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STRESS ET PEURS DES ENFANTS SEPARES 

par Marie-José Sibille

publié dans On peut choisir sa famille , La psychothérapie - de quoi ça parle , Adopter sa famille , Adoption

STRESS ET PEURS DES ENFANTS SEPARES 

Exemples pris dans les familles adoptantes

Extrait remanié du livre "Adopter sa famille"

 

Survie dans la famille

 

L’attachement, c’est de la survie, pas de l’amour. Du besoin, pas du désir. De la dépendance, pas du partage.

Et pourtant, quoi de plus émouvant ? La nature a bien fait les choses.

Mais ne nous trompons pas.

Notre enfant juste adopté porte la peur dans sa valise. Comme une sensation qui pourra partir vite s’il est juste bébé, comme une émotion plus consciente ou présente s’il est plus grand.

Elle est parfois lourde et mal pliée, parfois envahissante, il ne sait pas où la ranger.

Alors il la laisse sur lui, comme un masque effrayant ou un habit déchiré, déclenchant en retour trop souvent la peur de l’autre ou son rejet, y compris celle de l’adulte supposé le prendre en charge. Car cette peur nous renvoie souvent à nos propres angoisses niées ou oubliées.

Si cela arrive, rien de spécifique à certains parcours d’adoption.

Des parents « biologiques » insécurisés par les pleurs de leur bébé, peuvent le secouer jusqu’à le tuer pour le faire taire.[1] D’autres plonger dans la dépression ou la fuite tant est grand leur sentiment d’impuissance. Des faits divers réguliers nous parlent de ces parents dépassés et des drames que vivent les enfants de ces parents maltraitants ou carencés, ou malades mentalement.

Sans aller jusqu’à ces extrêmes trop fréquents y compris dans nos pays protégés, les mêmes peurs se trouvent chez les enfants qui se sentent ballotés, insécurisés par des séparations multiples ou des recompositions familiales non encore digérées. Ou chez ceux qui font face au quotidien à des parents malades ou à leur propre maladie grave ou chronique.

Dans le cadre de l’adoption telle qu’elle est vécue en France et dans tous les pays, pas si nombreux, où elle est la plupart du temps à l’abri des trafics d’adultes mal intentionnés ou immatures, quelques semaines ou quelques mois de stabilité et de soins adéquats suffiront la plupart du temps à sécuriser l’enfant, et il pourra ranger sa valise au grenier. Elle n’en sera ressortie que pour témoigner de l’histoire.

Mais parfois cela ne suffit pas, pendant un temps qui nous paraît trop long.

Certains enfants présentent ainsi de grandes difficultés à s’endormir. La nuit, les barrières disparaissent, et les images et les sensations tenues à distance pendant la journée reviennent en force.

« C’est au moment d’aller au lit que tout devient difficile », témoigne cette maman, « c’est le moment de la journée que j’appréhende le plus. Antoine résiste pour chaque action, se laver les dents, se mettre en pyjama, tout est un combat. Et puis quand enfin il est au lit, une fois sur deux c’est la crise, des colères pas possibles, ou des pleurs, il refuse de me lâcher. Nous sommes épuisés tous les deux ».

« J’ai quelque chose dans la tête qui m’empêche de dormir », nous dit Caroline, 7 ans, adoptée quand elle était bébé, toujours en prise avec des troubles du sommeil, ou plus exactement de l’endormissement, ce moment où il faut faire confiance aux bras de la nuit, ce moment qui peut faire penser à la mort.

De nombreux évènements de la vie sociale ou familiale actuelle peuvent réactiver ces peurs.

Un tel événement s’appelle un déclencheur.

« Je me rappelle d’une histoire avec mon fils quand il avait six ans », raconte Daniel, « histoire qui lui a fait vivre quelques jours de peur et de tristesse inutiles. Il était invité à l’anniversaire d’un copain de classe, deux ans après son arrivée. Son tempérament, très sociable, faisait qu’il paraissait tout heureux d’y aller. Nous n’étions pas très chauds avec sa mère car cela se passait dans une de ces nouvelles cages à enfants tout en plastique que l’on trouve dans les zones commerciales. Il est revenu triste et surtout assez paniqué. Il ne savait pas encore bien l’exprimer avec des mots, et les adultes présents l’avaient trouvé très bien et participatif. Mais le bruit, le nombre très grand d’enfants, le goûter collectif, et sûrement un certain nombre d’échanges difficiles avec les autres enfants, l’ont fait replonger dans l’atmosphère de l’institution de laquelle il venait ; et notre absence lui a fait peut-être croire qu’il était à nouveau abandonné. Il a fallu quelques jours pour rectifier le tir, et nous étions assez en colère contre nous d’avoir manqué de vigilance ».

