brève échéance après l’accouchement.

Elle montre et démontre que mettre un enfant au monde dépasse de loin la conception, la grossesse et la naissance. Et le processus de l’agrément, qui oblige les personnes concernées à une authentique réflexion sur la parentalité, montre que celle-ci ne s’improvise pas, n’est pas uniquement instinctive ni naturelle, ni même une histoire de sentiments, mais nécessite des compétences qui se doivent d’être développées soit de manière intrafamiliale, soit autrement.

Ce processus de l’agrément doit entre autres servir à définir ses limites, ce qui revient aussi à déloger le complexe du parent sauveur, et ainsi de lutter contre une des causes des échecs d’adoption.

 

Ainsi, soit parce que la procédure pour adopter les enfants nés en France est trop longue et complexe, soit par choix délibéré dès le départ, pour des raisons et surtout avec un sens souvent uniquement accessibles par l’intermédiaire d’une psychothérapie ou d’une analyse, des parents partent chercher très loin ce qui leur était impossible à vivre dans la proximité. L’adoption internationale permet d’apparier  ces enfants et ces parents qui s’attendent mutuellement à tous les coins du monde.

 

 

Des échecs à comprendre

 

L’adoption internationale, c’est près de 4000 enfants de toutes les couleurs et de quatre continents sur cinq qui sont arrivés en France en 2006. Cela peut paraître beaucoup, sauf si on le rapproche des 800000 naissances qui ont eu lieu en France la même année. C’est donc un épiphénomène qui concerne 0,5% (ou 5 pour 1000) des bébés qui arrivent dans notre pays chaque année. Ce phénomène de marge, de frange, bénéficie ou supporte une surmédiatisation, ainsi qu’une surexposition sociale - un enfant noir dans un village alsacien apparaît distinctement comme « autre » - dont les avantages et les inconvénients restent à étudier en profondeur. Au moins dire que le phénomène existe, et qu’il est complexe. Mais, encore une fois, nous savons aussi que c’est beaucoup par la marge qu’une société évolue et remet en question ses fondements culturels.

Par ailleurs, quelques dizaines de milliers de couples attendent à l’heure actuelle de pouvoir adopter un enfant.

Les adoptions de pupilles de l’état sont à peu près de l’ordre du millier pour des dizaines de milliers d’enfants placés et suivis par l’ASE, ce qui montre l’état des lieux dans notre  pays.

C’est 2% de ces enfants dont l’adoption échoue nous dit-on. Un chiffre qui ne veut pas dire grand-chose. Juste que dans deux pour cent des cas, la souffrance familiale devient tellement grande qu’il faut envisager de replacer l’enfant dans un foyer ou une famille d’accueil avec le risque immense, bien sûr, de continuer à façonner un être humain traumatisé à vie, et donc potentiellement asocial, ou antisocial. Deux facteurs apparaîtraient de manière récurrente dans ces échecs officiels : les motivations humanitaires du projet parental, et l’échec d’apparentement, le mauvais enfant pour les mauvais parents.

Aucune réponse simple n’apparaît. Aucun sauveur possible. La seule piste paraît être une fois de plus dans la solidarité, familiale et sociale, autour de l’enfant. Car le manque de soutien, l’isolement, l’absence d’interlocuteur sensible et compétent, reste une constante dans ces situations dramatiques.  Mais d’autres situations de familles adoptantes peuvent être problématiques. C’est le cas par exemple d’enfants uniques couvés ou vampirisés, avant de devenir à leur tour des tyrans affectifs. Ou encore celui d’enfants envahis par le débordement émotionnel de parents dont le projet est devenu obsessionnel.

Mais un des échecs de l’adoption internationale, même si il peut paraître rassurant, peut être aussi que l’on retrouve dans ces familles les disfonctionnements quotidiens de nombreuses familles non adoptantes. Un échec, pas parce que les parents adoptants sont supérieurs, mais parce que bien souvent ils ont eu le temps, voire même le devoir de réfléchir sur ce que signifie fonder une famille, avoir des enfants, transformer un couple amoureux en couple qui intègre la parentalité ; et qu’ils ont pu être accompagnés dans ce processus de croissance dans le cadre de la procédure d’agrément. Ils ont eu le temps de mûrir.

