Nique la technique ?
Nique la technique ?
Depuis hier il y a une grosse machine devant ma maison.
Cette grosse machine s’appelle une pelleteuse. Elle ressemble à une girafe basse sur pattes qui aurait la gueule d’un tyrannosaure.
Une part de moi, sûrement très jeune, se demande toujours comment une machine pareille peut exister. Pourtant on n’était pas si mal dans nos grottes à cueillir nos fruits et à manger l’un ou l’autre lapin, en relative sécurité car c’était bien après la disparition des tyrannosaures. Mais la pelleteuse a fini par sortir de la tête de quelqu’un. Un homme pour ne rien vous cacher, les femmes étant coincées dans la grotte pour assurer la survie de l’espèce.
Tout a commencé avec la roue. L’arrivée de la technique. Ce monde d’hommes et de machines. Grand sujet pour les femmes que celui de l’appropriation de la technique. Entre 80 et 98% des ingénieurs sont des hommes, ça dépend des secteurs, le pire étant l’informatique. Terrible quand on voit à quel point cette « tech » comme ils disent dirige notre vie. C’est aussi pour cela que les appareils ménagers, conçus jusqu’ici par des hommes, sont souvent à côté de la plaque (à induction). La prise n’est jamais au bon endroit, et je viens de subir une agression majeure de la part de mon dernier extracteur de jus dont le bol a explosé. Quant à mon congélateur, il faut que je le décolle du mur et que je vienne avec une lampe de poche pour régler la température ... Nous nous sommes déjà séparés du sèche-linge qui rétrécissait agressivement tous les habits qu’on lui confiait, alors même que nos enfants grandissaient à vue d’oeil, il n’avait rien compris.
Mais après tout se dit une autre partie de moi plus grande, cette machine, la pelleteuse, est là pour de bonnes raisons. Pas pour détruire la forêt amazonienne. Mais pour arranger le trou qui existe déjà devant la maison et en faire une mare. Une mare c’est sympa. Il va y avoir des crapauds, dont les crapauds accoucheurs qui chantent la nuit le bonheur de porter leurs bébés sur le dos, des grenouilles, des libellules et des tas d’autres bestioles rigolotes et indispensables à la survie de la planète.
Donc c’est une gentille machine.
Mais je n’y peux rien. J’imagine toutes les petites bêtes, les petites fleurs, les brins d’herbe que les grosses roues vont écraser, déranger au mieux, tuer au pire. J’imagine tous les campagnols ayant fait leur nid au fond du trou qui vont y finir enterrés vivants. Comme des fosses communes dans trop de guerres dans le monde. Je suis comme ça. J’ai une imagination galopante. Et peut-être exagérée. Mais. Je vais rester planquée dans mon bureau pendant toute la durée heureusement courte des travaux.
Je culpabilise aussi un peu. Je me dis qu’on aurait pu s’y coller avec mon compagnon. Lui au fond du trou avec la pioche et la pelle. Moi au bord avec les seaux que j’irais vider au fur et à mesure à quelques dizaines de mètre de là. On en aurait juste eu pour trois ou quatre ans vu notre emploi du temps quotidien. Mais ça nous aurait fait les muscles et les poumons.
Comme ces enfants en Afrique, ceux qui vont piocher au fond du trou les métaux rares dont sont faits nos portables.
Il y en a plein qui survivent.