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La victime est-elle malade?

par SIBILLE MARIE-JOSE

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

 

Psychotraumatologie et psychopathologie, le risque du mélange[1]

 

Dans le grand débat des psys, la question de la psychopathologie semble être un nœud de controverse où se croisent et s’affrontent toutes les voix. La question de la définition de leur champ d’action se pose ainsi clairement pour les psychothérapeutes, en les invitant à se différencier du développement personnel d’une part, et de celui de la psychiatrie d’autre part. Parfois le choc des théories ou, à l’autre bout, des méthodes,  paraît prendre la place de ce qui devrait être notre principal objectif : définir notre métier, en évitant de se perdre dans la multitude des styles et des outils, des écoles et des maîtres.

C’est comme cela que ce débat nous amène à sortir de nous-mêmes, pour dire, définir et différencier.

La peur ou le déni des émotions intenses est une caractéristique encore trop fréquente chez certains psys ; et c’est un des endroits où les psychothérapeutes, dans la mesure où ils ont fait ce travail de traversée de leur propre souffrance, ont le plus à apporter. Le diagnostic en psychopathologie, s’il garde toute son utilité dans certains cas, sert trop souvent de bouclier contre cette peur.

Ceci est particulièrement évident dans la confusion fréquente faite entre la pathologie mentale et les conséquences d’un traumatisme.

C’est-à-dire entre une maladie et une blessure de guerre.

Une jeune fille violée à quatorze ans est cataloguée cinq ans après borderline, parce qu’elle abuse des conduites à risques et des substances toxiques tout en présentant des troubles de l’estime de soi ; une femme harcelée sur son lieu de travail est qualifiée de bipolaire ; un autre, cadre débauché de son poste après 25 ans de bons et loyaux services, dépressif, tel autre obsessionnel, voire paranoïaque, car il revisite en boucle l’agression subie. Une jeune adolescente victime d’abus sexuels de la part d’un prof est mise sous anti-dépresseurs, alors que sont maintenant connus les conséquences possibles de ces médicaments sur des personnes aussi jeunes, dans le déclenchement des passages à l’acte, en particulier suicidaires.

Tant d’un point de vue clinique que réflexif et théorique, j’en suis venue à me dire qu’accueillir les traumatismes et se centrer sur eux au lieu de chercher systématiquement des causes de celui-ci dans les carences affectives de l’enfance, reviendrait à vider largement les hôpitaux psychiatriques, voire les prisons, et à faire baisser considérablement le niveau surélevé de consommation de psychotropes dans notre pays. Je ne parle pas ici des traumatismes répertoriés comme tels et clairement isolés comme les agressions, les cyclones et autres tsunamis ou les accidents de voiture, mais des traumas où une chape de doute sur son éventuelle responsabilité colle aux basques de la victime y compris dans le discours des psys : viol, harcèlement moral, violences familiales.

Pour reprendre une définition communément répandue du traumatisme, il s’agit d’une blessure, j’insiste sur ce terme, d’une blessure psychique qui nous met en contact de manière prématurée et inadaptée avec l’irreprésentable de la mort. Ce contact va s’incruster, prendre une place dans la vie du sujet qui devient, le temps passant, disproportionnée par rapport aux autres aspects, vivants et créatifs, de l’existence de cette personne. Ainsi le trauma capte l’énergie vitale tel un vampire et peut être à l’origine de nombreuses somatisations et maladies, y compris mentales, mais qui n’en sont que les conséquences, le symptôme, la partie visible de la blessure, le cri audible.

On dispose maintenant de protocoles et de méthodes spécifiques pour être plus efficaces avec les traumatismes, comme par exemple l’EMDR ou l’EFT. Mais avant tout il y a une manière d’accueillir la personne traumatisée, surtout, comme c’est souvent le cas dans nos locaux, quand le traumatisme a eu lieu il y a longtemps, et encore plus quand il est associé à des carences affectives précoces. Les méthodes et les protocoles sont comme des barques qui nous permettent de traverser en sécurité le fleuve de la souffrance et de passer, enfin, sur l’autre rive. Mais la conduite du batelier reste fondamentale. Comme dans le mythe de Charon, il doit avoir lui-même fait l’expérience de cette confrontation pour pouvoir accepter l’obole de la personne qui se confie à lui. Et savoir passer du canoë au catamaran, c’est-à-dire se situer dans une optique transméthodologique, en fonction des besoins de la personne blessée.

Pour cela, il importe de considérer la psychothérapie autrement qu’à travers les grilles classiques où elle servirait à stabiliser les prépsychotiques, cadrer les borderline, décoincer les névrosés, mais, encore et toujours, comme un lieu où enfin la personne blessée peut déposer son traumatisme afin qu’il soit d’abord accueilli, puis si possible soigné, pour devenir source de vie et de maturité, là où il était cause de repli défensif et de souffrance indicible.

Et aussi, que les blessés de cette guerre de mille ans nommée maltraitance[2], arrêtent de se considérer comme malades.

 

 

 

 

[1] Reprise et remaniement d’un article que j’ai publié en 2005 dans le journal Réel.

[2] A noter que le concept de « bientraitance » est un concept psychosociologique et psychoéducatif très récent (quelques années seulement !) qui est, en résumé, non pas le contraire de la maltraitance, ni l’accès à une quelconque normalité éducative ou postéducative, mais un ensemble de conduites humaines et de conditions environnementales qui permet la croissance harmonieuse de l’individu depuis sa naissance jusqu’à sa mort.