Face à la médiatisation et au poids de culpabilité qui pèsent sur ces familles adoptantes dites en situation d’échec, il est important de rappeler que l’adoption est un mode de filiation parmi d’autres, même si il est affectivement et symboliquement très investi. Et combien de parents de sang sont-ils en échec avec leur enfant ? Combien d’enfants biologiques ne sont pas adoptés par leurs parents d’origine tout en continuant à être sous leur tutelle ?

Il nous faudra peut-être un jour admettre la notion de parentalité partielle dont parle Maurice Berger : chaque parent ne détient pas l’ensemble des compétences parentales ; et celle de parentalité multiple : plusieurs parents peuvent intervenir dans la vie d’un enfant, simultanément ou à différents moments de sa vie, comme le montrent d’ailleurs certaines familles recomposées, certaines familles homosexuels, et par le fait, les familles adoptantes. C’est un grand bond paradigmatique à faire pour un pays où l’enfant est encore trop souvent vécu comme une possession familiale, un pays où le triangle oedipien impossible à ouvrir régit encore beaucoup trop la manière de raisonner des parents et des professionnels.

Pouvons-nous accepter que mettre au monde un enfant, ce n’est pas seulement lui donner un corps ?

Certains enfants adoptés n’ont vécu « que » l’abandon de leur naissance et ont ensuite pu être convenablement accueillis par une nourrice en attendant leur adoption. C’est le cas par exemple d’enfants d’Amérique Latine ou d’Asie, et même d’Afrique noire. La rupture des liens reste, mais assez convenablement accompagnée, comme un passage d’un monde à l’autre, puis à un troisième qu’il faut espérer dernier. Certains parents d’origine rencontrent les parents adoptants, transmettent des photos, des courriers. Dans un pays comme le Quebec moins sur la défensive que nous dans ces domaines, des liens perdurent, non imposés à l’enfant, mais à sa disposition quand il en fait la demande. Combien d’enfants non abandonnés en France pourraient rêver de ce contexte ?

Enfin, certains articles sensationnalistes, parfois dans des journaux paraissant très sérieux par ailleurs, font état de 10 à 20 % d’échecs, où nous rebattent les oreilles avec les trafics d’enfants. Disons-le clairement, ces trafics sont tout à fait marginaux dans le cadre de l’adoption internationale telle qu’elle est aujourd’hui pratiquée dans un pays comme la France, même si la vigilance reste indispensable.

 

Des théories qui peuvent aider

 

Les théories, une fois qu’elles sont popularisées, modifient petit à petit les comportements individuels et institutionnels. Ce fut le cas de la psychanalyse sous ses différentes formes évolutives. Mais d’autres idées prennent le relais, et il est dommage d’opposer les nouvelles aux anciennes, dans ce qui semble être un éternel conflit de générations intellectuel. La théorie de l’attachement et celle de la résilience font partie de ces dernières nées qui se révèlent  non seulement fécondes mais indispensables à ceux qui agissent dans le champ de l’adoption.

L’attachement peut se définir comme la sécurité profonde intériorisée par l’enfant dans ses relations précoces, donc profondément organiques, avec sa mère, ses parents, son entourage proche. Pour cela, il faut que ces différentes figures d’attachement montrent une continuité et une fiabilité dans la capacité à répondre de manière sensible aux différentes détresses et aux différents besoins exprimés par l’enfant. Cette qualité d’attachement est proportionnelle à la future estime de soi du sujet, à sa capacité exploratoire des mondes extérieur et intérieur, à ses aptitudes relationnelles en particulier en situation de conflit.

Comme c’est une théorie potentiellement très prédictive, il est indispensable de la coupler avec celle de la résilience, qui nous parle des capacités de l’individu à digérer les traumas et à repartir sur de nouvelles bases, souvent plus riches et créatives.

La résilience permet d’envisager le remaniement possible et permanent de la qualité d’attachement tout au long de la vie, du berceau à la tombe comme le disait John Bolby. Elle peut se voir comme la capacité fondamentale qu’a la vie de se saisir de toute opportunité qui lui permet de s’épanouir et de se développer, pour peu qu’on la laisse faire. Pour cela, il faut revenir non seulement à l’enfant historique, celui que l’on a été, mais surtout à l’enfant intérieur, la graine d’où peut renaître un nouvel arbre. Et ceci est particulièrement valable pour les enfants adoptés, mais aussi pour leurs parents qui ne peuvent pas, selon moi, faire l’économie d’aller voir qu’est-ce que leurs enfants intérieurs, historique et symbolique, ont à dire.

