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Pour vivre nos rêves, désobéissons !

par Marie-José SIBILLE

publié dans Cette société - c'est la notre !

Mais d’abord, à quoi peut bien servir l’obéissance ?

Elle est avant tout un excellent liant, d’abord familial, puis social. Si l’obéissance ne faisait pas partie de nous, au même titre que certaines qualités humaines comme l’empathie, la société des hommes n’existerait tout simplement pas.

Elle est aussi une attitude de survie qui a fait ses preuves, que ce soit l’obéissance aux pompiers en cas d’incendie, aux parents quand il s’agit de traverser la route, ou à la loi quand il s’agit de ne pas boire en conduisant.

Mais.
Pour exister, l’obéissance a besoin de bases qui sont, elles, potentiellement dangereuses :

-          l’adulation d’un chef ou d’un maître à penser qui empêche toute autre forme d’empathie que celle qui me relie à cet objet d’amour ;

-          la peur de ne pas appartenir, de se retrouver seul, exclus, abandonné, montré du doigt ;

-          le respect aveugle d’une hiérarchie qui empêche toute forme de pensée créatrice sous prétexte d’appartenance ;

-          la mise en avant exclusive de mes intérêts et de ma survie, comme dans une bande de malfaiteurs, ou dans tous les systèmes de pouvoir, nombreux, où l’obéissance aveugle est la clé indispensable qui permet de gravir les échelons ou d’obtenir une place supposée définitive ;

-          le besoin d’unanimité à n’importe quel prix, la jouissance de se sentir une goutte d’eau dans un océan qui nous berce et nous contient, comme dans un concert de musique ou dans un supermarché ;

-          enfin, mais elle n’est finalement pas la pire, l’obéissance sous contrainte extérieure qui suppose un abus de pouvoir et une forme ou une autre de violence sur la personne qui obéit.

On est alors loin, entre adultes, du respect de l’enfant pour la supposée bienveillante autorité parentale, celle qui lui permettra de grandir en sécurité, et d’arriver un jour à la transgression choisie qui est l’objet de cet article. Nous sommes plutôt dans un collectif qui fait écho aux systèmes familiaux maltraitants, ceux qui confondent la loi et la terreur, l’amour et l’identification à l’agresseur, l’intelligence et l’unanimité de pensée.

Nous parlons d’obéissance aveugle, car l’obéissance nous fait mettre non seulement nos pas dans les pas d’un autre, mais la pensée d’un autre dans notre pensée. Nous ne voyons donc plus, n’entendons rien d’autre que la voix adulée. Celle-ci peut aussi être écrite, ou encore, comme c’est le cas dans nos démocraties actuelles, véhiculée à grand renforts de films et autres médias fournisseurs d’émotions fortes à bas prix. Elles nous entraînent insidieusement, sauf exception, vers une douce léthargie, vers un confort unanimiste, un peu comme les Lotophages que rencontra Ulysse avant d’arriver à bon port, un peu comme les passagers d’un avion bercés par la voix de l’hôtesse juste avant le crash.

A quoi allez-vous obéir aujourd’hui ? Car vous obéirez bien sûr.

La désobéissance serait-elle alors, simplement, la capacité de choisir ?

Car elle ne peut être la simple révolte. Si nous repartons dans le microcosme familial, le « non » à l’ordre parental est d’abord et avant tout un autre réflexe de survie, complémentaire à celui de l’obéissance, qui nous entraîne à développer notre autonomie « au cas où » le groupe ne serait plus là pour répondre à tous nos besoins. Il est ensuite, à l’adolescence, l’expression d’une insécurité fondamentale sur mon identité. Serais-je pharmacien parce que Papa ne l’était pas et qu’il ne veut surtout pas que je le devienne ? Vous comprendrez sans peine que ce n’est qu’une variante de : je serai pharmacien parce que Papa ne l’était pas et a toujours rêvé de l’être. L’insécurité peut devenir ainsi un état d’être quasi permanent, tant il peut être long de se différencier des désirs et des frustrations de nos parents, mais aussi de l’ensemble de notre entourage familial, voire social proche.

Mieux vaut obéir, c’est moins fatiguant.

Imaginons que malgré tout, poussés par un insidieux désir de penser par vous-mêmes vous décidiez de faire ce long travail de différenciation.

Vous allez trouver un réseau complexe de tellement d’influences croisées sur vos choix de vie, qu’il y a risque de se perdre, de finir paralysé. Ou de renoncer.

Et donc, qu’il faille désobéir pour vivre nos rêves, certes, quand la pression est évidente, et le désir aussi.

Mais peut-être finalement, que le plus important c’est de pouvoir rêver, rêver d’un rêve singulier, le mien, et qu’obéir ou désobéir n’est alors plus le problème, tant l’urgence et l’importance de concrétiser ce rêve va alors m’habiter. Réaliser ce rêve singulier, m’amènera naturellement à devoir me différencier, m’affirmer, transgresser des limites, renoncer à des sécurités, ainsi qu’à des loyautés familiales ou sociales trop présentes. C’est le prix à payer, semble-t-il, pour pouvoir se regarder dans la glace tous les matins, sans s’arrêter aux rides, et regarder ses enfants dans les yeux, sans éviter leur exigence.

