L’Arbre Monde, billet d’humeur mystique
L’Arbre Monde
Billet d’humeur mystique
Chronique de lecture estivale
Assise depuis mille ans au coeur de la forêt, femme, que fais-tu ?
Je lis l’Arbre Monde de Richard Powers et je me transforme.
Doucement.
La tronçonneuse de l’homme est rapide mais la sagesse de l’arbre croît lentement, cercle de vie après cercle de vie.
Assise sur la terre sacrée, l’Être Monde qui accueille l’Arbre Monde, à moins qu’ils ne soient qu’une, à moins qu’elles ne soient qu’un, je me sens pousser des radicelles et de fines branches bourgeonnantes.
Non pas que je sois capable de les produire, mais l’Arbre Monde me traverse et me digère, utilise ma substance pour m’inclure en lui, pour que je ne sois plus séparée. Plus jamais seule.
Les Ents, les arbres parlant notre langage du Seigneur des Anneaux n’ont finalement pas disparu, ils ont peut-être retrouvé leurs épouses perdues. Ou alors, si vieux que je ne peux même pas l’imaginer, ils tentent désespérément de communiquer avec nous pour éviter la catastrophe, la destruction totale du vivant tel que nous le connaissons par les sbires avides de Mordor et de Saroumane.
Crise mystique provoquée par la lecture d’un livre, ni la première, ni la dernière, je plane et je m’enracine.
Le mot mystique décrit ce qui est caché, seulement accessible aux initiés. Mais à l’origine, comme dans le mot myope, il désigne l’œil et la bouche fermés. La racine du mot désigne le museau d’une vache. Pour être initié, nul besoin de suivre les injonctions élitistes de telle ou telle église, maître ou communauté, non, il suffit de s’asseoir dans la forêt, de fermer à demi les yeux et totalement la bouche. Mais il en faut du temps pour en arriver là, alors merci aux livres et merci aux inspirateurs, celles et ceux suffisamment équilibrés pour pouvoir se passer du mot maître, étymologiquement « celui qui domine, qui est le plus important ».
Ou peut-être puis-je accepter de nommer ainsi l’Arbre-Monde ? Non. Je crois que ce serait lui faire offense, lui qui accorde une importance totale au moindre champignon, au moindre insecte, au moindre oiseau, à toutes ces étincelles de vivant qui contribuent à son équilibre séculaire.
Mes plus belles échappées de lecture transformatrice je les dois à des livres de fiction.
Pourquoi ? Parce qu’ils évitent le dogme et la censure, la morale et les interdits, les castes et les classes, les maîtres et les disciples. Ils évitent les « tu dois », les « il faut », les « tu es comme ci » et les « tu devrais être comme ça », et encore pire « le monde est comme-ci » et « la vie et la mort ça marche comme ça ». Ces mots secs, jugeant, ordonnant ou encore envahissants, totalitaires que l’on trouve dans la plupart des livres supposés parler de « spiritualité », mot aussi peu fiable que le mot amour quand il s’agit d’évaluer la bienfaisance des comportements qui s’en inspirent. Souvent seuls les contes et les paraboles arrivent à éviter cet écueil. Parfois les témoignages quand ils se contentent de décrire le vécu sans en tirer une vérité universelle.
Ces livres dits de fiction nous font quant à eux humblement partager l’émotion, la sensation, l’expérience de l’autre si différent de nous. Ils nous offrent ainsi l’opportunité de nous transformer par empathie, dans une relation sécure, comme un nourrisson tétant le sein de sa mère ou le biberon de son papa. Comme un enfant jardinant avec sa mère ou cuisinant avec son père. Comme un jeune apprenant à faire avec et à être avec plutôt que de subir l’envahissement de savoirs fragiles et déjà dépassés au moment de leur transmission. Nulle injonction enfermante, de l’émotion et de la réalité partagée, de la co-naissance, des paroles habitées.
Ils sont très rares les auteurs d’essais qui arrivent à cet objectif, mais il y en a quelques-uns, j’en parle régulièrement, Franz de Vaal et Mona Cholet pour n’en citer que deux. Ou encore des auteur.e.s résolument écologistes. Je leur ferai honneur dans un autre article.
J’ai lu beaucoup de nouveaux auteurs cette année, surtout de nouvelles auteures d’ailleurs, Sandrine Colette, Valérie Perrin, Karine Tuil entre autres. Des écrivaines qui parlent de l’intime sans oublier le monde autour, sans nombrilisme affectif, mais sans coupure avec la profondeur de l’affectivité et du corps, celles qui peuvent relier l’émotion à l’évolution de la société.
J’ai ainsi partagé l’expérience de personnes très loin de moi et de mes préoccupations. Par exemple dans « Les choses humaines », le livre de Karine Tuil prix Goncourt des Lycéens 2019, souvent une bonne adresse, j’ai vécu un temps dans les méandres des médias parisiens et de l’addiction au sexe et au pouvoir. Lire ce livre c’était comme visiter un zoo étrange et triste, ou des bêtes ignorées venant de lointaines contrées s’agitaient sous mes yeux, enfermées dans leur cage. J’étais triste pour eux tout en étant consciente qu’ils s’en ficheraient totalement si jamais un jour j’existais à leurs yeux.
Par contre lire l’Arbre Monde, c’est tout le contraire. Les personnages jusqu’au plus atypique font partie de ma famille. Des grand-parents, des parents, des frères et des sœurs d’adoption sans réserve, des fils et des filles, sans aucune exception. L’empathie est simple et la transformation facile.
Ainsi, si vous me trouvez sur la route des vacances enchaînée à un arbre, je ne suis pas abandonnée comme une chienne par un humain inconséquent, je suis juste en train d’empêcher un abattage meurtrier tout en me ressourçant.
Mais vous pouvez quand même en cas de sécheresse verser délicatement quelques gouttes d’eau sur le sommet de ma tête, je partagerai avec ielle.
Note d'écriture inclusive : iel ou ielle désigne un être non genré, ni masculin ni féminin ou les deux ou encore autre chose...
Merci, dans ce contexte particulièrement difficile pour les petites maisons d’édition, les libraires et les auteur.e.s de commander les livres dans vos librairies locale ou sur des sites regroupant ces librairies pour la vente en ligne.
#lelivreproduitdepremierenecessite