 

Accepter de repenser la famille ?

 

L’adoption internationale nous interroge sur des thèmes puissants et majeurs dans la construction du Sujet :

-          la question des racines et son lien avec l’identité ; la question des origines, de l’origine ; et est-ce qu’origine(s) et racines veulent dire la même chose ?

-          la question du même et du différent dans la création du lien familial, et donc la question de ce qu’est une famille ; filiation et affiliation, dans quoi s’inscrivent-elles ?

-          la question d’un trauma de naissance, ici a minima l’abandon par les parents biologiques, dans la construction de l’identité, voire utilisé comme support identitaire à certains moments clés comme l’adolescence. Comment ne pas en rajouter en focalisant sur ce trauma, le transformant en traumatisme? Le tout sans nier l’abandon, et le passé de notre enfant.

-          La question de la parentalité, voire de la fécondité, quand elle ne prend pas naissance dans le biologique.

Et bien d’autres.

C’est ici qu’interviennent la créativité, la maturité affective et la motivation que l’on peut entendre en écoutant beaucoup de familles adoptantes. Vivre cette aventure, en particulier dans d’autres pays, les a obligées à traverser bien des écueils et des tabous, et à devenir, la plupart du temps, des exemples de ce que j’appellerai la corésilience, à savoir la capacité d’être des espaces de transformation des souffrances de chacun, parents et enfants, en force de vie et en créativité. Cette idée nous permettra je l’espère de couper définitivement la tête aux motivations humanitaires de l’adoption internationale, et au complexe du sauveur, qui est avant tout un bon système de défense pour oublier l’enfant abandonné à l’intérieur de soi. Je me souviens d’une mère adoptante dans un pays lointain où je venais de rencontrer mes enfants. Le contexte de l’adoption internationale est toujours bouleversant. Certains lieux peuvent même être authentiquement traumatisants.   Cette mère était avec son fils, marquée par le contexte dans lequel elle l’avait recueilli, recueilli, comme un fruit remonté dans l’arbre pour reprendre sa croissance. Sous le coup de l’émotion elle me dit, « au moins un de sauvé » ; devant mon silence elle rajouta, gênée devant ce qu’elle entendait peut-être comme un jugement, « et je me suis sauvée par la même occasion ».

Pourrions-nous à travers cette expérience particulière qu’est l’adoption internationale accepter de repenser la famille, comme cela a été fait de multiples fois dans l’histoire des hommes ?

Elle nous oblige ou nous propose de sortir d’une vision hiérarchique figée des relations familiales. Les parents ne sont pas les sauveurs de leur enfant, et l’enfant n’est pas le sauveur d’un couple stérile ou d’un célibataire incapable de s’apparier pour procréer. L’adoption internationale est une offre de résilience, donc de transformation en créativité de vécus traumatiques, et pour les parents, et pour les enfants.

Je constate aussi souvent en parallèle ce que je nommerai la coconstruction du lien familial dans les familles adoptantes. Je préfère de beaucoup cette expression à celle de démocratie familiale, car cette coconstruction s’inscrit dans des liens qui respectent l’asymétrie de la relation parent-enfant, la dépendance de celui-ci, et son besoin de nourriture, de protection, et d’autorité ; ainsi que la responsabilité des parents en tant que porteurs d’expérience et du pouvoir décisionnel. Mais elle pose que malgré cette asymétrie, une famille est un ensemble vivant de personnes clairement identifiées dans leur différence et capables de s’impliquer, dès le plus jeune âge, dans l’harmonie de l’ensemble.

Il existe en effet dans ces familles :

-         moins de hierarchie évidente, moins d’emprise possible du parent sur l’enfant car  le lien n’est pas basé sur le sang; et l’enfant a déjà un passé, une histoire, il existe déjà en tant que sujet, il n’est pas le bébé façonnable, malléable, chair de ma chair et support possible de toutes les projections et identifications. Tout petit qu’il soit, il pose déjà une limite au parent : « il faut que tu acceptes que j’existais avant nous, que j’ai déjà mes images du monde, mes sensations, mes émotions, mon histoire, qui ne sont pas réductibles à notre histoire ».

