J-3 COMME JEÛNE-3
J - 3 COMME JEÛNE - 3
Je pars faire un jeûne de sept jours et j’en tiendrais le journal quotidien, en commençant par les préliminaires. Le début, c’est d’abord de trouver le lieu et l’accompagnement, je ne me sens pas de me lancer seule pour une première de jeûne total. Ensuite il faut aller acheter du Sel d’Epsom à la pharmacie et subir une leçon de morale de la pharmacienne qui me demande si j’ai bien vu le docteur avant de me décider. J’ai sept ans et je dois prouver à la boulangère que Papa et Maman sont d’accord pour que je m’achète des bonbons. Terrible. C’est de ma faute, j’avais qu’à aller l’acheter à l’épicerie bio. Je lui dis que je suis une grande fille maintenant, elle ne le prend pas bien, mais me laisse quand même sortir sans appeler les autorités: je file l’air coupable avec mon sachet de 30 g de blanche planqué dans le sac avant qu’elle ne change d’avis. Il paraît que le Sel d’Epsom est un laxatif très puissant, je vous épargnerai les détails, et qu’il y a d’autres façons plus externes de préparer le corps à cette purification radicale que constitue la diète hydrique. Je vous dirais juste si c’est compatible ou non avec une vie de famille et une vie sociale, car je le prendrais la veille. Mais j’en doute.
Ma mère a commencé à faire des jeûnes dans les années 70, comme elle s’essayait à toutes les innovations de ces années créatives. Je me rappelle de plusieurs choses : d’abord qu’elle partait pour 21 jours, ensuite que son entourage y compris le plus proche la mettait en boîte avec ses lubies, et enfin qu’elle faisait ce jeûne annuel dans un cadre très strict sous l’autorité de naturopathes dogmatiques et intransigeants qui me feraient quant à moi fuir en courant.
Moi : je ne pars que sept jours, je suis très soutenue par mon environnement proche, et la seule autorité à laquelle j’obéirais sera la mienne, sans compter que je vais profiter d’un lieu superbe en bord de mer.
Bref ma mère était une héroïne. Mais il fallait bien ça à l’époque pour lancer cette démarche, j’imagine comment les générations d’après-guerre pouvaient réagir à un désir de jeûne volontaire. L’élan insufflé par toutes ces dynamiques, y compris le démarrage de l’écologie qui date aussi de ces années-là, s’est vite brisé d’ailleurs, dès le début des années 80 avec leur consumérisme boulimique. La gueule de bois généralisée que nous expérimentons, et la planète aussi, fait que le jeûne est à nouveau tendance. Cela fait des années que je souhaitais essayer, la simplicité actuelle proposée par certaines organisations m’a permis de me décider.
Un dernier mot sur les motivations: pas maigrir, surtout pas, ce n’est pas la bonne méthode. La santé en fait partie, mais l’allègement de vie est un moteur plus important. Dans la lignée de : je vide mes placards, je trie, je donne, je range, je mets de l’ordre dans mes notes … Je jeûne. L’envie de faire du vide, d’expérimenter le vide.
Manquer de vide, c’est le comble de la pathologie sociale actuelle, celle de nos pays occidentaux.
J’ai décidé d’en sortir. Depuis un moment déjà. C’est une étape de plus.