Les défis sont nombreux, aujourd’hui comme hier, où cette réflexion sans réponse absolue paraît indispensable. Certains parlent, ou montrent tellement bien leur chemin, qu’il est tentant de les suivre, de copier leur pensée, de vivre à travers leurs émotions. Il est parfois plus facile de croire que cela nous rapproche de notre rêve singulier. De croire en l’autre, plutôt que de croire en soi. Et peut-être est-ce effectivement le bon choix. Prenons simplement le temps de nous poser la question.

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Voir le monstre et sourire

par Marie-José SIBILLE

publié dans Le quotidien - c'est pas banal ...

 « Tout en rongeant les corps, comme un rat consciencieux,

la pensée avide grignote le passionnel, l’excès, l’imaginaire.

Jusqu’où ? »

Isabelle Sorente. « Le cœur de l’ogre ». JC Lattès. 2003. 

 

 

Je n’en finis pas d’interroger en moi, chez l’autre, dans l’Art et l’actualité, bref dans le monde, l’infernale triade bourreau – victime – sauveur.

A force de la malaxer dans tous les sens, peut-être en sortira-t-il un pain comestible ?

La Nature a résolu partiellement le problème en inventant la chaîne alimentaire. Jusqu’au ver de terre qui nous bouffera tous par la racine, on est tous le bourreau de quelqu’un. Jusqu’au même ver de terre gigotant dans le bec d’un oiseau, on est tous la victime de quelqu’un.

Mais la Nature a calé sur le sauveur. C’est peut-être là alors que le bât blesse chez l’homme. Qu’il soit juge, médecin, thérapeute, éducateur ou prêtre, celui qui fait voeu d’interférer avec la souffrance du monde prend tous les risques, y compris celui du ridicule.  

Chacun a sa recette pour aider l’autre, changer la société, sauver le monde. Même les vampires de l’économie de marché pensent agir pour le bien social. Ils sont rares ceux qui assument simplement d’être des criminels.

Et nous alors ? Quelques grammes de militance politique, trois pincées de psychothérapie, une once de développement personnel, le tout saupoudré d’un nuage de spiritualité, à consommer sans modération jusqu’au gavage et à l’écoeurement.

Si la politique changeait le monde, cela se saurait depuis tant de Grands Soirs se terminant en gueules de bois, et tant d’Aubes Glorieuses échouant au crépuscule des dieux.

Mais la politique reste indispensable à la vie commune.

Si la psychothérapie et le développement personnel changeaient le monde, cela se saurait car il y aurait moins de luttes de chapelles, d’écoles et de méthodes, moins d’avidité pour conquérir le « marché » (sic) à travers des pubs agressives et bêtes, moins de luttes de pouvoir entre confrères.

Mais une psychothérapie qui va loin dans la souffrance, les ombres et les avidités, peut amener des transformations radicales dans le cœur de l’homme.

Si la spiritualité changeait le monde, cela se saurait mais la Saint Barthélemy n’est jamais finie, beaucoup de méditants rejoignent un nirvana vaporeux, et Dieu, malgré tout ce qu’il a déjà raconté aux prophètes et aux fous, n’a toujours pas dit son dernier mot.

Mais sentir « la présence », vivre la joie de l’âme, plonger dans les eaux calmes et profondes du lac intérieur, reste une des expériences humaines les plus abouties.

Et l’Art encore, la philosophie, les sciences.

Et l'amour.
Alors quoi ?

Toutes les tentatives désespérées de l’homme pour ne pas être heureux finissent par aboutir. C’est le monde tel qu’il est. Depuis Epicure et Marc-Aurèle au moins, la confusion règne entre l’accès au bonheur et la quête de la jouissance totale, cette avidité de vivre, si belle à voir chez l’enfant où elle est célébration du monde, et pour laquelle l’âge adulte invente le terrorisme, la torture, la pornographie, la destructivité, comme médias acceptables.

Alors chacun fait sa cuisine, un peu de ci, un peu de ça, en fonction de sa nature et des âges de la vie. Et c’est très bien comme ça. Dans le monde tel qu’il est, tout est utile, et rien n’est absolu. Tout se résout, s’il faut résoudre quelque chose, dans l’expérience intime. Et puis un jour ces combats finissent par nous fatiguer jusqu’à peut-être accepter l’évidence : le bonheur est le propre de l’homme. C’est mon plat préféré, très long à cuire, salé-sucré et doux-amer, à consommer avec délectation.

Certes il en faut du temps pour accepter le regard chaud du compagnon, l’éclat de rire de l’enfant, la jouissance des embruns de la mer sur le visage, la passion créatrice.

Mais quand cela vient, l’autre n’est plus un combat, même s’il reste un mystère.
Quand cela vient, même furtivement, j’arrête d’être cet ennemi qui croit combler son avidité d’être dans la destruction de lui-même et de l’autre.
Quand ce moment vient, voici l’ogre condamné à la diète, la victime déclouée de sa croix, le sauveur expédié au chômage.

 

 

 

 

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