L’événement déclencheur active l’appréhension de revivre des souffrances identiques à celles que l’enfant a vécues, cela s’appelle l’anxiété anticipatoire. Toute situation peut se révéler anxiogène dès qu’elle suppose une instabilité ou un changement, menace d’une nouvelle rupture.

Car pourquoi cela s’arrêterait-il ?

A nous donc parents adoptants, bénévoles, professionnels accompagnant les familles, les enfants mais aussi les jeunes adultes ayant vécu ces évènements de comprendre au mieux les stress qu’ils ont traversés, et aussi de voir lesquels appartiennent aussi à notre histoire d’adultes en charge, de manière à ce que l’interaction avec l’enfant soit la plus chaleureuse et efficiente possible.

Un exemple : Les stress du changement

 

Nous devons par exemple tenir compte de l’effort intense que fait notre enfant pour intégrer son nouvel environnement, et pour accepter de se séparer du précédent ! La liste est grande de tous les stress potentiels vécus par notre enfant dans son changement de lieu et d’environnement affectif et culturel. Ils sont parfois aussi simples, ce qui ne veut pas dire faciles à vivre, que le stress climatique pour les enfants venus de pays plus chauds.

Mais ils peuvent être plus complexes.

Si notre enfant adopté a déjà un certain âge, trois ans, quatre ans, plus encore, il est déjà un migrant. Il peut donc vivre le stress dit « d’acculturation », qui consiste en un conflit entre sa culture d’origine et le nouveau pays auquel il est confronté. Imaginez-vous débarquer pour toujours dans une ville d’Afrique ou d’Amérique du Sud, entouré de gens qui ne vous ressemblent pas du tout physiquement et qui ont des comportements ne correspondant pas à vos habitudes quotidiennes. Ce stress peut se traduire par des épisodes dépressifs, des régressions, des impressions de déréalisation, des blackouts où la mémoire ne marque plus … Il ressemble au stress de l’exil.

Au parent de ne pas prendre comme un rejet les comportements de refus de l’enfant face à des pratiques quotidiennes concernant les repas, le coucher ou la toilette, qui nous paraissent évidentes mais qui sont loin de l’être pour lui. L’enfant déjà grand devra aussi faire face la plupart du temps, en plus d’un nouveau pays, d’une nouvelle langue et d’une nouvelle famille à une nouvelle école, voire une première[2].

Certains enfants feront de ces difficultés une errance, d’autres une force. Car il existe de nombreuses stratégies pour maintenir ou restaurer son identité et son estime de soi dans ce contexte, stratégies construites sur les différents compromis possibles entre les acquis de mon histoire, et l’adaptation nécessaire pour vivre dans ce nouveau contexte.

Ils pourront ainsi paradoxalement développer des compétences personnelles, créatives et relationnelles supplémentaires par rapport à celles de personnes plus protégées.

C’est le défi de la résilience, cette capacité non seulement à rebondir, à se réparer, mais aussi à grandir et mûrir grâce aux obstacles.

La résilience a une dimension individuelle, ontologique, native et même transgénérationnelle.

Mais elle a aussi des dimensions culturelles et relationnelles, en particulier la dimension des relations intimes où se construit l’attachement, les relations avec la mère, le père, les frères et sœurs, la famille très proche.

Cet entourage sera-t-il résilient ou retraumatisant ?

Et saura-t-il trouver de l’aide en cas de difficultés ?

Ce sont des questions essentielles, aux réponses et aux résolutions multiples et complexes.

 

Des « enfants symptômes » aux enfants qui s’expriment

 

Les parents adoptants sont dans le meilleur des cas des soutiens à l’expression. Ils aident leurs enfants quand ils en ont besoin à transformer leurs symptômes, symptômes parfois accompagnés de passages à l’acte, de réactions psychosomatiques ou de régressions difficiles, en émotions identifiées, en dessins, en mots. Ils les aident à mettre ces symptômes dans la relation.

Raphaël souffrait d’asthme et de bronchite chronique. Un grand pas en avant dans sa guérison a été fait quand il a pu exprimer, lors d’une crise, toute la souffrance qu’il ressentait d’avoir été séparé de sa mère à l’âge de trois ans. On peut dire que la tristesse l’étouffait. Quant à la toux, elle lui paraissait plus acceptable que les pleurs. Ce petit garçon a appris à exprimer de mieux en mieux ses émotions, et cela contribue fortement à la disparition des symptômes.

Quant à Emma, jeune adulte épanouie dans sa vie affective et professionnelle, elle témoigne ainsi de l’anxiété de séparation qu’elle ressent encore : « Je pense que j’ai quand même du mal à vivre le moment des séparations. Quand j’étais petite et que Maman partait en voyage, je le vivais très mal. Je me disais, je vais être seule. Le moment de la séparation fait monter une angoisse. Encore aujourd’hui quand elle repart ».

