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Des liens qui malmènent, des liens qui font du bien

par Marie-José Sibille

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

DES LIENS QUI MALMENENT, DES LIENS QUI FONT DU BIEN

Attachement et traumatismes relationnels dans la petite enfance 

Le bébé cherche dès sa naissance dans son entourage la personne adéquate pour prendre soin de lui : cela s’appelle l’Attachement.
C’est un système neuropsychologique inné, mais il évolue sans arrêt dans la relation, c’est ce que nous montrent à la fois les neurosciences et l’expérience de la relation thérapeutique.

Face à ce bébé, cet enfant, un parent sera là si tout va bien, et en priorité une mère, d’abord pour assurer sa sécurité, puis pour répondre à ses besoins et consoler sa détresse, avec chaleur affective, sensibilité et adéquation, c’est-à-dire avec empathie. Ce système complexe et prodigieux existe aussi chez de nombreux animaux, pas simplement ceux que nous nommons supérieurs. La puissance créatrice de la nature expérimente de tous côtés les meilleurs moyens de survie. Le système d’attachement de l’enfant fait partie des fruits les plus élaborés de l’évolution. Il nécessite en miroir un adulte capable de répondre à ces besoins, à ces signaux, de la manière la plus adaptée et bienveillante possible.

Dans ce lien sécurisant et attentif le corps, le cerveau, le monde affectif et relationnel et toutes les formes d’intelligence pourront se développer chez l’enfant. Et en particulier l’intelligence émotionnelle, la perception juste de son être intime, l’intelligence sensorielle, l’intelligence des relations, ainsi que le désir d’apprendre et d’explorer le monde.

Ce système naturel va se décliner chez l’homme selon différentes formes que nous nommons cultures, adaptées à l’environnement et à l’histoire de chaque famille, de chaque population.
A chaque mouvement vers plus d’indépendance, à chaque nouvelle relation, la solidité de la dynamique d’attachement est testée.

A l’âge adulte, l’attachement devient un processus interne. C’est l’autonomie, c’est-à-dire la capacité à prendre soin de soi, à connaître ses besoins et à y répondre dans le respect d’autrui. La dépendance de l’enfant laisse alors la place à une capacité relationnelle consciente et partagée, à des aptitudes sociales et communicationnelles, puis à une capacité de prendre soin à son tour des plus petits ou des plus fragiles, dans une relation de parentalité, mais aussi dans les professions d’accompagnement, de soin, d’éducation.

Mais l’homme a cette capacité que possèdent très peu les animaux, celle de nuire à son environnement, à sa survie, à sa progéniture. Trop de parents n’ont pas appris à prendre soin d’eux avant d’avoir des enfants. Trop de parents n’ont pas eu dans leur enfance de soins adéquats, et leurs cerveaux, celui de la tête comme celui du ventre, se sont construits en résistant à ce que l’environnement avait de pire.

Elles sont nombreuses les réponses inadéquates et traumatisantes aux besoins du bébé: carences, fragilités et incompétences, troubles psychiques et maladies mentales, abandons, maltraitances, violences physiques, émotionnelles, sexuelles.

Elles devraient produire des adultes insécurisés, traumatisés, perdus, uniquement susceptibles s’ils n’en sont pas morts prématurément de reproduire la violence qu’ils ont reçue.Certains professionnels le pensent. D’autres proposent l’idée de résilience, c’est-à-dire la capacité que nous avons de nous réparer, voire même de nous transformer positivement après un trauma, une difficulté, un accident de vie, ou, au pire, des relations très déficientes dans l’enfance sur une durée assez longue. C’est grâce à la résilience que certaines chaînes de maltraitance peuvent s’interrompre un jour.

Les notions d’attachement et de résilience mettent l’accent sur la relation et sur l’environnement, ainsi que sur l’évènement. Elles désignent un moment et un espace bien déterminés, plutôt qu’une ou des personnes.
Le trauma est circonstanciel. Inutile d’en faire une composante structurelle, ontologique, de la personne.

Et ceci, même si le trauma la touche au moment de sa construction qui peut paraître le plus fragile, la toute petite enfance.
Olivier parle de la mort brutale de son père quand il avait sept ans : « Ce n’est pas une maladie, c’est comme une blessure, et plus exactement comme une amputation, comme si j’avais une jambe coupée ».

