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Un village français : d'hier ou d'aujourd'hui?

par Marie-José SIBILLE

publié dans Cette société - c'est la notre !

Voilà ce que c'est de ne pas avoir la télévision: j'ai failli passer à côté de cette série sur France 3, et cela aurait été dommage.
Premier épisode trois jours avant les élections européennes: volonté délibérée? Joies de l'inconscient collectif ?
Le lendemain, à J-2, c'était la diffusion de "Home", le film de Yann Arthus Bertrand.
"1940, vivre, c'est choisir", nous dit le slogan de la série. Il est bien sûr très tentant, et donc je n'y résiste pas, de dire:
"2009, vivre, c'est choisir".
La psychothérapeute que je suis peut trouver dans cette série des signes encourageants, et des questions intéressantes.
Le signe encourageant, c'est la complexité émotionnelle des personnages. Sortir, à une heure de grande écoute, du simple divertissement soporifique et néantigène (néologisme du dimanche matin: producteur de néant) qui est habituellement de règle, tend à montrer qu'il y a un public pour cela; ce qui c'est révélé exact, et même spectaculairement exact. Il y a donc des gens qui, après une journée de travail dans notre société telle qu'elle est, peuvent encore trouver la force de regarder un reflet nuancé de l'humanité, où les bons et les méchants sont moins immédiatement identifiables (un peu quand même, il ne faut pas exagérer) que dans les dessins animés de nos chères têtes brunes. Bravo! Ma qualité de vie, aujourd'hui  assez exceptionnelle, me fait ressentir beaucoup de respect et d'admiration pour les personnes obligées de subir quotidiennement les pressions d'un travail en entreprise ou en institution.
Les questions intéressantes?
- l'approche décalée  comme levier de la prise de conscience. Prenons d'abord le  décalage historique: parler directement des défis actuels de notre société - la planète, l'éducation, la violence intime et sociale, les abus de pouvoir quotidiens dans le monde du travail, de l'institution ou de la famille, et j'en passe de nombreux - vous donne vite l'image d'une vieille radoteuse moralisatrice et frustrée. Ou alors d'une harpie militante, de celles qui étranglaient les hommes avec leurs soutiens-gorges dans les années 60. Bref, un personnage peu négociable socialement, et surtout très peu efficace actuellement en tant que moteur de changement. Par contre, le décalage historique, comme il nous permet de ne pas nous sentir directement interpellé, est moins agressif, tout en nous posant les mêmes questions. Il se marie avec le décalage propre à la fiction, ainsi qu'avec celui de l'image, pour nous chatouiller sans nous violenter. Yann Arthus Bertrand utilise lui le recul de l'hélicoptère pour un effet identique.
Dans notre métier, ce décalage est utilisé en permanence: anamnèse, enfant intérieur, rêves nocturnes et éveillés, jeux de rôle, ... Nous ne sommes pas là pour dire à la personne là où ça lui fait mal, même si elle le demande, et surtout pas pour lui dire quel médicament mettre sur sa blessure. Je sais, c'est très tentant, mais inutile à long terme. C'est en cela que l'approche médicale est profondément inadaptée à notre profession. Dans la même semaine, celle où j'avais accès à une télévision, j'ai regardé l'émission de Marcel Rufo le dimanche en fin d'après-midi. Monsieur très sympathique au demeurant. Au milieu des bons conseils qu'il prodiguait à une famille venue s'exposer à notre regard une deuxième fois, 6 mois après son premier passage, pour un bilan, ce qui m'a touchée c'est la toute petite voix de la mère de famille qui répétait: "mais ce qui m'a fait changer, c'est de me voir agir avec ma fille à la télévision". Décalage.
- la bascule: à quel moment le regard extérieur, social, le regard, non pas de l'autre, mais des autres, n'agit -il plus sur moi? A quel moment est-il remplacé par le regard intérieur, peut-être moins terrorisant, mais tellement plus exigeant? Je ne parle pas seulement ici de devenir militant. Ce n'est pas suffisant. Dans la série, un militant communiste prend des risques considérables, il n'en a pas fait pour autant ce passage. Simplement, le regard extérieur auquel il est soumis n'est pas le même que celui de ses compatriotes. Pour lui, c'est celui du Parti. Et la série montre bien comment il va basculer  en douceur vers cet autre regard, celui de l'intime, grâce à ses relations proches: la mort de sa femme, la responsabilité de son fils, et la rencontre avec une autre femme. Et , petit à petit, son regart rigidifié par la peur de l'autre commence à s'ouvrir. Chez d'autres personnages, ce n'est pas de rigidité dont il est question, mais d'anonymat protecteur, ou d'avidité pulsionnelle. Tous ces regards qui bougent, qui s'ouvrent, se transforment, s'éclaircissent ou, au contraire, prennent de la densité grâce au contact de l'ombre, c'est beau. C'est humain. C'est aussi le quotidien de notre métier.
- l'imperfection toujours présente: même le gentil commissaire fait des gaffes, par exemple en conseillant à une femme juive d'aller se faire recenser. Ou en buvant trop. Ou en ne libérant pas le bon prisonnier. Bref, on ne peut même pas choisir un des personnages comme support d'identification définitive pour nos envies d'héroïsme. Ils sont trop humains. Donc imparfaits. Vous voyez où je veux en venir? Un psychothérapeute ne peut être parfait que si il ne dit rien, ne bouge pas, ne respire pas, et encore. Autant alors prendre un mort comme thérapeute, nous le faisons d'ailleurs à travers les personnages historiques, ou nos ancêtres disparus, et donc faciles à idéaliser. Un chemin plus facile.
Et bien sûr je me suis demandée, en regardant ces personnages, non pas comment j'aurais réagi à l'époque, mais comment, quotidiennement, je cède au compromis face aux allemands d'aujourd'hui, tellement plus subtils dans leur prise de pouvoir.
C'est terrible, ces petites lâchetés quotidiennes qui nourrissent la bête.
Perfection? Non. Humilité, sûrement. Vigilance? Plus présente.
Chaque jour plus présente.