-         plus de parité entre l’homme et la femme, moins de différentiation des rôles puisque la grossesse n’a pas lieu, remplacée par une attente commune aux deux parents, une couvaison partagée, souvent beaucoup plus longue que neuf mois.

-         plus de conscience de la fragilité et de la richesse d’une véritable relation d’attachement. Et l’on peut y noter souvent l’implication très sensible des enfants pour la réussite de leur nouvelle vie. Ma fille de quatre ans disait à notre médecin, « nous allons adopter un petit frère et une petite sœur », ce qui l’a fait beaucoup rire et remarquer « on sent qu’elle est impliquée dans la famille ».

Mais la coconstruction familiale nous dit aussi que le lien de dépendance, inhérent à la condition d’enfant, doit évoluer, en s’appuyant sur la sécurité de chaque étape, vers une relation d’égalité et de parité, et non vers une dépendance accrue à l’âge adulte qui se transforme, quand les parents sont assez âgés, en une dépendance inversée, parfois source de revanches et de vengeance.

L’adoption internationale repose à mon avis sur un choix, pas sur une contrainte. La famille est encore souvent associée à la notion de « contraintes familiales ». Comme l’étymologie du mot « travail » nous parle de souffrance, voire de torture, celle de « famille » nous parle de liens de servitude et de pouvoir patriarcal. L’adoption internationale est donc un phénomène de société, qui, sans trop de bruit, modifie profondément les représentations familiales et sociales dans notre pays. Elle fait partie des expériences qui permettent d’ouvrir ce système clos qu’est la famille. Elle propose une manière d’être ensemble à l’opposé de la représentation classique de la famille, lieu naturel de reproduction de l’identique. L’adoption internationale nous montre une différence visible et très repérable socialement et familialement. Et le respect de cette différence est un objectif à mener en parallèle avec l’intégration et l’adaptation. Les enfants adoptés, quand ils ne sont pas atteints de graves troubles de l’attachement, s’intègrent et s’adaptent très bien ; ils ont un instinct de survie bien supérieur au notre. Le défi est dans la capacité de recréation d’un lien d’attachement fort après les trahisons successives qu’ils peuvent avoir vécu dans leurs relations avec les adultes.

 

 

Soutenir les familles adoptantes

 

Des parents abandonnés ?

 

Le soutien à la parentalité est difficile et impliquant pour le professionnel car notre propre enfant intérieur réagit quand nous accompagnons les défaillances parentales. C’est une mise à l’épreuve majeure du non jugement et de l’empathie ; le soutien à la parentalité met par ailleurs en évidence la nécessité de lieux de supervision et de régulation pour les professionnels.

Il est important de redire que la parentalité n’est pas innée chez les parents biologiques comme chez les parents adoptants.

En termes spécifiques les parents adoptants sont plus âgés, et de plus en plus souvent, ont déjà eu des enfants biologiques ; ils ont la plupart du temps des histoires personnelles parsemées d’abandons et de non transmission des compétences parentales de façon intrafamiliale ; ou peut-être en ont-ils surtout plus conscience, ayant eu l’occasion de retrouver les traces de leur enfant intérieur et de ses souffrances pour mener à bien leur projet. Etant donné leur âge, et leur assise matérielle, ils ne bénéficient pas de l’équivalent du soutien prénatal et surtout postnatal que famille et société occidentales offrent aux jeunes parents. Aux alentours de 35-40 ans, voire dix ans de plus, les familles d’origine ont eu le temps de se clairsemer et de s’éloigner. Les grands-parents sont souvent très âgés et malgré leur éventuelle bonne volonté n’ont plus l’énergie pour aller chercher les enfants à l’école, s’occuper des activités périscolaires ou accueillir leurs petits-enfants le temps d’un week-end ou de vacances, permettant ainsi au couple de souffler. Souvent même ils sont à leur tour à un âge où les problématiques de santé nécessitent le soutien de leurs enfants, qui se retrouvent ainsi responsabilisés sur deux fronts à la fois. A cela, rajoutons la contrainte que s’imposent de nombreux parents adoptants de maintenir à tout prix un « faux self » de parents comblés, syndrome que les parents biologiques ont eu également mais qui a largement disparu avec la notion de « baby blues », de plus en plus fréquemment admise. La dépression post adoption, qui peut toucher les deux parents simultanément, n’est pas strictement réductible à la dépression post-partum et elle est très peu prise en compte, bien que touchant de nombreux parents adoptants.

