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malheureusement tout est vrai !

SAUVAGINES, Le livre que j’aurais aimé ne jamais finir...

par Claire Sibille

publié dans Fiction , Des livres profonds ... comme une psychothérapie ! , Malheureusement tout est vrai !

SAUVAGINES

De Gabrielle Filteau-Chiba

Le livre que j’aurais aimé ne jamais finir

Réflexions sur le rôle intime du roman

 

A quelques jours de la sortie de mon premier roman, j’ai envie de partager des lectures nourrissantes, exaltantes, de celles qui montrent que la fiction témoigne du monde pour en trouver le sens, et peut même changer le monde en racontant de nouvelles histoires. Ces romans engagés sur le plan social, écologique, féministe vont bien au-delà de la distraction, même si le plaisir de lire et de plonger dans la vie des personnages est intact. Ils ont pourtant quelque chose de plus. Ils nous transforment petit à petit, changent notre univers et notre vision du monde autant qu’un essai. J’alterne ainsi lecture d’essais et de romans, voire en lit un de chaque en même temps pour faire fonctionner les différentes parties de mon cerveau !

À l’essai, la réflexion profonde, l’analyse, la remise en question des acquis et des mémoires. Au roman, la force de l’imaginaire et le développement de nouvelles parts de moi par l’empathie. Les contes, les paraboles, la poésie font le même travail depuis la nuit des temps. Depuis l’enfance.

Ainsi agissent nos lectures, ainsi agit le roman.

C’est de cette transmutation empathique intime que je veux parler aujourd’hui, à travers Sauvagines, le dernier livre de l’auteure québécoise Gabrielle Filteau-Chiva.

Gabrielle, je suis tombée amoureuse de toi dès ton premier roman, Encabanée, dont j’ai fait état dans un précédent article. J’attendais avec impatience le nouveau, je n’ai pas été déçue. Encore plus profond, plus engagé, plus lumineux.

C’est la première fois que je tombe amoureuse d’une auteure. De personnages, souvent. D’un auteur, jamais. Un des leitmotivs habituels des enseignants en écriture est que l’auteur doit disparaître derrière ses personnages. Je ne le crois pas, je crois que tout est possible en littérature, y compris que l’auteur épaississe au contraire ses personnages de sa propre chair, de sa vie propre, ce que tu fais remarquablement. Peu importe que l’on appelle cela – ou pas –  de l’auto-fiction. Opposer la fiction à la réalité est un avatar de plus de la rupture qui caractérise notre mentalité dualiste et cartésienne. Surtout dans l’acceptation première du mot fiction, faisant référence à l’irréalité et même au mensonge.  La fiction rend parfois bien mieux compte du réel que la réalité brute des faits, des chiffres et des analyses. Pourquoi ? Parce qu’elle inclut l’émotion et, quand elle est aussi forte que dans Sauvagines, elle inclut aussi la sensation et le corps. Dans les livres de Gabrielle Filteau-Chiba, la langue québécoise sensuelle et imagée nourrit de sa saveur et de sa richesse une histoire parfaitement construite et des personnages motivants.

Dans Sauvagines, Gabrielle, tu décris la destruction monstrueuse et institutionnalisée de la Nature dans ton pays, le Québec, qui nous paraît souvent d’ici un pays intelligent, ayant beaucoup apporté sur le plan de la Psychologie et de l’Éducation par exemple. Et pourtant. D’autres voix nous parviennent à travers l’actualité ou le traitement infligé aux peuplades autochtones, dont tu te fais aussi l’écho. Il va falloir chercher ailleurs encore le Paradis perdu. Mais tu sembles l’avoir trouvé, en partie grâce à l’amour, en partie grâce à ta sauvagerie indomptable, en partie grâce à la Nature.

Dans Sauvagines, Gabrielle, tu parles aussi de la violence faite aux femmes en toute impunité malgré les discours évanescents d’hommes politiques hors sol, ou au pire concernés et se protégeant entre eux. En France, nous connaissons cela par cœur et par corps.

J’ai peur pour toi, Gabrielle. Là-bas, ces hommes doivent te haïr de mettre à jour leur avidité sans fin de carnage sanguinaire, cautionnée par l’État. Mais tu me donnes aussi le courage d’aller encore plus loin dans mes écrits.

