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Qui t’es, moi ?

par Marie-José SIBILLE

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

 

 

Réflexions sur l’identité

 

 

Depuis la première plongée dans les yeux de ma mère, je suis en quête d’un miroir suffisamment bon, un regard qui soutienne mon identité, un regard qui me dit : « Voilà ce que tu es, et cela est juste et bon», pour que je puisse dire un jour : « Voilà ce que je veux être et ce que je serais, voilà ce que je suis, et cela est juste et bon ».

Si ce regard n’a pas existé, je vais le rechercher partout, jusque dans le noir miroir de la mort.

La définition de ce qui fait notre identité change selon l’identité des intervenants, cela n’est pas surprenant. Mais cela nous oblige à chercher profondément où peut se trouver le socle commun, si il existe.

Pour certains, l’identité se définit surtout par la somme de nos appartenances successives, et le changement identitaire se traduit par un changement de groupe d’appartenance. Cette crise doit être vécue par nombre de personnes immigrées, et certains, qui veulent confondre leur l’identité avec celle de la France, se sentent alors menacés par ces agents extérieurs qui viennent changer la couleur de leur peau collective, et la tonalité de leur hymne national.

D’autres pensent au contraire que c’est l’émergence de qualités intrinsèques et de nouvelles créativités, à travers de multiples crises de croissance, et j’ajouterai de décroissance, qui déterminent l’identité d’un sujet.

Pour certains nous sommes une bibliothèque, une armoire de dossiers suspendus et quelques albums photos, bref, une mémoire, tissée et retissée au fur et à mesure que nous faisons et refaisons le récit de nos vies.

Pour d’autres nous sommes l’instant présent, ce que nous faisons, et ce que nous créons.

Pour d’autres encore, ce que nous pensons, ou ceux que nous aimons.

Sujet de désir, objet de pulsions ?

Etincelle de conscience, vacuité bouddhiste ?

Animal social, sujet libre et égal ?

Femme, homme, androgyne ?

Vieillard enfant, adulte post-adolescent, éternel nourrisson ?

Ainsi nous sommes avec le thème de l’identité au cœur de visions multiples ; certaines, transcendantes, nous définissent de l’extérieur, comme parties et issus d’un collectif dominant, d’autres, immanentes, mettent l’accent sur la lente émergence d’un sujet, telle une île naissant de l’océan des possibles, ou encore sur sa laborieuse construction, et nous viennent alors des images architecturales depuis la chaumière à la campagne, jusqu’à la cathédrale de Reims ou la tour de Dubaï …

Il me paraît difficile d’attribuer une forme précise, une source unique, à ce qui peut me faire croire, penser, ressentir que je suis moi et pas une autre.

Si je mets l’accent sur les influences collectives, tellement multiples, dans le temps et dans l’espace, comment les résumer ?

Si je mets l’accent sur l’émergence intérieure, où trouver une partie de moi qui n’ait pas été touchée par l’autre ?

Et que faire de tous ces bouts de moi qui n’ont pas, ou plus, accès à l’expression quotidienne ? Les identités passées, toujours présentes, mais aussi celles dont j’ai dû faire le deuil, puisqu’un jour il nous faut renoncer à tout ce qui aurait pu être, n’a jamais été, et ne sera jamais. Tous ces personnages intérieurs non réalisés, toutes ces vies que j’aurai pu mener et qui viennent parfois me faire signe, au détour d’un rêve, ou d’une rêverie.

Je regarde les gens avec qui je suis en lien, des alter egos, si peu différents si je les compare à l’infinie diversité de la vie. En les regardant, je peux voir comme un moi éparpillé dans chacun d’eux, ceux que j’aime, ceux que je repousse, ceux que je rejette, celles dont j’ignore l’existence.

Tais-toi, moi !

T’es qui, toi ?

T’es moi, toi ?

T’es toi, moi ?

Je sais au moins que quand l’autre n’existe pas, c’est l’enfer.

Puis je regarde la Nature, comme un autre miroir, plus vaste encore, le ciel, les animaux, les arbres, les endroits et les êtres où je me reconnais, et là où l’inconnu me fait peur.

Un nouveau visage, encore, se dessine.

Et encore, ou enfin, comment vais-je mourir, quel sera mon visage quand il n’y aura plus de miroir, que le noir miroir de la mort ?

Et quel était mon visage avant que je ne naisse, avant même ma conception ? Etait-ce celui du désir de mes parents ? Ou celui d’un moment de l’univers ?