Les parents adoptants ont donc besoin de définir de quel soutien : pratique, matériel, affectif, relationnel, associatif, psychologique, ils ont besoin. Ils peuvent avoir du mal à demander de l’aide car ils s’imaginent souvent avoir un devoir d’exemplarité, et doivent d’ailleurs entendre des réflexions variées sur le thème de « tu l’as voulu, tu l’as eu ». D’autre part la surexposition dont ils sont l’objet peut créer une tentation réactionnelle de repli. Enfin, ils doivent pouvoir trouver des interlocuteurs dans un contexte qui puisse exclure tout risque de jugement, donc souvent différent de celui qui les a accompagné lors de l’agrément, ou lors du processus d’adoption avec un OAA quand ils ont choisi cet intermédiaire.

Ils pourront alors peut-être faire face aux défis des parents adoptants.

Citons-en quelques-uns :

-         Accepter que le « coup de foudre » n’est pas lieu avec l’enfant, voire même qu’il y ait des sentiments difficiles de rejet ou de dégoût, pour pouvoir démarrer un vrai processus d’attachement dans la durée.

« Sophie, 42 ans, a ressenti du dégoût quand elle a pris dans ses bras sa petite fille de 18 mois adoptée en Ethiopie. Bien sûr elle n’en n’a parlé à personne, même pas à son mari. Elle décrit des scènes où elle laisse sa fille pleurer dans une pièce alors qu’elle-même s’enferme dans une autre pour lire, un casque sur les oreilles pour écouter de la musique et non les pleurs de l’enfant. C’est dans le cadre de sa psychothérapie qu’elle pourra affronter ces ressentis interdits, et entrer petit à petit, très soutenue par son mari, dans un processus d’attachement qui prendra deux ans avant d’être bien en place. Elle a eu entre autres à dialoguer avec sa propre mère, et à découvrir que celle-ci avait eu beaucoup de mal à créer un contact organique avec son enfant et avait en particulier refusé de la toucher avant son premier bain, ainsi que de l’allaiter. Maintenant, sa petite fille de 4 ans, c’est « le soleil de sa vie », et elle envisage sereinement de lui donner un petit frère ou une petite sœur. »

-         Redéfinir les rôles du père et de la mère : l’adoption internationale est un laboratoire pour la parité des sexes.

« Raoul et Delphine ont adopté une fratrie de deux enfants en provenance d’Haïti. C’est Raoul qui a pris le congé d’adoption, qui a été chercher les enfants sur place, qui change les couches et gère le quotidien pendant que Delphine travaille. A la fin du congé d’adoption, Delphine prendra un congé parental dans son entreprise pour prendre le relais et materner à son tour. Ils ont noté que cette interchangeabilité des rôles, contrairement à une crainte répandue qu’ils avaient aussi eux-mêmes, n’a en aucune manière affectée leur identification en tant que « papa » et « maman », tant le lien d’attachement et le style d’intersubjectivité qu’ils ont créés avec leurs enfants est différent. »

-         Se sortir définitivement de la tête qu’ils ont sauvé un enfant.

« Micheline a adopté toute seule un garçon en provenance d’Amérique du Sud. Quand il traverse des phases d’opposition, son leitmotiv est : « quand je pense d’où je l’ai sorti, avec tout ce que j’ai fait pour lui, c’est insupportable qu’il me traite comme cela ». Je n’ai pas d’indications sur la manière dont cette relation va évoluer. Ces phrases, difficiles à entendre, marquent-elles le stress, le sentiment de solitude, seront-elles sans conséquences, ou nomment-elles une problématique qui va durablement affecter la relation, en particulier à l’adolescence ».

-         Travailler leur histoire et leur problématique, c’est l’idéal.

« C’est au cours d’un travail de psychothérapie commencé deux ans après l’adoption de son fils que Sarah a pu assumer la série d’abandons qui a marqué sa famille le long de plusieurs générations. Aussi bizarre que cela puisse paraître, mais cela est très fréquent, elle n’avait pas fait le lien en amont, pendant le processus d’agrément. Ce travail a permis de dégager fortement la relation mère-fils d’un excès de projections, paradoxalement en assumant le fait qu’il y ait une part de réparation dans cette adoption, un exemple de corésilience. »

 

Des enfants adoptants ?

