Camping sans étoiles - Petit conte survivaliste
Camping sans étoiles
Petit conte survivaliste
C’est le camping de bord de mer, ses aiguilles de pin dans le café instantané et ses odeurs d’enfance à chaque coin d’allée. C’est le camping de bord de mer, ses hommes emplis d’amour conjugal alignés à la vaisselle, il faut bien qu’elle se repose elle aussi, comparant en riant la taille … de leur pile d’assiettes. C’est le camping de bord de mer, ses familles multicolores, mais surtout celles venues du nord, leur peau rouge vif et leurs cheveux blonds blanc. C’est le camping de bord de mer, ses animations du soir qui font encore en 2020 la part belle au disco et à la macarena.
Un camping de bord de mer.
Mais les personnes non humaines en ont à peu près disparu.
Plus d’insectes ni de lézards, plus de scarabées ni de papillons. Quelques moustiques à l’instinct de survie chevillé au corps justifient à eux seuls l’achat de mon huile de citronnelle et nos voisins s’aspergeant d’insecticide en toute bonne conscience. Quelques pigeons et moineaux risquant la proximité de l’homme pour picorer nos restes rappellent la ville que beaucoup ont fui.
Quelque part près de l’emplacement A-58, le plus près de l’étang, une grenouille solitaire croasse quelques fois avant de s’arrêter, effrayée par le son de sa voix sans écho.
Une araignée égrène les secondes sur sa toile en comptant les survivants. Elle pense qu’elle fera encore ceinture ce soir. Elle va devoir migrer. Encore une fois.
Dans sa mémoire collective d’Araignée des Pins clignotent en flash-backs nostalgiques des moments d’abondance. Il fallait alors se méfier des papillons de nuit qui détruisaient parfois la toile trop fragile de leurs ailes maladroites et de leur corps trop lourd. Des milliers d’années et des générations innombrables d’Araignées des Pins ont permis de tisser des toiles de plus en plus solides pour résister aux mille variétés de sphinx aux couleurs chatoyantes et aux ailes poudrées. Tellement solides que l’armée des géants étudie sa composition.
Et puis plus rien.
En quelques années inexistantes pour la grande âme d’Araignée des Pins.
Une minuscule goutte de temps pour son regard multiple et si ancien.
Plus rien.
Une toile solide que le moustique égaré ne parvient pas à faire vibrer, un filet tendu dans un océan vide.
Rien, sauf le coup de raclette indifférent ou dégouté de la Géante chargée de nettoyer le dessous du lavabo où elle s’est réfugiée. Araignée des Pins a réussi à lui échapper au dernier moment. Elle glisse sur le carrelage désinfecté et vide. L’air lui renvoie une unique odeur chimique que sa mémoire lui ordonne de fuir. Elle file sous la porte le plus loin possible du monstre à roulettes hérissé de balais, le monstre à raclette et à produit qui pue. Elle se perd dans le sable et se précipite sur la première écorce de pin venue. Elle rencontre alors une cohorte de fourmis minuscules. Sans danger les unes pour les autres elles se croisent respectueusement. Chaque fourmi porte au bout de ses mandibules une miette de quelque chose à manger mais rien de bon pour la danseuse aux huit longues et fines pattes les regardant passer.
Araignée des Pins sait profondément que Fourmi des Sables est capable de survivre sur les poubelles des géants qu’il faut fuir. Mieux qu’elle.
Elle dépasse à toute vitesse les milliers de petites mandibules accrochées à leur pitance.
Décidément ce camping est bien triste.
Araignée des Pins n’y retournera pas l’été prochain.