J’ai peur pour toi Gabrielle, et j’espère que tu sauras garder ta cache secrète. Et te protéger, comme tu as su, malgré la violence, préserver la beauté du monde dans toutes les pages de ton livre. Ce livre que j’aurais aimé ne jamais finir, peut-être pour rester à tes côtés ?

« Chaudes peaux des gibiers d’eau, trophées de fourrure ornant lits d’amour et manteaux. Reines des contrées douces et salées, sauvagines, vous serez vengées. »

« Chaudes peaux des gibiers d’eau, trophées de fourrure ornant lits d’amour et manteaux. Reines des contrées douces et salées, sauvagines, vous serez vengées. »

Sauvagines : « Terme de chasse qui fait référence aux oiseaux sauvages. Mais la sauvagine, c’est aussi l’ensemble des peaux destinées à la traite des pelleteries, ou la dépouille des bêtes chassées pour leur fourrure. Ce qui reste, autrement dit ».

Sauvagines raconte l’histoire de Raphaëlle, agente de la protection de la faune au Québec.

« Je suis agente de protection de la faune, mais au fond je ne protège pas les chassés. Non, je suis un pion du gouvernement sur un échiquier trop grand pour moi…. En plus il faut que je sourie poliment à ces gens qui se pavanent saouls en quatre-roues ensanglantés de panaches, une once d’orgueil de vainqueur sorti vivant du bois dans le regard. Ils ont tué. Ils ont aimé ça. Ils ont soif de recommencer et d’une bonne Bud. Le svelte chasseur-pourvoyeur d’autrefois est devenu dans une très vaste mesure un collectionneur bedonnant. »

***

 « Je vois le lynx, dans son enclos de verre où les enfants cognent, déçus de le manquer, décidés à le réveiller. Oui, toi, le lynx (du zoo), tu ne peux pas t’imaginer que le Québec ait donné le feu vert au génocide de ton espèce, sans même avoir pris la peine de faire un inventaire faunique. Il y en a assez, qu’ils disent en haut dans les bureaux, sur leurs chaises à roulettes poussées par les lobbies… La violence institutionnalisée, je l’ai vue, de mes yeux vue. Vous, vous fermez les yeux, élites gouvernementales, comme sur les femmes autochtones assassinées et disparues. (…). Je suis enchaînée à la conviction que je ne peux plus prendre part à la mascarade la conscience tranquille. »

 

***

 

« Je me détends, rêvasse quelques instants à un pays utopique, un Québec libre où l’on pourrait faire les choses autrement – la fourrure resterait sur le dos des animaux. Sur les neiges miroiteraient le roux du renard, le noir du vison, l’indescriptible grix-roux du coyote. J’espère au plus creux de moi-même qu’un jour, l’homme n’ait plus besoin de détruire la vie pour assurer la sienne, ni de se procurer la peau des autres pour se remplir les poches, ni de dominer quiconque pour se sentir fort. Et ce souhait s’applique aussi à moi. »

 

***

 

 

 

Chez votre libraire indépendant : www.placedeslibraires.fr

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Panthère des Neiges, Botox et Hommes Gelés

par Claire Sibille

publié dans Cette société - c'est la notre ! , Malheureusement tout est vrai ! , Heureusement il y a des gentils ... , Ecothérapie

Panthère des Neiges, Botox et Hommes Gelés

Ou pourquoi l’absence d’empathie rend idiot (sic) même le plus cultivé des hommes

 

Le philosophe Renaud Garcia[1] explique de manière limpide dans un dossier sur l’importance de la littérature, comment l’actualité est devenue « close sur elle-même ». Face à ce qu’il nomme « l’emballement sanitaire de la société de contrainte », la réponse de beaucoup est « on s’y est habitué, vous savez, on s’habitue à tout ». Et il rajoute : « une fois que l’on s’est habitué, c’est-à-dire une fois que l’on s’est démis de son instinct de résistance ou de révolte, le présent se congèle ». Je ne suis pas d’accord avec son analyse peu empathique des raisons qui poussent la majorité à se conduire ainsi. Il cite la paresse, la lâcheté et l’intérêt en oubliant la peur, en particulier de la mort, et le sentiment de fragilité, de soi ou des personnes que l’on aime. En oubliant aussi le besoin de croire en une réponse simple face à la complexité d’une crise, ce besoin de croire qui permet de trouver du sens en acceptant l’explication qui nous est donnée par les « plus grands » que nous.