 

Une des caractéristiques notable des enfants adoptés, quand ils ne souffrent pas de graves troubles de l’attachement ou de syndromes post-traumatiques importants, est leur implication dans la création du lien d’attachement. Quel que soit leur âge au moment de l’adoption, ils en ont marre, ils veulent passer à autre chose, ils veulent une famille. Et ce qui paraît évident pour un enfant « biologique » qui naît dans une famille à peu près aimante, eux ils savent que ça ne l’est pas ; ils ont appris qu’ils devraient se battre pour l’avoir. Et ils sont prêts la plupart du temps à mettre la main à la pâte, plein de bonne volonté pour essayer malgré tout, d’adopter leurs parents, et d’oser faire à nouveau confiance au monde des adultes.

Ils ont donc avant tout besoin de continuité et de fiabilité. De parents qui sont LA, pas parfais, mais là, congruents, supports de construction, d’attachement, d’imaginaire.

Faisons confiance à l’enfant, il connaît ses besoins. Quand j’ai adopté ma fille aînée mes compétences parentales se réduisaient à zéro. En vingt ans, j’avais du tenir deux fois un bébé dans mes bras, en ayant peur de le casser ! L’idée même de changer une couche me paraissait totalement incongrue, et pour tout dire assez dégoûtante. Mais ma fille avait décidé d’avoir une maman, si possible efficace tant qu’à faire. J’ai donc obtempéré du jour au lendemain. Toutes les compétences de « caregiving » que j’avais acquises par ailleurs, et la détermination de ma fille, avaient fait de moi une mère, à ma grande surprise.

Se laisser utiliser, sans se laisser manipuler, est une des facettes de l’art d’être parent.

 

Les troubles de l’attachement

 

Toute manifestation émotionnelle, même forte, de l’enfant n’est pas un trouble de l’attachement !

Le rationalisme culturel qui nous caractérise en France nous rend difficile d’accepter qu’un jeune enfant « ça » bouge (sans hyperactivité), « ça » pleure, « ça » crie, fait des caprices, cherche les limites, se met en colère, et que le plus dangereux, c’est un enfant trop sage, qui a trop tôt appris à se taire et à se soumettre, jusqu’à l’explosion prévisible.

Il est donc important de différencier, avant de paniquer, les différents états émotionnels de l’enfant avant de parler de troubles ou de pathologie :

-         la vidange émotionnelle : exprimer ses émotions difficiles est un besoin et heureusement une capacité naturelle du jeune enfant ; les exprimer chaque jour permet d’éviter qu’elles ne s’accumulent et deviennent toxiques, telle une « constipation psychique ». C’est pourquoi je me permets cette expression imagée de vidange pour décrire ce phénomène.

-         la régression : l’enfant vérifie, à chaque changement externe ou interne, que tout est bien solide dans ses apprentissages précédents, et aussi que la figure d’attachement est toujours disponible à ses besoins primaires. Si il y a changement familial, adoption, familles recomposées, séparation, la régression est alors beaucoup plus un processus de création d’un nouveau lien d’attachement. En fait, comme dans un nouvel amour, il faut tout reprendre à zéro, et pas à l’étape où l’on s’est arrêté avec le précédent ...

Ce sont deux comportements très sains ! Même si les adultes autour peuvent les trouver pénibles voir insupportables, dans leur incapacité à accepter, contenir et exprimer leurs propres émotions. D’ailleurs il en va de même quand on parle de dépression chez l’adulte. Il existe une telle chape de plomb sur la vie émotionnelle dans notre culture, qu’il est facile d’imaginer la mer d’émotions difficiles accumulées dans une demi-vie par un individu qui vit une dépression vers 40 ans.

Mais il existe aussi des manifestations émotionnelles qui doivent nécessiter la mobilisation de la famille, voir de professionnels :

-         les troubles de l’attachement : l’enfant ventouse, l’anxieux, incapable de se désagripper de sa mère, toujours triste, ou manifestant des colères, plutôt des rages, hors de proportion avec la situation apparente ; l’enfant passoire, incapable de contenir ses émotions ; l’enfant évitant, incapable de s’attacher à sa mère et prêt à suivre tout étranger qui passe, parfois séducteur et surtout séduisant mais absent à lui-même et à l’autre.