Les images corporelles replacent le trauma dans ce qu’il est : un accident de la vie. Il peut avoir des séquelles graves, mais il est aussi peu inhérent à la personne qui le subit qu’une mine anti-personnel. Et l’on peut se demander ce qui n’a pas été mis en place dans la vie d’Olivier, pour qu’à cinquante ans passés, la douleur de l’amputation soit aussi vive que pendant l’été de ses sept ans. En effet, ce n’est pas tant la mort du père qui fait encore souffrance, que la manière dont d’autres liens, qui auraient dû soutenir Olivier, se sont rompus en même temps que celui qui l’attachait à son père. Ainsi en est-il du lien avec sa mère, celle-ci ayant sombré dans une dépression chronique qui l’a rendue absente, indisponible aux besoins de son fils. Ce deuil familial a été rapidement suivi d’un déménagement, coupant encore plus Olivier de ses repères quotidiens. La même disparition aurait pu au contraire créer du lien : dans certaines familles, les conflits s’apaisent autour du cercueil du défunt.

Cette approche qui associe le trauma à une blessure, et non à une maladie ou à un handicap constitutif de la personne, est plus difficile à accepter, y compris pour les victimes, quand nous sommes face à des traumas dits « complexes ». Nous les appelons complexes car ils se sont répétés pendant des années, comme certaines maltraitances, certaines négligences. Des parents multicarencés et peu entourés socialement écornent chaque jour l’estime de soi et la confiance dans le monde de leur enfant. Ces maltraitances répétées provoquent les troubles les plus importants dans la construction de l’identité de l’enfant, ainsi que le recours à la violence contre soi ou contre les autres comme moyen d’abord de survie, puis d’expression.

« Je me sens abandonnée depuis que je suis toute petite », nous dit Marianne qui vient de faire une tentative de suicide suite à une rupture amoureuse. « Chez moi il n’y en avait que pour mon frère. Les cadeaux, les sorties, l’amour. Je faisais la cuisine pendant qu’il faisait ses devoirs, je faisais le ménage quand il jouait sur son ordinateur avec la bénédiction de ma mère qui m’ignorait complètement, sauf pour me donner des ordres. Alors maintenant, quand un homme me quitte, je sens un rejet total, comme si je n’existais plus, ça me donne envie de mourir. »

Il n’en reste pas moins que ces traumas sont aussi des blessures, des blessures que nous montrent de plus en plus précisément les neurosciences, même si, à l’âge adulte, ils nous paraissent consubstantiels de la personne au point de ne plus pouvoir différencier l’origine et la cause. Ces traumas déforment alors notre possible empathie, aveuglent notre possibilité de voir plus loin que le symptôme. Comme les « Gueules cassées » en 14/18, ou les survivants des camps de concentration, leur visage, ce qu’ils montrent d’eux-mêmes, a été détruit par la guerre, et nous effraie1. Mais nous ? Avons-nous puisé dans nos relations précoces suffisamment de sécurité pour rendre le monde habitable et accueillant ? Avons-nous réussi à développer suffisamment d’empathie et de créativité pour améliorer notre milieu de vie au lieu de lui nuire ?
Le bébé, l’enfant, est une éponge. Il se nourrit de son environnement, il l’intériorise pour pouvoir grandir. Nous retrouvons toute notre vie des traces organiques et émotionnelles de nos neuf mois in utero, de notre naissance, et des toutes premières années de notre vie. Même si elles restent la plupart du temps un mystère pour notre pensée rationnelle bloquée de l’autre côté de la mémoire grâce au mécanisme protecteur de l’amnésie infantile, leur connaissance passe par l’invisible, l’intuition, le ressenti et les rêves, le sentiment de sécurité et d’aisance dans le quotidien, la vitalité et le dynamisme, et notre vécu relationnel.

Nous pouvons parfois sentir le retour de ces premiers moments, et en tous cas nous raconter des histoires, des histoires auxquelles nous pouvons aussi choisir une fin positive et créative.

 

 

 

 

 

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