De nombreux symptômes peuvent se manifester. Ils peuvent effrayer comme des masques de carnaval et les diagnostics, s’ils sécurisent les parents et peuvent être une phase indispensable, risquent de bloquer l’évolution des enfants si l’on s’y arrête. Dans tous les cas ne laissons pas souffrir nos enfants.

Quand les émotions circulent, elles deviennent langage, lien, source de créativité. Un enfant, s’il se sent entendu, va passer très vite à une autre émotion, à un apaisement. Les symptômes s’adoucissent et se patinent, ils se fondent dans notre identité dont ils deviennent les facettes multicolores.

 

Accepter que l’enfant aille bien, accepter sa résilience et sa créativité relationnelle

 

Ainsi certains de nos enfants peuvent être pris par la peur, qui peut aller jusqu’à la sidération, ils peuvent être figés dans le gel du trauma. Ils peuvent avoir des crises de rage, et des accès de violence. Ils peuvent être tristes, vivre des phases dépressives aussi, où ils semblent avoir perdu goût à la vie. Et puis, au bout de quelques jours, quelques mois, quelques années, la joie va prendre de plus en plus de place. Nous le sentons pleinement en prise avec la vie, avec sa vie. Les émotions tournées vers le passé et vers l’ailleurs, comme la nostalgie, le regret et le remord laissent la place au plaisir d’être ici et maintenant, dans cette vie, avec nous. Puis dans leur vie à eux.

Il y a aussi la plus grande partie des enfants qui vont bien dès le début : adoptés bébés ? Adoptés si grands qu’ils étaient vraiment motivés pour changer de vie ? Préparés ? Accompagnés ? Issus d’abandons intégrés dans la culture ? Ayant été adoptés par des familles adaptées, préparées, accompagnées ? Les explications sont nombreuses, complexes, les recherches aussi. Mais de la même façon que l’immunothérapie commence à être utilisée pour guérir le cancer, la notion de terrain de la médecine alternative peut aider à comprendre. Le terrain d’origine, et aussi le terrain d’accueil, la nouvelle famille, ainsi que le maillage entre les deux ont nourri la résilience de l’enfant, en répondant de manière suffisamment adaptée à ses besoins. Peut-être aussi ont-ils permis aux capacités natives de l’enfant de prendre toute leur place sans interdire leur expression positive.

Ce n’est pas du déni ou de la suradaptation car, s’ils vont vraiment bien, ils ne manqueront pas de confronter leur histoire, et d’avoir de grands projets.

Nous n’avons pas fini d’apporter des preuves incontournables, mais nous savons bien intuitivement ce qu’il en est.

Géraldine, mère de deux grands fils finissant leurs études, raconte :

« Mes deux fils vont bien, mais c’est parfois comme si je devais le justifier ou l’expliquer, sous prétexte de l’adoption. A l’adolescence, il y a eu des grosses crises de confrontation qui ont fini de me rassurer, elles étaient on ne peut plus banales, autour des sorties et des écrans ».

Quant à Roland, il s’émerveille encore : « Quand j’ai pris ma fille dans mes bras c’était un gros bébé plein de vie, qui a vite arrêté de pleurer pour dévorer la vie qu’on lui proposait à pleines dents. La nounou qui me l’a mise dans les bras m’a dit : « sur les sept bébés dont je m’occupais, c’était toujours elle qui prenait le biberon en premier, elle a beaucoup profité ». Et la nounou me l’a mise dans les bras en riant aux éclats. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de crises ni de besoin d’explications, ça ne veut pas dire qu’elle n’a pas vécu de moments difficiles pour intégrer sa différence, mais quand je vois la jeune femme solide et brillante qu’elle est devenue, je me dis que je n’ai pas fait obstacle, j’ai juste nourri ce qu’elle portait en elle dès le départ ».

 

 

[1] C’est le SBS : Syndrome du bébé secoué, qui a fait l’objet d’un colloque professionnel à Pau récemment, organisé par le département. Des résumés seront bientôt disponibles, pour les professionnels concernés,  tenez-vous au courant. http://www.le64.fr/solidarite/enfance-famille-sante-publique/prevention-enfance/colloque-syndrome-bebes-secoues-9-juin-a-pau.html

 

[2] Vous trouverez un large développement de ce thème, d’autres exemples de stress et des stratégies de résolution (PTSD) dans le livre, 2016, BOD :

ADOPTER SA FAMILLE

L’adoption internationale aujourd’hui, un exemple d’attachement résilient

En cours de réédition en 2021

 

J’ai publié un article sur le même thème pour le bulletin de l’association Pétales, une association dédiée à l’attachement, dans les familles de tous ordres, adoptives ou non :

http://www.petalesfrance.fr​

https://www.facebook.com/petalesfrance/?fref=ts​

 

 

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