Dépression ? Régression ? Vive le régime nourrisson!
La dépression use la vitalité comme un vampire aux cent bouches. Elle va souvent de pair avec toxicomanies, dépendances, violences et autres manifestations de comorbidité ; parmi elles, si le chocolat nous amène agréablement vers le thème suivant, celui de la régression, les autres, depuis l’abus de télévision jusqu’aux psychotropes légaux ou non, l’alcool, Internet, le jeu, ou l’addiction à la consommation, se révèlent finalement épuisantes pour le corps, le porte-monnaie, les relations, aggravant et densifiant ainsi les symptômes, dans une spirale ans fin .
La régression conduit, à condition d’en remonter, à une régénération profonde de l’individu. Elle fait naître à une vie plus créative, plus en phase avec ses vrais désirs. Comme dans le mythe de Jonas, la plongée dans le ventre de la baleine nous permet de sortir du doute et d’entendre l’appel de notre vocation, ou tout simplement celui de la vie.
La régression est besoin de recontacter l’énergie de vie de la naissance, l’impulsion première de notre venue au monde.
La dépression, au contraire, surtout dans sa forme chronique ou rendue chronique par les médicaments, nous enferme dans une mémoire-prison surdimensionnée et un imaginaire velléitaire qui n’aboutit jamais dans son vœu de s’incarner dans le réel.
Pourtant, il n’y a rien de plus efficace pour faire le deuil d'un idéal ou d’un rêve que de le vivre!
Comment alors le psychothérapeute va-t-il se positionner face au message envoyé par la dépression ? L’interpréter comme un besoin de régression, c’est-à-dire de ressourcement? Et dans ce cas va-t-il accompagner ce besoin en faisant confiance à la santé psychique fondamentale de la personne, en se rappelant, par exemple, que les enfants régressent toujours avant de faire un saut évolutif, comme pour mieux prendre leur élan ? Va-t-il accompagner cette personne vers une nouvelle négociation relationnelle dans sa vie, sa famille, son travail, son engagement social ? Va-t-il l’aider à entrer en résistance face à la pression environnante ? Dans ce cas il se place clairement du côté de l’intime, et justifie ainsi la peur des pouvoirs dominants face à notre profession.
Ou bien va-t-il diagnostiquer une dépression, c’est-à-dire une maladie nécessitant systématiquement un traitement médicamenteux, au risque de masquer le symptôme sans entendre la souffrance, avec l’objectif de remettre la personne le plus vite possible dans les rails ? Les médicaments peuvent être un soutien indispensable quand la personne a trop pris, trop longtemps, dans ses forces vives. Mais pour ne pas être un emplâtre sur une jambe de bois, ils ne doivent se situer qu’à la périphérie du traitement, et pas au centre. C’est entre autres dans ces choix quotidiens de positionnement que se situe la différence entre la psychothérapie indépendante et une certaine médecine, à laquelle je ne veux pas réduire tous les médecins.
La question du sens de la vie
La personne en phase dépressive n’en finit pas de porter sa mémoire et ses rêves morts sur son dos. Et de se poser sans arrêt la question du sens de la vie. On peut alors à juste titre se demander si c’est la bonne question.
La quête de sens dans un processus thérapeutique peut parfois devenir insensée, et ce pour de multiples raisons. Il y a d’abord la confusion entre sens et explication, liée au fonctionnement habituel de notre mental qui a appris depuis le plus jeune âge à se nourrir de rationalité. Cette mentalisation du processus thérapeutique se fait alors au détriment des consciences organique et affective. Or la symbolisation, génératrice de sens, quelle que soit la définition qu’on en donne, est en tous cas bien loin de la rationalisation. Le symbole est a minima un pont entre différentes réalités, et jusque dans ses acceptions les plus simples relie toujours au moins l’idée, le sentiment et le corps.
Une fois en vie, beaucoup réalisent qu’il n’est plus besoin de trouver un sens à sa vie, et encore moins une raison de vivre.
Dans certains types de dépression, le sujet est englué dans son histoire comme dans une toile d’araignée paralysant son accès au désir. Dans ce cas, sa parole peut devenir auto anesthésiante et celle du psychothérapeute être vécue comme interdictrice. La parole n’est pas toujours l’objectif d’une thérapie. Surtout quand elle tombe dans ses écueils favoris : la moralisation, le dogmatisme, l’explication linéaire. Ou encore quand le dialogue, voire le bavardage, avec le thérapeute finissentt par remplacer le travail intrapsychique.
Des éléments culturels jouent aussi leur rôle dans cette mauvaise compréhension du sens. Par exemple, une certaine interprétation fataliste de la psychanalyse et de la psychothérapie qui rejoint les malédictions bibliques et la notion de destin. Nous rencontrons dans ces visions du psychisme une surdétermination de la causalité, identifiée à l’histoire de la personne, au détriment de son être au monde actuel. Cet écueil s’inscrit en parallèle avec une idéologie du lien familial, et en particulier du lien de sang, très contraignante en France. Elle accapare toute la question des racines et des origines, question pourtant beaucoup plus vaste.
