Un village français : d'hier ou d'aujourd'hui?
Voilà ce que c'est de ne pas avoir la télévision: j'ai failli passer à côté de cette série sur France 3, et cela aurait été dommage.
Premier épisode trois jours avant les élections européennes: volonté délibérée? Joies de l'inconscient collectif ?
Le lendemain, à J-2, c'était la diffusion de "Home", le film de Yann Arthus Bertrand.
"1940, vivre, c'est choisir", nous dit le slogan de la série. Il est bien sûr très tentant, et donc je n'y résiste pas, de dire:
"2009, vivre, c'est choisir".
La psychothérapeute que je suis peut trouver dans cette série des signes encourageants, et des questions intéressantes.
Le signe encourageant, c'est la complexité émotionnelle des personnages. Sortir, à une heure de grande écoute, du simple divertissement soporifique et néantigène (néologisme du dimanche matin: producteur de néant) qui est habituellement de règle, tend à montrer qu'il y a un public pour cela; ce qui c'est révélé exact, et même spectaculairement exact. Il y a donc des gens qui, après une journée de travail dans notre société telle qu'elle est, peuvent encore trouver la force de regarder un reflet nuancé de l'humanité, où les bons et les méchants sont moins immédiatement identifiables (un peu quand même, il ne faut pas exagérer) que dans les dessins animés de nos chères têtes brunes. Bravo! Ma qualité de vie, aujourd'hui assez exceptionnelle, me fait ressentir beaucoup de respect et d'admiration pour les personnes obligées de subir quotidiennement les pressions d'un travail en entreprise ou en institution.
Les questions intéressantes?
- l'approche décalée comme levier de la prise de conscience. Prenons d'abord le décalage historique: parler directement des défis actuels de notre société - la planète, l'éducation, la violence intime et sociale, les abus de pouvoir quotidiens dans le monde du travail, de l'institution ou de la famille, et j'en passe de nombreux - vous donne vite l'image d'une vieille radoteuse moralisatrice et frustrée. Ou alors d'une harpie militante, de celles qui étranglaient les hommes avec leurs soutiens-gorges dans les années 60. Bref, un personnage peu négociable socialement, et surtout très peu efficace actuellement en tant que moteur de changement. Par contre, le décalage historique, comme il nous permet de ne pas nous sentir directement interpellé, est moins agressif, tout en nous posant les mêmes questions. Il se marie avec le décalage propre à la fiction, ainsi qu'avec celui de l'image, pour nous chatouiller sans nous violenter. Yann Arthus Bertrand utilise lui le recul de l'hélicoptère pour un effet identique.
Dans notre métier, ce décalage est utilisé en permanence: anamnèse, enfant intérieur, rêves nocturnes et éveillés, jeux de rôle, ... Nous ne sommes pas là pour dire à la personne là où ça lui fait mal, même si elle le demande, et surtout pas pour lui dire quel médicament mettre sur sa blessure. Je sais, c'est très tentant, mais inutile à long terme. C'est en cela que l'approche médicale est profondément inadaptée à notre profession. Dans la même semaine, celle où j'avais accès à une télévision, j'ai regardé l'émission de Marcel Rufo le dimanche en fin d'après-midi. Monsieur très sympathique au demeurant. Au milieu des bons conseils qu'il prodiguait à une famille venue s'exposer à notre regard une deuxième fois, 6 mois après son premier passage, pour un bilan, ce qui m'a touchée c'est la toute petite voix de la mère de famille qui répétait: "mais ce qui m'a fait changer, c'est de me voir agir avec ma fille à la télévision". Décalage.
- la bascule: à quel moment le regard extérieur, social, le regard, non pas de l'autre, mais des autres, n'agit -il plus sur moi? A quel moment est-il remplacé par le regard intérieur, peut-être moins terrorisant, mais tellement plus exigeant? Je ne parle pas seulement ici de devenir militant. Ce n'est pas suffisant. Dans la série, un militant communiste prend des risques considérables, il n'en a pas fait pour autant ce passage. Simplement, le regard extérieur auquel il est soumis n'est pas le même que celui de ses compatriotes. Pour lui, c'est celui du Parti. Et la série montre bien comment il va basculer en douceur vers cet autre regard, celui de l'intime, grâce à ses relations proches: la mort de sa femme, la responsabilité de son fils, et la rencontre avec une autre femme. Et , petit à petit, son regart rigidifié par la peur de l'autre commence à s'ouvrir. Chez d'autres personnages, ce n'est pas de rigidité dont il est question, mais d'anonymat protecteur, ou d'avidité pulsionnelle. Tous ces regards qui bougent, qui s'ouvrent, se transforment, s'éclaircissent ou, au contraire, prennent de la densité grâce au contact de l'ombre, c'est beau. C'est humain. C'est aussi le quotidien de notre métier.
- l'imperfection toujours présente: même le gentil commissaire fait des gaffes, par exemple en conseillant à une femme juive d'aller se faire recenser. Ou en buvant trop. Ou en ne libérant pas le bon prisonnier. Bref, on ne peut même pas choisir un des personnages comme support d'identification définitive pour nos envies d'héroïsme. Ils sont trop humains. Donc imparfaits. Vous voyez où je veux en venir? Un psychothérapeute ne peut être parfait que si il ne dit rien, ne bouge pas, ne respire pas, et encore. Autant alors prendre un mort comme thérapeute, nous le faisons d'ailleurs à travers les personnages historiques, ou nos ancêtres disparus, et donc faciles à idéaliser. Un chemin plus facile.
Et bien sûr je me suis demandée, en regardant ces personnages, non pas comment j'aurais réagi à l'époque, mais comment, quotidiennement, je cède au compromis face aux allemands d'aujourd'hui, tellement plus subtils dans leur prise de pouvoir.
C'est terrible, ces petites lâchetés quotidiennes qui nourrissent la bête.
Perfection? Non. Humilité, sûrement. Vigilance? Plus présente.
Chaque jour plus présente.
Pour voir la série:
http://www.seies.net/unVillageFrancais/revoir.html