Pour voir la série:

http://www.seies.net/unVillageFrancais/revoir.html
 

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L’estime de soi

par SIBILLE MARIE-JOSE

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

 

 

La culture et la pratique psychothérapeutiques nous permettent d’accéder à ce que je nommerais « l’  intelligence de l’intime », qui loin d’être entièrement innée, doit se nourrir et s’élargir tout au long de la vie.
Bien sûr la souffrance est un bon révélateur d’une difficulté dans cette dimension de l’être, et c’est ainsi que la psychothérapie a toute sa place, peut-être en tant que soin, mais surtout en tant qu’apprentissage de cette intelligence de l’intime. Le psychothérapeute devient alors un accompagnateur de la croissance de l’être, souvent dépassé, en tous cas émerveillé, par les transformations des personnes qu’il accompagne.

Cette forme d’intelligence ne s’apprend pas à l’école, ni même à l’Université. L’analphabétisme relationnel, affectif, émotionnel de nombre de personnes chargées de diplômes ou de réussites sociales est là pour en témoigner. Cette ignorance de l’intime nourrit la violence de nos rapports les uns aux autres. C’est en cela que la psychothérapie indépendante est un domaine qui mérite toute notre attention, voire notre militance. Elle est un des éléments d’une société moins violente, moins destructrice de l’homme et de la nature.

Dans cet univers intérieur, la place de l’estime de soi est centrale car de nombreux sentiments en dépendent : le bonheur, l’impression de se réaliser, la capacité relationnelle affective et sociale pour ne citer que les plus visibles. Et pour continuer le lien avec la vie sociale, les trop hautes ou trop basses estimes de soi sont toutes deux problématiques, car elles font le jeu des dynamiques de pouvoir : la soumission, la résignation, la passivité sociale des uns faisant face à la manipulation, l’emprise et les abus de pouvoir des autres. Nous constatons cela dans les couples, les familles, la vie professionnelle, associative et politique. Et d’ailleurs, ces dynamiques sont parfois inversées en fonction des espaces relationnels concernés. Une femme soumise devant son mari peut se venger en le critiquant devant ses amies, un homme autoritaire dans sa profession peut devenir passif dès qu’il retrouve la mère de ses enfants, et sûrement en partie la sienne, de retour dans son foyer.

En ce qui concerne le couple, il est de toute façon toujours intéressant de voir l’écart qui existe entre l’attitude des partenaires dans la vie intime et celle qu’ils ont dans la vie publique. Plus l’écart de comportement est faible plus on peut supposer, en cas d’attitude positive bien sûr, que le couple va bien.

Les attitudes que nous avons envers nos enfants sont aussi révélatrices. Des parents autoritaires peuvent devenir soumis face aux grands-parents ou aux enseignants, envoyant ainsi un message complexe et dissonant à leurs enfants. Des parents très valorisant en privé peuvent devenir critiques en public, par peur d’être  jugés trop admiratifs de leur progéniture. Là encore, de nombreuses configurations nous permettent de mesurer la véritable estime de soi de la personne.

Dans tous les cas, même les plus basses estimes de soi présentent un bastion auxquelles les personnes se rattachent. C’est par exemple la cuisine intouchable de cette mère de famille par ailleurs soumise et effacée, ou les concours de mots croisés de cet employé invisible. Et même les plus hautes estimes de soi présentent des failles : l’intolérance à la critique de tel homme politique, ou le défaut physique honnis de telle star des médias.