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J'en ai marre de mes chiens

par SIBILLE MARIE-JOSE

publié dans Le quotidien - c'est pas banal ...

Et même je les déteste.
Je commence par Djak, le fils, c'est un gros monstre blanc de 2 ans. Quand il se couche avec la tête entre ses pattes, en regardant le monde avec cette attention flottante qui nécessite des années d'entraînement pour les psychothérapeutes, il ressemble au dragon du film "Une histoire sans fin".
Si vous n'avez pas vu "Une histoire sans fin", c'est que:
- vous n'avez pas d'enfant
ou
- vous n'avez jamais été un enfant
ou
- vous avez tout oublié de l'enfance, y compris celle de vos enfants
Bref, c'est grave, je vous recommande de suivre une psychothérapie.

Revenons à Djak: quand on a craqué pour le garder, il mesurait 30 cm, et le choix s'est fait parce que, contrairement à ses frères et soeurs, il avait une queue sans poil qui ressemblait à une queue de rat. Et puis il ne voulait pas quitter la maison. Chaque fois qu'un nouvel acquéreur venait voir la portée, tous les petits leur faisaient la fête, sauf Djak qui partait, la queue de rat entre les jambes, se cacher dans la niche.
Après de multiples négociations paritaires du style, "tu crois pas qu'on en a assez, des chiens", suivies de, "oui, mais c'est tellement bien pour les enfants", nous l'avons gardé.
Maintenant il avoisine les 60 kg, comme son père, et consomme un poids effrayant de croquettes pour chiens chaque jour (dont il paraît qu'elles sont de meilleure qualité que les produits premier prix pour homme dans les supermarchés, il y a un livre qui vient de sortir là-dessus, Vive la Malbouffe).
Dans son interminable crise d'adolescence, il a consommé une trentaine de paires de chaussures, récupérées dans le lointain voisinage, ce qui nous a permis de créer des liens sympathiques avec la communauté villageoise. Si, c'est vrai, le monde n'est pas uniquement rempli de râleurs agressifs et mauvais coucheurs.

Il a également réussi à me dégoûter temporairement de toute forme de jardinage, pour éviter la dépression vertigineuse qui suivait la découverte de mes jolies fleurs mâchouillées et éparpillées, ainsi que les chutes brutales dans les gouffres creusés au milieu des plates-bandes. Il nous a fait aussi renoncer au vieux rêve de l'oeuf tout frais pondu au petit déjeuner. La chance, c'est que la dernière poule avec laquelle il s'est amusé, sans méchanceté bien sûr, nous avons pu la retrouver, elle, et l'achever avant de la manger. Depuis ce dernier drame familial, nous avons renoncé - temporairement - aux poules.
Ce matin, un improbable dinosaure jaune et vert gît, déchiqueté, le ventre en l'air au milieu du pré.
Méditation sur l'impermanence de toute chose, surtout celles en plastique made in China, dont je vous passe la profondeur exaspérante.
Leçon de morale citoyenne à mes enfants au petit déjeuner,  dont je vous passe également la lourdeur, uniquement supportable par des petits enfants en train d'écouter papa et maman. C'est ce que j'aimerais croire en tous cas, même si la vie quotidienne montre d'autre réalités.
Mais Djak supporte sans aboiement dire notre manque de disponibilité, tous les jeux des enfants, il protège la maison des méchants et accueille les gentils avec un enthousiasme toujours débordant. Il nourrit la meilleure part de nous-mêmes en nous faisant croire qu'il est heureux avec nous, tout imparfaits que nous soyons.
C'est pour cela que je les aime, mes chiens, même si je me sens coupable chaque fois que je les regarde. Ils n'y sont pour rien.
Il y a la mère Lila  qui est morte l'hiver dernier, toute seule dans son coin pour ne pas déranger. Une sainte.
Et puis il y a Lug, le père. Qui vieillit. Il ressemble lui aussi au fameux dragon, mais un qui aurait mille ans de plus. Il a des rhumatismes, et il n'aime plus autant courir après les chevreuils. Il est sans danger pour les poules, les dinosaures verts et jaunes, les chaussures et les fleurs. C'est un grand traumatisé : quand il était tout petit, il a tellement paniqué la nuit du 14 juillet, qu'il est parti dans la forêt et s'est perdu. Ce traumatisme primaire a été renforcé un mois et demi après quand l'ouverture de la chasse a déversé autour de notre fief des hordes de barbares déchargeant leur fusil sur tout ce qui bougeait.
Depuis, le moindre orage le transforme en petite chose affolée. Mais la petite chose a des ongles de plusieurs centimètres, capables de creuser un trou dans une porte de chêne.
Quand l'orage gronde et que ma fille me regarde avec ses yeux, en me demandant: "dis maman, pourquoi on ne peut pas le faire rentrer dans la véranda au moins? ", je reste fermement établie dans mon NON (bien sûr après avoir expérimenté les conséquences du oui un certain nombre de fois).
Mais je me demande, quand je serai vieille et que j'aurais peur de l'orage, est-ce qu'elle me laissera moi aussi, dormir dans la niche ?


MJS

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