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Le jour où mon enfance a pris fin

par Marie-José Sibille

publié dans Alterégales

Le jour où mon enfance a pris fin

 

Journée contre la violence faite aux enfants 

Aux petites filles

 

Acte 1. 

 

Je descends la colline qui part de ma maison pour aller à l'école. 

J'ai 7 ou 8 ans et j'habite Mourenx "ville nouvelle", à 5 km de Lacq, haut lieu de l'empire Total et consorts, et de ses désastreuses conséquences sur l'environnement et la santé des populations. 

Je tousse à cause des fumées agressives en provenance des usines quand le vent souffle dans la mauvaise direction. Souvent. C'est une des raisons pour lesquelles ma famille quittera Mourenx. C'est mon repère dans le temps. En CM2 à 9 ans, nous avions déménagé à Pau. 

Mais à 7 ou 8 ans je descends insouciante la colline en courant, seule, ma sœur était peut-être malade, cela nous arrivait fréquemment à tour de rôle. Il y avait des feuilles dans les arbres, la végétation était dense, donc début d'automne ou fin de printemps. 

Je revois encore l'homme qui surgit brusquement sur ma gauche, accompagné d'un magnifique chien loup. Il le fait sauter en l'air avec un bâton et me regarde en riant. Je revois une barbe, des cheveux un peu hirsutes, blonds ?  "Viens jouer avec moi et le chien", me dit-il. Ou un truc du genre. Je me vois aller vers en confiance, puis plus rien.

Vide. Blanc.

 

Acte 2. 

Je suis dans le commissariat de police. Je revois mon père à ma gauche, une table en formica modèle chaleureux classique des commissariats. Je vois un homme de l'autre côté de la table en uniforme, gros, rigolant en me regardant, et disant à mon père : "Vous savez comment c'est les petites filles, ça fait tout pour se rendre intéressante. C'est un vagabond on le connaît bien, il ne ferait pas de mal à une mouche".

Mon père insiste, si peu. "Bon si ça peut vous faire plaisir, quand on le reverra on lui dira d'arrêter de faire peur aux enfants". 

Rires gras de l'ogre. L'autre ogre. Celui censé représenter la justice. Pas d'examen médical. Pas de question. Rien.  Il tend un papier à mon père. "Allez, vous n'allez pas porter plainte pour si peu ? ".

Mon père signe le procès-verbal décrivant les faits et attestant qu'il ne porte pas plainte.

Vide. Blanc.

 

Amnésie post-traumatique bien connue maintenant, dans certains milieux.

Toujours niée ou sous-estimée, dans les faits.

Ou peut-être justement que j'ai exagéré, que mon but était de me rendre intéressante aux yeux de papa et du gentil policier, et que les petites filles ça raconte vraiment que des mensonges.

C'est ce que j'ai cru pendant longtemps, et qu'une toute petite - 7 ou 8 ans - part de moi croit encore parfois. Tellement la vie quotidienne met vite au placard les fantômes et les croque-mitaines de l'Enfance. Jusqu'au jour où.

 

D'ailleurs l'amnésie post-traumatique pourrait être aussi un déni délibéré.

Un enfant reconnait très vite les sujets dont il ne faut pas ou plus parler. 

Il sent le tabou qui empêche les mots. Et un enfant peut choisir d'oublier pour protéger le lien d'amour. Il enferme alors la vérité dans son corps. Il protège ses émotions et sa fragilité comme il peut.

J'ai appris ce jour-là que la parole de l'enfant est ignorée, voire moquée, méprisée. Qu'il est donc inutile de parler. 

J'ai aussi appris que l'institution censée nous protéger peut parfois être impuissante, voire encore plus traumatisante que l'agression. Plus traumatisante que l'acte lui-même que j'ai subi ce matin-là, quel qu'il soit, et quelle que soit la mémoire qui m'en revienne ou non. L'autre aspect du traumatisme a été de sentir l'impuissance de mon père à s'affirmer pour me protéger.  Je n'ai pas voulu alors le mettre encore plus en difficulté qu'il ne l'était. Car il était conscient, il l'est toujours resté, et il a dépensé beaucoup d'énergie pour ne pas tenir compte de ce qu'il voyait.

 

L'enfance a une fin parfois brutale, et pour moi ce fut ce jour-là : le jour du commissariat.

 

Les conséquences sur mon adolescence et ma vie d'adulte ont été importantes. 