C’est ainsi que nous pouvons voir le jeu d’apparences et de miroirs que reflète ce concept.

DEFINITION

Aujourd’hui, je définirai l’estime de soi comme le sentiment profond que l’on a de soi-même, de sa valeur, de sa légitimité à recevoir amour et reconnaissance en juste relation avec l’expression de nos sentiments et de nos compétences.

Ce sentiment se construit par l’accumulation des images que nous ont renvoyé de nous-mêmes les « autres-miroirs », et ce dès avant notre naissance. L’estime de soi est donc avant tout une histoire de lien.

C’est aussi l’accumulation des phrases sur nous, valorisantes ou dévalorisantes, que nous avons enregistrées comme un magnétophone, et que nous nous repassons en boucle, sans même nous en rendre compte, avant de faire ce travail intérieur. « Tu es nul, bonne à rien, méchant, sotte, c’est de ta faute, tu ne réussiras jamais sans moi, si tu n’étais pas né(e) j’aurais pu … » ; et aussi « le monde est cruel, tu n’est pas assez fort, ta sœur est intelligente et toi tu réussiras dans le sport, heureusement que tu es belle parce qu’avec l’intelligence que tu as … ». Ces phrases répétées suffisamment de fois modèlent l’enfant comme le ciseau à bois d’un sculpteur. De même d’ailleurs que les phrases valorisantes. Heureusement les bois n’ont pas tous la même résistance, et nous ne sommes pas tous faits du même … ! Et puis vient le temps ou nous pouvons nous resculpter nous-mêmes si nous le désirons.

Aujourd’hui, si un décalage trop important existe entre mon sentiment de moi-même et le « feed-back », c’est-à-dire les retours des autres-miroirs, un décalage dans un sens ou dans l’autre, je peux dire que j’ai une problématique dans l’estime de moi. Ce décalage se manifeste par une préoccupation pouvant devenir envahissante de ce que les autres, ou certains autres, pensent de moi. Cette problématique que j’ai aussi développée dans l’article et la conférence sur la Peur de l’autre, peut aller jusqu’au retrait total de la vie sociale, pour protéger une fausse indifférence, ou jusqu’à la quête permanente et systématique du pouvoir et de l’emprise qui me permettront de paraître maîtriser cette angoisse.

LA CONSTRUCTION DE L’ESTIME DE SOI

Plutôt qu’estime de Soi, nous pourrions parler d’estime du moi. On peut se représenter le moi comme une maison habitée par le Soi, le Sujet qui peut dire « je ». En psychothérapie, l’absence de « je », la multiplication des phrases commençant pas « on » et  même par « tu » adressé à soi-même, montre que nous n’habitons pas notre maison. Elle est louée ou squattée par les autres.

Ma maison est-elle suffisamment solide, ouverte, agréable à vivre pour moi et les autres ? Dans ce cas j’ai une estime de soi suffisamment bonne. Ou alors ma maison est-elle une prison, une caserne, une école, une cachette, un hôpital ou une auberge espagnole ?

Deux éléments fondamentaux m’ont permis de construire ma maison :

-          Les fondations : Nous trouvons bien sûr ici la famille d’origine, les parents, la fratrie. Ils nous ont aussi influencé concernant le style de la maison, le nombre de pièces et la décoration. C’est tout ce que j’ai développé dans un autre article sur l’attachement et ses troubles. En cas d’attachement suffisamment bon,  j’ai pu intérioriser un sentiment de sécurité interne et relationnel, ainsi qu’un regard bienveillant sur moi-même, ma croissance, et également ma liberté d’être.

-          Les ouvertures, les voies d’accès, l’isolation : Nous allons trouver ici l’influence de l’école, qui a longtemps été sous-évaluée en psychothérapie. Et pourtant nous y sommes confrontés souvent à la problématique du rejet, de la difficulté de l’expression de soi dans sa liberté et sa différence face à une grande pression de conformité. Les blessures de l’école, puis des études et de la vie socioprofessionnelle, même si elles interviennent dans un deuxième temps, n’en sont pas moins douloureuses. Et les outils pour les confronter devraient être donnés dans la famille. Une famille aimante mais démunie sur un plan social ne pourra léguer qu’une estime de soi déséquilibrée, voire caricaturalement clivée entre l’affectif et le psychosocial.