Etre au monde, c’est me semble-t-il accepter l’idée d’une identité fluctuante, mouvante, dont l’image la plus proche pourrait être celle du tourbillon : un mouvement tournant sur lui-même pour garder une certaine cohérence, en échange permanent de particules avec le monde environnant, et susceptible un jour ou l’autre d’arriver au bout de son énergie pour ne laisser qu’un petit tas de poussière.

Ne pas s’attacher aux parties de soi qui s’enfuient, ne pas courir après celles que l’on voit venir, laisser vivre le tourbillon, telle je me reconnais aujourd’hui.

Mais demain ?


 

Pour approfondir :Identités: entre être et avoir, qui suis-je?   , sous la direction de Joyce Aïn, Editions Erès 2009. Participation de Marie-José Sibille : « La peur de l’autre : quand la différence devient menace ».

Michel Serres par exemple

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Toutes les mères sont des saintes … sauf celles qui tuent leurs enfants.

par Marie-José SIBILLE

publié dans Cette société - c'est la notre !

Mardi 8 décembre, Immaculée Conception

 

« Chaque mère est une Marie, chaque mère est cette femme formidable qui nous donne la vie et qui nous guide … » nous dit Patrick de Carolis[1] avec beaucoup d’émotion sur France Inter, juste avant le journal, où j’entends une fois de plus la tragique  histoire de Typhaine, petite fille abandonnée à la haine d’une mère déchaînée et de son compagnon.



Si je prends quelques instants pour essayer de ressentir quel a pu être le calvaire quotidien de cette petite fille, avant le dernier acte, celui de la douche froide où elle a suffoqué, si je convoque en moi, et cela est aisé, la terreur, le froid, l’absence de tout refuge, je fonds en larmes et je quitte mon écran pour pleurer sur la souffrance du monde.

Et par là même je participe à une des fonctions maternelles les plus subtiles, les pleurs de compassion de la Mater Dolorosa, la Vierge des douleurs, celle qui apparut par exemple à deux petits bergers de La Salette en 1846. Le visage inondé de larmes, elle leur dit: « Depuis le temps que je souffre pour vous autres ! ». J’imagine que ses larmes ont depuis continué à couler.

Je vais donc te quitter Typhaine, pour pouvoir rester quelques minutes à écrire, à partager, à essayer de comprendre non pas ce qui peut se passer dans la tête et le coeur de ces parents, ce n’est pas l’objet ici, mais qu’est-ce qui peut disfonctionner à ce point dans une société pour qu’elle puisse produire ce type d’acte, et continuer de courir en avant comme si de rien n’était.

 

Il y a des jours, il y a des actes, où le monde entier devrait s’arrêter pour réfléchir.

Ou simplement s’arrêter pour sentir que cela existe.

 

Et, quelles que soient nos croyances, ce que cela implique en terme de sens, bien loin des explications sociopsychologiques indispensables, si confortables, mais si fragiles face au néant.

 

Pourrions-nous au moins utiliser ces trop nombreuses situations pour arriver enfin à séparer la mère de sang de la fonction maternelle? Nous en sommes loin. Que ce soit dans le domaine de la protection de l’enfance en France, de la psychothérapie, et tout simplement de la vie familiale quotidienne, nous continuons à les confondre, en demandant à la première d’incarner la seconde, ce qu’elle fait parfois, ce qu’elle se torture pour faire souvent, dans tous les cas, peut-être les plus nombreux, où elle assume cette injonction.

 

Peut-être, moins adorées, les mères seraient-elles moins souvent indignes ?

 

La fonction maternelle est tellement indispensable à la vie, qu’il est aisé de la surinvestir.

La fonction maternelle, c‘est avant tout le premier et le dernier refuge, la possibilité d’exister en sécurité dans un monde qui ne peut être, au départ, perçu que comme hostile. C’est en cela que la maltraitance maternelle est sûrement la pire de toutes. Quand elle existe, plus d’abri possible, que le désespoir, et peut-être le soulagement que cela enfin se termine, la mort devenant alors à son tour le refuge.

Le monde ne peut acquérir chaleur, couleur, sécurité, plénitude, vitalité que dans la relation fondatrice avec cet être doux et chaud, joueur et nourricier, attentif et absent, parfois rieur, parfois triste, bavard et créatif que l’on appelle « Maman ». Le plus important n’est pas tant que la mère de sang incarne la Maman. Mais bien, et nous en sommes très loin, que chaque enfant de la terre puisse vivre cette expérience d’avoir une « maman », qu’elle soit sa mère biologique, sa mère d’adoption, son papa,  un homme, une nounou, pourquoi pas une louve, finalement peu importe !

 



[1] Nonobstant, France Inter, 1/12/09

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