Vous l’avez compris, tout cela s’enracine dans les mécanismes de survie du petit enfant, et nous ne pouvons nous en affranchir, au moins partiellement, que si nous avons construit une sécurité intérieure suffisante, grâce à notre éducation et à notre parcours de résilience.

Cette sensation de gel me parle beaucoup, que ce soit dans l’actualité, dans les relations humaines ou dans la perception du temps historique.

Je l’ai expérimentée la semaine dernière où je disposais exceptionnellement d’un Pass Sanitaire. J’ai eu alors envie de retourner voir ce que le reste de la société était devenu. Je veux dire par là la société, en particulier de loisirs, qui m’est devenue interdite ou difficilement accessible depuis quelques temps. Une grande tentation était d’aller voir La Panthère des Neiges de Sylvain Tesson et Vincent Munier.

Arrivée au cinéma, un petit cinéma, sans aucune foule menaçante de celles que je peux trouver au supermarché du coin où j’ai encore le droit de faire mes courses, il n’y avait personne. Le jeune homme de la caisse, cheveux courts et muscles trahissant la fréquentation assidue d’une de ces salles de sports très tendance qui remplacent en ville la coupe du bois mort et la marche, nous demande tout de suite nos pass, avant même un bonjour. Je sors mes feuilles imprimées et ça ne va pas ! L’impression est trop grande, la taille n’est pas aux normes, mon imprimante n’est pas adaptée… Il regarde en détail le document et m’accuse de lui fournir un pass périmé ; je lui montre la date, il ne s’excuse pas ; je propose mon téléphone il n’en veut pas ; je propose de m’en aller et là, deux personnes venant d’arriver, il me fait un signe du bras sans me regardez, allez ça va pour cette fois, mais s’il y a un problème c’est pour vous. C’est vrai qu’une escouade de policiers a pénétré récemment dans un cinéma en plein film. Le cinéma en question a choisi de fermer après cet événement hallucinant. J’ai vécu deux autres expériences strictement identiques dans la même journée. Dans deux cas sur trois, dont le jeune homme du cinéma, l’attitude à laquelle j’ai eu droit est ce que l’on appelle en psychologie l’attitude « passive-agressive ». C’est la posture d’un être coincé entre deux feux et ne pouvant se positionner pour des tas de raisons différentes. Cela peut concerner des personnes qui auraient envie de me mettre au rebut social à cause de mes choix mais qui n’osent pas encore, comme, à l’autre extrémité, celles qui se sentent obligées de faire ce qu’elles font et qui en font payer le prix aux personnes qu’elles contrôlent. Dans le troisième cas, malheureusement celui d’une médiathèque, il s’agissait de quelqu’un qui jouissait visiblement de ce pouvoir nouveau qui lui était accordé, et qui assumait totalement son rôle de policier sans insigne.

Je précise que je connais celles et ceux qui résistent et s’expriment dans leurs domaines respectifs, y compris les artistes, les restaurateurs et les bibliothèques.

Mais pour le quotidien, j’ai constaté que le monde que je connaissais a bien changé.

Il a effectué un bond en arrière.

Juste avant, mon compagnon me faisait part d’un livre écrit par Sebastien Bohler, le rédacteur en chef de Cerveau et Psycho, « Où est le sens », qui fait suite à un livre indispensable pour comprendre le monde d’aujourd’hui, « Le bug humain », dont je reparlerais. Il me décrivait l’importance que je connais bien des neurones miroirs dans le développement de l’empathie comme dans les processus d’apprentissage. Il m’expliquait que ces neurones permettent de mettre en marche des milliers de petits nerfs et muscles faciaux qui nous aident par la reproduction à comprendre ce que ressent non seulement notre interlocuteur, mais jusqu’aux personnages des romans que nous lisons. Cela a un effet immense sur notre potentiel de maturité et d’intelligence émotionnelle. Or, c’est là qu’il m’a appris quelque chose de nouveau, le Botox, en figeant tous ces micro-muscles, enlève les rides et les signes de l’âge, mais empêche aussi la mise au point sur le visage de l’autre… et diminue fortement l’empathie et l’intelligence émotionnelle. Donc aussi la solidarité et le besoin de coopération.

