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Profession du père, de Sorj Chalandon, un livre bouleversant

par Marie-José Sibille

publié dans Des livres profonds ... comme une psychothérapie !

Profession du père, de Sorj Chalandon, un livre bouleversant

 

A la fin du premier chapitre, je l’ai lâchement abandonné ce petit garçon. J’ai décidé que je n’irais pas plus loin.

Dans une partie de ma vie j’écoute suffisamment d’histoires tristes, me disais-je pour me donner bonne conscience, ou plutôt la partie triste de belles histoires. Je n’ai pas envie de me faire encore du mal à regarder se faire massacrer un enfant sous la folie d’un père et l’impuissance d’une mère.

Parce que je les vois, bien mieux que si je regardais un film. C’est normal, c’est un livre.

Et puis je me suis dit qu’il y a un courant aujourd’hui, dont Jacqueline Sauvage et Sorj Chalandon font tous les deux parties, à des antipodes l’un de l’autre pourrait-on croire, mais pas tant que ça. Ce courant actuel, qui avait bien démarré dans les années 70 mais qui s’est tu ensuite pendant des décennies, veut que la violence faite aux femmes et aux enfants ne soit plus un secret d’alcôve, de famille, voire de quartier. De même que la violence faite aux hommes d’ailleurs. Alors, dans un élan d’héroïsme féministe, maternel et professionnel, j’ai repris le livre et je ne l’ai plus lâché.

La part autobiographique rajoute de la profondeur à la lecture, et l’autofiction permet d’éviter les écueils possibles du témoignage. Elle permet aussi de laisser la part belle à un somptueux travail d’écriture.

Le contexte des années 60 donne une couleur grise particulière au livre. L’auteur nous rappelle la guerre d’Algérie et ses conséquences loin d’être digérées, comme nous le montre l’actualité brutale des « ratonnades » d’un côté, mais aussi, de l’autre, la souffrance de l’exil qui marque encore les rapatriés et leur descendants, proche parfois dans ses manifestations d’un syndrome post-traumatique.

Un couple fou, car la mère est folle elle aussi, massacre l’enfance et l’adolescence d’un garçon qui survivra en les aimant toujours, comme le font la plupart du temps les enfants maltraités. Il réussira même à vivre, montrant la force toujours possible de la résilience, et celle de l’art aussi, qui en est une variante lumineuse. Avec une précision clinique, nous lisons comment une femme maltraitée peut devenir une mère incapable de protéger son petit, voire une mère qui reproduira sur son enfant, autrement, de manière subtile, les violences auxquelles elle ne peut se soustraire. Jusqu'à la fin subtilement terrifiante qui n'enlève rien à la résilience de l'auteur, sinon je n'aurai pas fait sa promotion.

Je n’ai eu aucun plaisir à lire ce livre, contrairement à certaines critiques que j’ai lues ailleurs et qui je l’avoue me semblent venir d’une autre planète.

Mais un sentiment d’urgence, oui. Et la certitude que si je le lâchais, l’enfant n’allait pas s’en tirer. Il fallait un témoin pour tenir le fil, pour qu’il puisse survivre jusqu’à l’âge adulte.

Et là, dans cet instant, c’était moi le témoin, peut-être avec des milliers d’autres mais peu m’importait.

Si vous l'achetez, et que vous habitez en ville, privilégiez les petites librairies SVP

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R
Comme toujours je me régale à la lecture de tes témoignages et récits. Merci de nourrir toutes ces zones d'empathie et de réflexion chez moi.<br /> ROSANE
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