Chaque fois que la jeune fille, la jeune femme, et même la femme voulait parler d'une situation injuste ou violente, la petite fille en moi disait chut, tais-toi, ça ne sert à rien. Ou pire, disait-elle encore, tu vas attirer l'attention de l'ogre et il va te dévorer. Je luttais alors la plupart du temps de toutes mes forces pour faire taire son besoin de silence, et je me suis retrouvée souvent, mais à quel prix, dans la position de celle qui dénonce, de celle qui dit "le roi est nu", comme je pouvais, maladroitement pendant longtemps. 

De bonnes conséquences aussi, c'est l'histoire de la blessure de l'huître qui produit une perle, image d'autant plus adaptée que l'on dit "fermé comme une huître". La bouche de l'enfant maltraité peut être dure à ouvrir.

Le métier de psychothérapeute que j'ai fini par exercer sans jamais clairement en faire le choix fait partie pour moi de ces chemins improbables que j'ai suivis au hasard des opportunités, mais surtout grâce à la blessure initiale. J'ai ainsi rejoint la tradition familiale qui nous fait travailler dans le domaine du soin ou de l'éducation, même si ma vocation à sept ans était d'être "écrivain-biologiste", je dirais aujourd'hui "écrivaine-primatologue", dans la lignée de Jane Goodall et Diane Fossey.

J'ai aujourd'hui traversé tout cela, "résilié" ces vieux contrats grâce à de nombreuses démarches et supports humains, couple, amitié, créativité et besoin d'expression qui ne m'ont jamais abandonnée depuis l'enfance, ainsi que la nature et les animaux dont on nomme plus aujourd'hui l'infinie richesse thérapeutique. 

Et la psychothérapie vous demanderez-vous peut-être ?

En accord avec mon apprentissage d'une institution défaillante, j'ai eu un long parcours de développement personnel et de psychothérapie plutôt maltraitant ou encore fonctionnellement indifférent, malgré les compétences et les apprentissages acquis par leur biais. Et ce tant avec des professionnels dûment cautionnés par l'état et le pouvoir médical et universitaire, qu'avec des thérapeutes plus marginalisés. 

Mais je devais avoir confiance car j'ai continué à chercher.  Et en fin de parcours, j'ai enfin trouvé une psychothérapeute humaine et efficace, où j'ai pu vraiment tourner la page.

 

Pourquoi alors cet article ?

Aujourd'hui il est plus possible de parler en ayant une chance d'être entendue. Mais pas toujours. Et pas partout, pas dans tous les milieux. 

Il faut donc montrer l'exemple, continuer à témoigner, parler, écouter, partager, exprimer ses émotions, désenclaver les mémoires du corps.

Sortir de la honte. Un enfant, un adolescent ne sont ni coupables ni responsables des agressions et des violences qu'ils subissent. La honte reste longtemps, et s'étend à tous les domaines de la vie de la personne,  comme le souffle du traumatisme dont elle est un des sentiments symptomatiques. 

Nommer des évidences. Un enfant, un jeune adolescent ne sont jamais consentants. Ce n'est toujours pas entériné par la Justice, il n'est que de voir les affaires très récentes, par exemple celle d'une jeune handicapée de 11 ans violée, dont l'agresseur n'a pas été reconnu coupable de crime. Et tant d'autres.

Reconnaître le statut de victime de l'enfant. Cette reconnaissance du statut de victime, pour celles et ceux qui en douteraient, et une opportunité de sortir l'enfant de son état de victime, et donc du processus pathogène de victimisation dans lequel dans certains cas peuvent trouver refuge certains adultes. Jamais des enfants. La reconnaissance de ce statut redonne une dignité, une force à la parole, une possibilité de résilience plus rapide et visible, moins coûteuse, même si nombre de victimes de ce genre d'actes, dont je suis, ont su trouver leurs chemins de traverse dans l'obscurité de la non-reconnaissance et du silence environnant.

C'est pour cela que je sors partiellement de ma réserve professionnelle. Et que je continuerai à le faire.

Je crois qu'aujourd'hui ce positionnement est plus utile qu'une neutralité distanciée facilement condescendante, essayant de masquer les souffrances subies, ou simplement le manque d'empathie. 

 

Et j'encourage tous les enfants intérieurs des adultes d'aujourd'hui, toutes les petites filles et les petits garçons bâillonnés par la peur et la loyauté à oser sortir du silence. 