Dépression et Répression émotionnelle
Notre pays a peur de l’émotion quand elle sort du cadre artistique, sportif ou télévisuel. Il faut la contrôler plutôt que de la laisser s’exprimer. C’est aussi à ce contrôle que servent les anti-dépresseurs. Et certains états dépressifs chronicisés pourraient plus clairement s’appeler états répressifs. Certes le premier pas est difficile. Mais quel soulagement de sangloter de chagrin, de hurler sa peur ou sa colère, de sauter de joie mais aussi de chanter, danser, vivre en liberté ! L’art, mais aussi les rituels collectifs autour du calendrier des fêtes, ont comme objectif cette libération émotionnelle, comme par exemple dans les anciens rites de Carnaval. Il est d’ailleurs intéressant de noter que dans une société où la consommation remplace en grande partie la célébration, les épisodes dépressifs augmentent justement de manière significative à Noël ou en février par exemple.
Le travail en thérapie de groupe permet souvent de recontacter cette dimension et constitue une aide précieuse dans le passage de la dépression à la régression positive, à condition que l'émotion ne soit pas récupérée au profit du groupe, mais laissée à disposition de l'individu pour nourrir sa créativité.
La dépression comme acte de résistance sociale
Au départ, l’épisode dépressif peut être un appel à faire le grand plongeon dans les profondeurs, à renoncer aux systèmes de défense socialisés mis en place à un coût psychique souvent exorbitant ; une injonction intérieure à quitter le temps linéaire de la rentabilité sociale et des obligations envahissantes pour entrer dans le temps de l’intime, celui qui permet de vivre un deuil, digérer une perte, métaboliser un changement de vie, accueillir un enfant, produire une œuvre d’art, prendre le temps d’aimer, se préparer à la mort. Ce temps-là n’a pas sa place dans notre calendrier social ; il est à peine respecté chez les nourrissons et leurs mères, très fortement remis en question chez les retraités ; et les autres, tous les autres, doivent se débrouiller pour le caser entre leurs cinq semaines de congés payés et la maladie. Le gouffre de notre sécurité sociale est le pendant direct du refus de notre société d’intégrer les rythmes naturels et organiques, les besoins psychologiques et intérieurs comme faisant partie intégrante de notre humanité. Pourtant, combien d’expériences ont été faites au sujet des rythmes des enfants, de l’importance de la sieste, ou de tout autre temps non immédiatement rentable, mais tellement plus à moyen terme ! Mais non. Le message politique, et celui du monde du travail, restent : toujours plus, toujours plus vite, jusqu’à la mort. Et nous voilà tels une armée de lemmings en route à toute vitesse vers notre suicide collectif. Ceci concernant surtout, comme d’habitude, les classes les moins favorisées, celles qui ne peuvent pas s’extraire de la pression des dominants, et qui n’ont pas les ressources des populations culturellement développées pour se mettre à l’écart de ce système anthropophage. Que reste-t-il alors à ces personnes ? La maladie, et si ça ne suffit pas, le suicide.
La dépression est une forme de réponse individuelle à la surpression collective.
Pour soigner la dépression ? Changeons la société.
Dépression et épuisement
Ne mettons pas la dépression à toutes les sauces. Une personne peut pleurer d’épuisement, hurler de stress et paniquer parce qu’elle n’arrive plus à dormir la nuit, alors qu’elle retrouvera les mêmes obligations professionnelles, familiales, administratives le lendemain matin. Pourquoi faut-il, dans notre monde, qu’elle en arrive à tomber malade, et qu’elle arrive à se faire diagnostiquer « dépressive » pour pouvoir reprendre des forces et réfléchir à ses priorités existentielles ?
Pourquoi tant de dépressions, de burn-out, de baby blues ?
Pourquoi si peu de reconnaissance du monde de l’intime, de ses besoins, de ses rythmes, de ce qu’il peut apporter comme richesse à la vie, en diminuant de manière spectaculaire le besoin de recourir aux drogues et aux objets de consommation ?
Une proposition thérapeutique pour la Dépression ?
Essayez le « régime nourrisson » :
Sommeil, nourriture saine, câlins, doudous.
Jeux, tendresse, peinture, pâte à modeler.
Pleurs, rires, terreurs et colères.
Animaux, arbres, fleurs et nature.
Musique, danse et chant.
Dormir, à nouveau. Rêver.
Temps pour soi. Temps à ne rien faire avec les autres.
Faire des ronds dans l’eau.
Regarder le fond de l’eau.
Plonger dans le vide, nager, en sentant un regard bienveillant qui prend soin de nous.
Revenir sur la rive.
Se rendre compte que comme cela, on a grandi. On est fort. On peut aussi, à son tour, prendre le risque d’avoir des bébés, et encore de nouveaux bébés.
Ces temps de retraite doivent pouvoir exister culturellement, et être reconnus dans leur richesse, pour pouvoir exister dans la vie quotidienne, quand il le faut, à chaque fois qu’il le faut, pour chacun d’entre nous.
C’est une vraie alternative à la société du travail qui domine le monde, au bénéfice de quelques uns, sans révolution, avec de moins en moins de contre-pouvoir, grâce à l’industrie des loisirs qui lui est asservie : le pain et les jeux, aujourd’hui comme hier.
6 juillet 2009