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LES ETATS D’AME DE LA PETITE SOURIS

par Marie-José SIBILLE

publié dans Le quotidien - c'est pas banal ...

SourisQuelques variations supplémentaires sur le thème  (récurrent) du martyr quotidien des parents de famille nombreuse

 

Dans ce beau matin où la nature se prépare à accueillir le printemps, ce matin où vous vous demandez si vous allez disparaître dans une explosion nucléaire ou succomber sous les griffes d’un tyran fou furieux, pour peu que les tremblements de terre, tsunami, et autres inondations vous aient épargnés, se préoccuper des états d’âme de la petite souris peut paraître bien futile.

Mais il se trouve que c’est ce qui me permet encore et toujours de croire en l’humanité.

Or donc.

Si vous avez ou avez eu comme c’est mon cas trois enfants d’âges à peu près similaires, vous devez faire face régulièrement à l’évènement  suivant : LA PERTE DES DENTS DE LAIT.

Perdre une dent est un mini trauma pour l’enfant. Je me rappelle encore - peut-être vous aussi - de la sensation à la fois plaisante et insupportable de la dent qui bouge et du moment tragique où tout bascule : la dent est tombée. Dans les temps préhistoriques où j’étais enfant, les parents bienveillants qui étaient les miens essayaient de raccourcir l’agréable supplice en attachant un fil à la dent, puis en reliant ce fil à une poignée de porte : « ferme les yeux et serre les poings » me disait mon père ; la porte claquait alors, et la dent tombait. Grandir est une histoire de  portes qui claquent plus ou moins fort.

Perdre une dent de lait, c’est grandir un tout petit peu, c’est continuer à se séparer de l’enfance, c’est perdre un bout de soi, c’est difficile. Il faut donc être sûr que cette perte annonce un gain futur, et d’un futur pas trop lointain : d’où la petite souris, chargée de rétablir l’équilibre par une pièce de monnaie.

Première difficulté pour les parents vivant à la campagne : avoir sous la main la pièce de 2 euros qu’il faudra mettre le soir sous l’oreiller en échange de la dent.

Vingt dents de lait à remplacer par enfant = 60 pièces de deux euros.
Savez-vous que plus personne ne veut faire de monnaie ? Il y a encore quelques années, j’allais à la banque ou à la poste échanger quelques billets contre des rouleaux de pièces. Cela n’existe plus. Pourquoi ? Aucune explication n’a été donnée sur un de ces multiples changements sociaux des dix dernières années. Je ne sais plus où faire de la monnaie, alors que d’autres croulent sous les milliers de petites pièces en cuivre dont ils ne savent pas quoi faire, il y a même des machines qui ont été créées pour les recycler en bons d’achats, et l’opération caritative « pièces jaunes » explose depuis le passage à l’euro. Nous avons un problème collectif d’écoulement des liquides semble-t-il.

La dernière fois, un vendredi soir, j’ai dû raconter à mes enfants - qui ne sont pas dupes - que la petite souris était partie en week-end : après tout elle y a droit elle aussi, profitons-en pour faire un cours d’éducation à la citoyenneté. Car impossible de trouver une pièce de deux euros, à moins de puiser dans la tirelire des enfants, ce qui aurait frôlé la perversion, mais j’y ai quand même pensé en désespoir de cause.

Trois enfants, ce sont des dents qui tombent à tour de bras, d’autres qui poussent on ne sait pas trop comment dans des positions et des lieux bizarres ; mes enfants se mettent à ressembler à des vampires, à des lapins, à des pianos dont il manquerait des touches …

Il y a aussi le problème des horaires de travail de la petite souris : tout va bien avec les enfants qui tombent dans le sommeil la tête à peine posée sur l’oreiller (mon fils). Mais pour celles (mes filles) qui « papotent » jusqu’à point d’heure, c’est dur.

Hier encore, la petite souris est montée à pas de loup croyant enfin tomber sur des enfants endormis, ayant elle-même usée de tous les artifices possibles pour rester éveillée. Silence. Tout va bien. La petite souris se prend les pieds dans une construction en lego, trois peluches, quatre poupées, deux fusées et trois voitures, mais elle arrive à chaque fois à se rétablir au dernier moment, dans l’obscurité profonde heureusement éclairée par un bienvenu rayon de lune. De deux lits sur trois, mais pas les bons, émanent de doux ronflements témoignant d’un sommeil juste et empli de beaux rêves. La petite souris arrive enfin au bon lit. Un œil s’ouvre : « je savais bien maman, me dit une petite voix amusée, que c’était toi la petite souris (ou papa d’ailleurs, plus souvent). Mais c’est pas grave, je suis sûre que la petite souris était malade et elle t’a chargée de la remplacer ». Et oui, me voilà travailleuse intérimaire remplaçante de petite souris.

Bien sûr, je pourrais maintenant donner une pièce à chaque perte de dent et décréter la mort de la petite souris, c’est en mon pouvoir de parent, et mes enfants ont dépassé l’âge de raison. Mais ce jeu permanent entre l’imaginaire et la réalité est un des grands trésors de l’enfance, un de ceux qu’il est si dur de garder. L’adulte fuit dans l’imaginaire, ainsi réduit au virtuel, ou fuit dans le réel, ainsi réduit au matérialisme ; il a souvent perdu la clé du pont entre les mondes.

Alors la petite souris et ses états d’âme continueront de nourrir nos conversations familiales encore un moment.

Ça n’empêche pas de penser à la menace nucléaire et à la folie des tyrans.

Si ?

 

 

 

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Commenter cet article
A
<br /> Non, non, ça n'empêche pas !<br /> merci pour ces partages qui font, qui ont fait ou qui feront notre quotidien et que, pour ma part, je partage avec des patients ou des amis.<br /> À Noël, 1,2,3 Hypervitesse fut un grand moment de transmission de pédagogie réfléchie, intelligente et toute simple. Merci, Marie-José<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Le sentiment de partage est réciproque, ce qui est plutôt bien pour du partage!<br /> <br /> <br /> <br />