 

Une des petites filles en difficulté de mon livre illustré par Liane Langenbach

Une des petites filles en difficulté de mon livre illustré par Liane Langenbach

Le jour où mon enfance a pris fin

#JeMarcheLe24 #noustoutes #noustoutes64 #metoo

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Altérégales : Ecriture inclusive, « une stupidité sans nom » ?

par Marie-José Sibille

publié dans Alterégales

Alterégales : Ecriture inclusive, « une stupidité sans nom » ?

Aujourd’hui, journée de l’éradication de la violence faite aux femmes, je ne vous parlerai pas de ces adolescentes de 14 ans prostituées par des macs de 16 dans les banlieues où rôdent à nouveau les loups.


Je ne vous parlerai pas non plus de cette gamine de 20 ans défigurée de 26 fractures au visage par son « petit ami » un samedi soir un peu trop arrosé où la violence latente est sortie du bois la gueule pendante  : il a écopé de deux ans de prison dont un avec sursis, c’est-à-dire qu’il est sorti de taule quand elle sortait des soins intensifs. Peut-être sera-t-elle comme beaucoup bannie par la terreur de sa ville de naissance, celle où lui-même pourra se réinsérer dans l’anonymat retrouvé. Elle a suivi une psychothérapie. Lui certainement pas. D’autant plus qu’il n’exprimait aucun remord ni conscience. Peut-être quelques entretiens avec un médecin ou un psychologue ? Trop de monde, pas assez de moyens. Et puis la victime n’est-elle pas toujours un petit peu coupable ? Et dans tous les cas malade ?


Je vous parlerai encore moins de cette femme grise et affaissée, lassée du devoir conjugal qu’elle n’ose appeler viol malgré la brutalité de ce sexe qui l'embroche à six heures du matin, juste avant la sonnerie du réveil qui l'amènera bientôt derrière la caisse de supermarché, après avoir déposé le petit dernier à la crèche et fait le minimum de ménage. Chaque jour, dans cette trop petite surface, elle retrouve la main baladeuse du chef de rayon, ainsi que les réflexions grivoises du petit vieux obsessionnel qui vient acheter sa baguette-pâté et son cubi tous les matins à dix heures, après tout elle est au service du client.


Je ne ferai que nommer ces jeunes filles lapidées parce que coupables d’avoir été violées, ces jeunes filles-mères paralysées face à l’avortement, y compris ceux pratiqués sans anesthésie par des femmes médecins, « pour qu’elles prennent conscience de ce qu’elles ont fait ». Trop souvent encore responsables de « la faute » commise avec les hommes, trop souvent sommées de porter à elles seules le poids de la contraception, celui de la parentalité si elles n’ont pas su ou pu se protéger, celui de l’IVG comme dernier recours aussi. L’amour on le fait à deux, l’avortement toute seule, la plupart du temps.


Je tairai aussi les mutilations sexuelles, et les étudiantes qui se prostituent pour payer leurs études.
 Je passerai sous silence les jeunes femmes sommées de s’habiller en 36 sous peine de n’être plus considérées comme baisables ou même visibles, alors même que leur corps le devient enfin davantage.

J’oublierai le plafond de verre et les murs de pierre qui empêchent l’accès aux postes de responsabilités ainsi qu’à nombre de professions genrées par définition et abus de pouvoir. A peine citerai-je en passant l’infirmière que l’on appelle Céline et le chirurgien que l’on appelle Monsieur le professeur Médard. Je resterai muette enfin sur les salaires inférieurs jusqu’à 50% à études et responsabilités égales dans certaines grandes boites qui font l’honneur de la France. Pour tout cela regardez les organigrammes du service public et les fiches de paye des entreprises. Pour cela regardez ce que vous payez au jardinier qui vient tailler vos arbres, et comparez-le au salaire de la nounou qui garde vos enfants. Vous le saviez depuis toujours non, que tondre la pelouse vaut bien plus que s’occuper de vos enfants ?
Inutile donc d’en faire état.

Non, aujourd’hui je vous parlerai uniquement d’une petite phrase que me répétait depuis l’âge de trois ans, avant même que j’aille à l’école, mon institutrice de grand-mère : « le masculin l’emporte toujours sur le féminin ». 
Je me rappelle de mes révoltes contre cette règle, l’adolescente que je devenais comprenant toute la perversion de cette injonction grammaticale, cachant sous la banalité de la répétition par les petits élèves du cours préparatoire les bases d’une pyramide de pouvoir au sommet masculin et à la base féminine qu’il fallait apprendre par coeur le plus rapidement possible. 
L’état est masculin et jusqu’à il y a peu, dans les courriers officiels, le ministre était enceinte et l’ambassadrice n’était que la femme de l’ambassadeur, sauf dans le milieu de la Haute Couture. N’est-ce pas Madame la Colonelle ?