Pour citer l’auteur : « Privés de ces aides émotionnelles, notre paysage affectif se désertifie et nous devenons des infirmes émotionnels. La beauté botoxée rend idiot… ». Peut-être que le Botox s’est répandu brutalement dans notre société ? Et a gelé une partie de l’humanité.

Personne ne pourra passer à côté de l’analogie avec le port du masque. Une jeune maman me racontait que son petit, laissé à la crèche, a fondu en larmes quand une des puéricultrices a ôté son masque devant lui, sûrement pour une minute de respiration. Il n’avait pas l’habitude de voir le visage de personnes autres que ses proches. Le masque empêche le mimétisme des micro-expressions, par lequel se construit l’être humain, du tout-petit jusqu’à l’adulte.

Si, comme l’ont développé des auteurs aussi remarquables que Franz de Vaal et Boris Cyrulnik, le développement de l’empathie est la clé du changement de paradigme mondial que nous devons effectuer, alors nous avons du souci à nous faire.

Ce changement de paradigme est pourtant indispensable pour tenter encore de préserver le monde du film « La Panthère des neiges », car il change à toute allure. Ce film est une merveille à voir absolument, avec mouchoir(s) à portée de mains en fonction de votre sensibilité aux micro-expressions... J’avais l’impression, comme le dit l’auteur lui-même, d’être passé par une fenêtre qui me donnait accès à un autre monde. Un monde qui se retire parfois très bruyamment à coups de catastrophes « naturelles », parfois sans bruit, comme les animaux qui disparaissent sur la pointe des pieds en réduisant drastiquement notre biodiversité. Les dégradations catastrophiques et quotidiennes de la planète nous sont transmises tous les jours par les scientifiques et les militants écolos, dans le silence quasi absolu des médias classiques et des gens qui nous gouvernent.

Trop peu de gens continuent à trouver cela fondamental, vous comprendrez pourquoi si vous prenez la peine de regarder la mini-vidéo que je vous partage. J’ai cherché la plus courte (quelques minutes), la plus claire et la plus scientifique mais l’humour de Blanche Gardin aide malgré tout. Sinon contentez-vous de regarder les deux images que j’ai tirées de la vidéo, montrant l’effondrement de la biodiversité dans les océans, en notant bien que la deuxième date déjà… de l’an 2000 ! Cela suffit.

J’ai beaucoup pleuré pendant le film, je fais partie de ces gens-là, ceux qui pleurent ou rient pour un oui pour un non. Et là c’est un sacré NON que nos dirigeants assènent à la planète.

  • Je t’amène au Tibet trouver une bête que je poursuis depuis 6 ans, dit Vincent Munier à Sylvain Tesson. La Panthère des neiges. Une ombre magique !
  • Je pensais qu’elle avait disparu.
  • C’est ce qu’elle fait croire…

Le lendemain du film, j’ai vécu une journée très douloureuse. Une de ces journées que certains psys dans mon genre décrivent depuis un moment. Solastalgie[2], perte de sens, grande tristesse … Je voulais faire comme la panthère, faire croire que j’avais disparu.

Mais dès le lendemain ma « vraie vie » m’est redevenue consciente, nourrie de chaleur humaine et de solidarité, de gens qui malgré les insultes lisent et pensent, regardent et réfléchissent, rient et pleurent aussi. Une vie où la créativité, l’expression, la nature, les liens intimes et une profession pleine de sens ne peuvent que m’inspirer de la gratitude.

Alors j’ai traversé cette sombre journée comme un passage dans la montagne.

Et, en remontant seule le chemin qui mène à ma maison dans la nuit noire, j’ai constaté que plus aucun fantôme ne marchait à mes côtés.

Je ne voyais que les étoiles.

 

 

 

[1] Dans la Décroissance, décembre-janvier 2022. Renaud Garcia est un docteur en philosophie, professeur de lycée, engagé politiquement sur la décroissance.

 

[2] La solastalgie ou éco-anxiété est une forme de souffrance et de détresse psychique ou existentielle causée par exemple par les changements environnementaux passés, actuels et attendus1, en particulier concernant le réchauffement climatique et la biodiversité. Wikipédia.

 

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Film (et livre) : La Panthère des Neiges

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