CE QUI MINE ET DETRUIT LA MAISON

·         D’abord et avant tout les relations toxiques en particulier dans l’enfance, quand nous sommes très malléables aux regards et aux paroles sur nous, ainsi qu’au rejet, jusqu’à ce que nous finissions par les intérioriser. Elles sont comme des termites qui ruinent la maison de l’intérieur, souvent de manière invisible. Voici quelques exemples déjà donnés dans « La peur de l’autre » :

o        la moquerie, le mépris, les racismes et ostracismes.

o        ne pas savoir contenir un secret, une information hors cadre (ex : des groupes de parole ou de thérapie, des équipes de travail, de la famille et en particulier les secrets confiés par nos enfants), d’où rumeurs et nuisances pour la personne, et surtout attaque de son estime d’elle-même.

o        la culpabilisation quand on ne peut pas soi-même assumer ses besoins et réaliser ses désirs (ex du parent qui dira à son enfant : c’est parce que tu es né que je n’ai pas …).

o        agression ou démolition de la personne qui réalise ce que j’aimerais réaliser.

o        jugement, infantilisation face à l’expression d’une émotion, d’un doute, d’une vulnérabilité (souvent le fait de personnes psychorigides qui nient leurs propres failles).

o        le non contrôle des pulsions sadiques (en particulier chez les personnes détenant un pouvoir ou une autorité mais manquant de compétences intimes et relationnelles), la jouissance de la vulnérabilité de l’autre, le non contrôle des émotions paroxystiques qui peuvent effrayer, terrifier les autres, en particulier la colère.

·         Les intempéries, à savoir les traumatismes et les accidents de la vie, en particulier ceux qui affectent aussi le corps, comme certaines maladies longtemps cachées comme des fautes, ou certains handicaps.

·         Le non renouvellement : Ne pas savoir remettre en question, rénover voire déménager, changer de voisinage quand cela s’avère nécessaire, par manque de sécurité intérieure. Cela commence par les vieux habits que l’on ne veut pas jeter ou donner, la difficulté à transmettre et donc à évoluer.

·         L’usure : Les bonnes résolutions que l’on ne tient pas, en particulier celles, plus visibles, concernant le corps et ses habitudes (sport, nourriture, entretien de soi) ou ses addictions (alcool, tabac, drogues, médicaments, télévision …). Mais l’usure vient aussi de ces relations qui nous ramènent en arrière, où l’on se retrouve enfant soumis ou adolescent rebelle, ces os relationnels que l’on n’arrive pas à changer.

·         L’ignorance : le refus d’aller vers certaines pièces condamnées, la chambre de l’enfant que l’on a été, la cave de nos peurs et dénis, le grenier de nos secrets de famille, … Mais aussi le refus d’aller vers l’inconnu, de sortir de sa maison pour aller vraiment vers l’autre, la peur du monstre qui me fait me réfugier entre les quatre murs de mon bastion.

 

L’ESTIME DE SOI SUFFISAMMENT BONNE

Le moi ayant une estime suffisamment bonne possède avant tout des qualités de complexité et de plasticité, c’est en ce sens que je parlais de compétence intime, c’est-à-dire d’une véritable intelligence de soi (je rappelle que intelligence signifie : ce qui relie, c’est à nouveau l’art du lien et de la juste distance).

Elle va s’appuyer sur :

-          L’acceptation de soi : C’est l’art de poser un regard bienveillant, je n’ai pas dit complaisant, sur soi et ses imperfections, la capacité de non-jugement.

-          La connaissance de soi : C’est la possibilité de changer le regard sur soi en faisant le tri des regards et jugements intériorisés à ce jour. Mais c’est aussi explorer tous les mondes intérieurs, les émotions, les sensations, les représentations, les rêves.

-          La réalisation et l’affirmation de soi : Ouvrir le regard sur les autres possibles, sur le monde, exprimer sa créativité dans toutes ses dimensions, exprimer ses sentiments, parler depuis soi plutôt que de parler sur l’autre.

-          Une dynamique de changement et d’évolution : Rester dans le vivant, trouver les leviers de changement, les pièces les plus faciles à transformer.

Ces différents niveaux de l’intelligence de soi peuvent aussi être vécues comme des étapes dans un processus de changement comme celui que l’on recherche en faisant une psychothérapie. Décider un jour qu’il y a des objets, des comportements, des situations, peut-être même des personnes, mais laissons cela pour la fin, dont je ne veux plus dans ma maison.

Ainsi le moi, fermement établi sur une estime de soi suffisamment bonne, dégagé autant que possible du souci de son reflet dans le regard de l’autre, que ce miroir provoque peur ou contentement, mais aussi libéré de tout besoin d’emprise ou d’influence, peut s’ouvrir pour accueillir cet autre en toute liberté. Cet autre humain, mais également cet autre du monde, et ce tout autre qui nous entoure. Est-ce ce sentiment aussi profond que léger comme une plume que l’on peut nommer contemplation, compassion, communion ? Ou encore liberté, créativité, humour ? Je vous laisse choisir votre propre terme.

Marie-José SIBILLE

mariejose.sibille@gmail.com

Lasseube, le 25/09/2008, publié dans « Spirale ». Modifié le 02/07/2009 pour le Blog.

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