Comme toujours quand les victimes prennent la défense de leurs bourreaux, les enfants maltraités celle de leurs parents abuseurs, le pire, même si l’on en comprend le processus, est d’entendre certaines femmes elles-mêmes parler de « stupidité sans nom » au sujet du terrain de recherche que constitue aujourd’hui l’écriture inclusive, l’écriture non genrée, l’écriture que l’on cherche à féminiser. 
Or le combat est aussi à ce niveau, et n'enlève rien aux autres cités plus haut : soyons inclusives et pas exclusives !

Elles sont très répandues les femmes pour qui sortir de la domination masculine représente un tel effort que non seulement il n’en est pas question, mais encore nourrissent-elles, chez leurs fils en particulier, la perpétuation de la domination du mâle, à travers ce garçon qui les défendra - croient-elles - de toutes les humiliations et violences subies. 
Et puis il y a les femmes de pouvoir qui ne veulent pas, tellement l’effort pour atteindre le panthéon a été grand, qui ne veulent plus entendre parler de genre ni d’identité féminine, celles qui voudraient castrer autant les femmes que les hommes sous les habits gris du commis de l’Etat … Trop préfèrent Margaret Tatcher à Simone Veil. 
Elles vont dire que le genre est juste culturellement acquis et qu’aucune différence n’existe entre le masculin et le féminin. Ce négationnisme de genre me fait l’effet d’une violence encore plus brutale quand je l’entends exprimer avec un grand intellectualisme par des femmes bardées de diplômes et de réussite sociale au sein de la pyramide masculine dont elles sont alors les meilleurs commises. Elles réclament en effet l’abolition de leur différence. Or ce sont les esclaves qui réclament l’abolition de l’esclavage, les maîtres n’en ressentent jamais le besoin.

L’écriture inclusive n’est qu'un champ d’expérimentation qui parle de liberté et de créativité. 
La langue n’est jamais figée, elle évolue, et il ne viendrait à personne l’idée de parler aujourd’hui comme le faisait Villon, que j’aime beaucoup, dans sa « Ballade des Dames du temps Jadis ». L’étudiante désignait il y a quelques siècles une prostituée qui allait amuser les étudiants. Par contre les autrices étaient bien des auteurs féminins, mot auquel je préfère quant à moi auteure.  Il a été bannie par des années de lutte des hommes et des Académies qui considéraient que l’écriture féminine n’avait pas lieu d’être nommée, et ne pouvait concerner que le journal intime et la lettre à l’amant ou à la fille. 
J’ai moi-même inventé de nombreux mots au hasard de mes écrits, alterégales en est un. Le dernier en date, néguempathie, l'opposé de l'empathie, qui était introuvable il y a quelques années sur le web, doit maintenant traîner quelque part dans un dictionnaire, car les nouveaux mots sortent tout droit de l’inconscient collectif. J’ai entendu à la radio aujourd’hui  pompolluage, nouveau mot créé par une journaliste pour décrire le fonctionnement humain qui consiste à pomper tout ce qu’il peut de la planète pour le recracher immédiatement en pollution. Pompolluage m’a plu, je l’ai adopté.
Alors vraiment, rien ne vaut Stendhal et Zola, que j’aime aussi beaucoup, surtout Zola ?  Bien sûr que si, heureusement ! Que ceux pour qui tout a déjà été dit et écrit, que celles pour qui il ne faut pas toucher une ligne de la lettre du texte, retournent s’enfermer dans leur grotte avec leurs vieux grimoires ou leurs textes sacrés inviolables (eux au moins). 
Nous savons dans notre culture de la psychothérapie combien « trouver les mots pour le dire » est important pour soigner les souffrances, pour abolir les esclavages, pour résilier les traumatismes …. Alors halte à la violence grammaticale faite aux femmes … 
Et si l’écriture inclusive vous paraît lourde et un rien démonstrative, moche visuellement et difficile à encaisser par l’oreille, tant pis. 
Elle ne sont jamais très belles les longues marches libératrices. 
Mais elles sont porteuses d’une énergie nouvelle. Et à l’arrivée nous attendent la créativité, l’ouverture de nouveaux horizons et surtout de nouvelles humanités.

 

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