Comment les toilettes sèches ont changé ma vision du monde ... et ma manière de pratiquer la psychothérapie.
eauvivante.net
Il y a un an, pendant l’hiver 2012, nous sommes passés aux toilettes sèches.
Je n’en pouvais tout simplement plus de mettre des litres d’eau potable pour « ça » alors que des petits enfants lapent l’eau des flaques en Afrique, chacun ses limites. Et la récupération d’eau de pluie n’était pas simple à installer dans ce (petit) coin-là.
Alors nous avons franchi le pas, après préparation psychologique approfondie. D’abord de mon compagnon qui anticipait les désagréments pratiques, mais s’est vite rallié à la cause ; ensuite des enfants qui ne sont pas encore vraiment en paix avec les excrétions de leur corps, normal à leur âge, ainsi qu’avec des choses aussi banales que le regard des copains – copines invités à la maison.
Il a donc fallu transformer la honte en fierté, chemin classique de résilience des individus et des groupes : nous n’étions pas des paysans du moyen-âge ou des rebus de la société hors confort, nous n’étions pas des écolos archaïques et totalitaires voulant retourner dans les cavernes et lire à la bougie, mais des révolutionnaires et des résistants conscients des enjeux écologiques et de la survie de la planète. Ainsi donc, après m’avoir fait confirmer cent cinquante fois que je n’allais pas changer d’avis dans les trois mois, mon mari a résolument coupé le tuyau d’arrivée d’eau, enlevé le bloc sanitaires, et bâti d’adorables petites toilettes sèches en bois. Nous avons investi également dans un seau en inox et une petite pelle pour ramasser les copeaux de bois. Il y a eu des bons moments, comme d’aller à la scierie remplir des sacs et de voir cette abondance inutile et gratuite que nous allions pouvoir valoriser.
Et nous avons ainsi mis en place le changement, qui s’est révélé être une vraie transformation intérieure.
Première conséquence : toutes les mauvaises odeurs ont disparu. Absorbées par la sciure.
Deuxième conséquence : 125 euros d’économie d’eau potable en 2012.
Troisième conséquence : Plus de fosse septique à vidanger, et à entretenir avec des produits coûteux pour qu’elle ne dégage pas d’odeurs. Avec la fosse septique, a aussi disparu ce sentiment inconfortable de dormir à côté d'un vide sanitaire rempli d’eau stagnante et « boueuse ». L’équivalent pour les citadins sont les égouts, et l’impression que j’imagine détestable, que j’essaie d’oublier quand je dors en ville, de polluer les océans avec des matières non transformées. Comment est-ce possible de vivre avec cette pensée ? Je pense qu’en fait, les citadins oublient d’y penser …
Quatrième conséquence, celle qui me décide à écrire cet article aujourd’hui et non pas il y a un an : le bonheur que je retire de notre tas de compost numéro un. Je vais le voir tous les jours tellement ça me fait du bien, même si il n’a pas besoin de moi. Pour ceux qui ne sont pas trop au fait de cette pratique, sachez que le contenu quotidien du seau est déversé (il y a des systèmes plus pratiques mais nous on n’en est encore à cette maintenance-là) dans un bac de compostage, ou, mélangé à quelques déchets du jardin, de la paille usagée, du papier journal et du carton, il se transforme petit à petit. Cela prend deux ans pour qu’il soit « mûr ». Au bout de quatre mois, notre premier compost est déjà un bonheur à regarder, à touiller, à sentir vivre. Il a un aspect de belle terre noire, et ce sera de mieux en mieux. Des tas de petits animaux l’ont colonisé : vers de terre, cloportes, fourmis, iules, scolopendres, … des petites merveilles du bon dieu et de la nature qui mastiquent, digèrent, courent avec leurs petites pattes, transforment, partagent, … je les aime ! Et puis il y a les champignons : les premiers ont été un choc, je ne m’y attendais pas. Des sortes de lépiotes, des grappes de petits champignons caoutchouteux et noirs pleins de vie. Toujours aucune odeur si ce n’est celle de plus en plus prononcée de terreau. Et la chaleur ! Impressionnant. Notre compost fume. Je sais qu’en son cœur il fait 70 degrés. Je le remue tendrement avec mon remueur de compost.
Je me sens être une bonne remueuse de compost. Je me sens à ma place.
Avant j’étais une névrosée banale et psychanalytique, qui pensait qu’une partie de moi était « mauvaise », un « déchet », qu’il fallait « évacuer ». Cette partie honteuse était en plus une pollution pour la nature, et un poids pour la collectivité et le service public.
Maintenant je suis une personne intégrée qui réutilise ses déchets dans un cycle de vie et de mort très efficace. Ce processus non seulement ne coûte rien à personne, mais il apporte en plus de l’engrais à la nature et de la nourriture aux petites bêtes.
Je ne vous le cache pas, mon sentiment est proche de l’exaltation.
Et si la psychothérapie intégrative que je pratique en avait bénéficié ? Plus de traumas honteux qu’il faut oublier et cacher, plus de mauvaises humeurs, d’émotions négatives, de déchets relationnels : tout dans le bac à compost ! On remue, ça chauffe, et ça produit deux ans plus tard une belle terre noire qui nourrit les plantes, et même les légumes.
Ça doit être proche de la résilience cette idée-là, mais les toilettes sèches, c’est plus facile à comprendre !