-         les pathologies de l’attachement  qui entraînent des violences contre soi et les autres,  et qui peuvent se voir très tôt dans les comportements agressifs ou au contraire les évitements de l’enfant envers ses parents.

 

L’attachement, une histoire de famille

 

Je voudrais poser clairement ici que les troubles de l’attachement, même si ils préexistent chez l’enfant adopté, sont aussi une histoire qui concerne l’ensemble de la famille. Dans un contexte particulier, une famille donnée, tel enfant, à un moment donné, va pouvoir communiquer différemment ses besoins et résoudre ses difficultés. Dans telle autre, non. Il ne s’agit pas ici de culpabiliser les parents, mais de responsabiliser l’ensemble de la famille, même si il existe toujours des cas extrêmes et des situations particulières.

Posons-nous la question : quelle base de sécurité avons-nous pu construire nous-mêmes dans l’enfance et dans les différentes opportunités de résilience qui ont suivi pour pouvoir explorer le monde, développer notre autonomie et notre affectivité, nos ressources internes et nos ressources externes, nos compétences relationnelles et notre estime de soi, notre empathie, notre capacité à prendre soin de nous et de l’autre, notre capacité à concrétiser nos projets.

Au contraire, quelles parties de nous-mêmes avons-nous encore besoin de faire porter à l’autre, soit par la dépendance, soit par les systèmes de défense évoqués plus haut, voire par les passages à l’acte violents ? Et donc quelles parties souffrantes de nous-mêmes vont être réactivées par le contact avec un enfant sensible, ayant lui-même à faire face à de multiples traumas ? C’est cette conjonction qui risque d’être explosive et de conduire à des échecs d’adoption, ou, ce qui n’est pas mieux, à des huis clos non avoués bien plus pathogènes encore.

 

Pour ouvrir encore

 

La famille est un laboratoire expérimental qui influence toutes les relations sociales (le modèle patriarcal  par exemple s’est reproduit partout, la politique, l’entreprise, les groupes, l’enseignement, et même la relation thérapeutique).

Considérer que l’enfant est une personne, et non un support projectif, une possession du couple, ou un objet d’emprise, de séduction ou de violence, c’est par la suite considérer l’adulte de même. Il est impossible d’avoir un positionnement irrespectueux de l’enfant et un soi-disant rapport respectueux avec l’adulte ; il ne sera pas respectueux mais basé sur la crainte. 

Mais cette personne qu’est l’enfant doit être aussi considérée dans l’asymétrie des places et des fonctions qui est une manière tout aussi importante de respecter l’enfant, contrairement à ce que l’on a pu croire dans les années 70 et qui reste encore très actif dans certains milieux.  

En miroir avec l’adoption internationale, la famille peut être un lieu de corésilience et de coconstruction du lien d’attachement et des relations intersubjectives. Les parents biologiques doivent eux aussi, ou non, adopter leur enfant.

En effet, chaque enfant est « un autre ».

 

 

Marie-José Sibille

Psychothérapeute, formatrice, et mère adoptante

 

 

Quelques livres:

-          Maurice Berger : l’échec de la protection de l’enfance, 2ème édition 2004, Dunod ;

-          Le guide marabout de l’adoption (2006), Janice Peyré (EFA), Marabout.

-          Moïse, Oedipe, Superman …, Fayard, S. Marinopoulos, C. Sellenet, F. Vallée

-          L’enfant adopté dans le monde, J.F. Chicoine, P. Germain, J. Lemieux. Hôpital Sainte-Justine.

 

Une association qui réunit les personnes confrontées aux troubles de l’attachement : « PETALES France » : 0323395412 – www.petalesfrance.fr

 



Maurice Berger : l’échec de la protection de l’enfance, 2ème édition 2004, Dunod.

Actes du colloque 2006 + article MJS

77% selon une enquête de l’Eastern European Adoption Coalition

Organisme agréé pour l’adoption

Je vous renvoie également à l’article « Les troubles de l’attachement, de la dépendance au lien », août 2007, Journal Spirales,  Marie-José SIBILLE, disponible sur demande et bientôt sur le blog.

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