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le quotidien - c'est pas banal ...

Voir le monstre et sourire

par Marie-José SIBILLE

publié dans Le quotidien - c'est pas banal ...

 « Tout en rongeant les corps, comme un rat consciencieux,

la pensée avide grignote le passionnel, l’excès, l’imaginaire.

Jusqu’où ? »

Isabelle Sorente. « Le cœur de l’ogre ». JC Lattès. 2003. 

 

 

Je n’en finis pas d’interroger en moi, chez l’autre, dans l’Art et l’actualité, bref dans le monde, l’infernale triade bourreau – victime – sauveur.

A force de la malaxer dans tous les sens, peut-être en sortira-t-il un pain comestible ?

La Nature a résolu partiellement le problème en inventant la chaîne alimentaire. Jusqu’au ver de terre qui nous bouffera tous par la racine, on est tous le bourreau de quelqu’un. Jusqu’au même ver de terre gigotant dans le bec d’un oiseau, on est tous la victime de quelqu’un.

Mais la Nature a calé sur le sauveur. C’est peut-être là alors que le bât blesse chez l’homme. Qu’il soit juge, médecin, thérapeute, éducateur ou prêtre, celui qui fait voeu d’interférer avec la souffrance du monde prend tous les risques, y compris celui du ridicule.  

Chacun a sa recette pour aider l’autre, changer la société, sauver le monde. Même les vampires de l’économie de marché pensent agir pour le bien social. Ils sont rares ceux qui assument simplement d’être des criminels.

Et nous alors ? Quelques grammes de militance politique, trois pincées de psychothérapie, une once de développement personnel, le tout saupoudré d’un nuage de spiritualité, à consommer sans modération jusqu’au gavage et à l’écoeurement.

Si la politique changeait le monde, cela se saurait depuis tant de Grands Soirs se terminant en gueules de bois, et tant d’Aubes Glorieuses échouant au crépuscule des dieux.

Mais la politique reste indispensable à la vie commune.

Si la psychothérapie et le développement personnel changeaient le monde, cela se saurait car il y aurait moins de luttes de chapelles, d’écoles et de méthodes, moins d’avidité pour conquérir le « marché » (sic) à travers des pubs agressives et bêtes, moins de luttes de pouvoir entre confrères.

Mais une psychothérapie qui va loin dans la souffrance, les ombres et les avidités, peut amener des transformations radicales dans le cœur de l’homme.

Si la spiritualité changeait le monde, cela se saurait mais la Saint Barthélemy n’est jamais finie, beaucoup de méditants rejoignent un nirvana vaporeux, et Dieu, malgré tout ce qu’il a déjà raconté aux prophètes et aux fous, n’a toujours pas dit son dernier mot.

Mais sentir « la présence », vivre la joie de l’âme, plonger dans les eaux calmes et profondes du lac intérieur, reste une des expériences humaines les plus abouties.

Et l’Art encore, la philosophie, les sciences.

Et l'amour.
Alors quoi ?

Toutes les tentatives désespérées de l’homme pour ne pas être heureux finissent par aboutir. C’est le monde tel qu’il est. Depuis Epicure et Marc-Aurèle au moins, la confusion règne entre l’accès au bonheur et la quête de la jouissance totale, cette avidité de vivre, si belle à voir chez l’enfant où elle est célébration du monde, et pour laquelle l’âge adulte invente le terrorisme, la torture, la pornographie, la destructivité, comme médias acceptables.

Alors chacun fait sa cuisine, un peu de ci, un peu de ça, en fonction de sa nature et des âges de la vie. Et c’est très bien comme ça. Dans le monde tel qu’il est, tout est utile, et rien n’est absolu. Tout se résout, s’il faut résoudre quelque chose, dans l’expérience intime. Et puis un jour ces combats finissent par nous fatiguer jusqu’à peut-être accepter l’évidence : le bonheur est le propre de l’homme. C’est mon plat préféré, très long à cuire, salé-sucré et doux-amer, à consommer avec délectation.

Certes il en faut du temps pour accepter le regard chaud du compagnon, l’éclat de rire de l’enfant, la jouissance des embruns de la mer sur le visage, la passion créatrice.

Mais quand cela vient, l’autre n’est plus un combat, même s’il reste un mystère.
Quand cela vient, même furtivement, j’arrête d’être cet ennemi qui croit combler son avidité d’être dans la destruction de lui-même et de l’autre.
Quand ce moment vient, voici l’ogre condamné à la diète, la victime déclouée de sa croix, le sauveur expédié au chômage.

 

 

 

 

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J'en ai marre de mes chiens

par SIBILLE MARIE-JOSE

publié dans Le quotidien - c'est pas banal ...

Et même je les déteste.
Je commence par Djak, le fils, c'est un gros monstre blanc de 2 ans. Quand il se couche avec la tête entre ses pattes, en regardant le monde avec cette attention flottante qui nécessite des années d'entraînement pour les psychothérapeutes, il ressemble au dragon du film "Une histoire sans fin".
Si vous n'avez pas vu "Une histoire sans fin", c'est que:
- vous n'avez pas d'enfant
ou
- vous n'avez jamais été un enfant
ou
- vous avez tout oublié de l'enfance, y compris celle de vos enfants
Bref, c'est grave, je vous recommande de suivre une psychothérapie.

Revenons à Djak: quand on a craqué pour le garder, il mesurait 30 cm, et le choix s'est fait parce que, contrairement à ses frères et soeurs, il avait une queue sans poil qui ressemblait à une queue de rat. Et puis il ne voulait pas quitter la maison. Chaque fois qu'un nouvel acquéreur venait voir la portée, tous les petits leur faisaient la fête, sauf Djak qui partait, la queue de rat entre les jambes, se cacher dans la niche.
Après de multiples négociations paritaires du style, "tu crois pas qu'on en a assez, des chiens", suivies de, "oui, mais c'est tellement bien pour les enfants", nous l'avons gardé.
Maintenant il avoisine les 60 kg, comme son père, et consomme un poids effrayant de croquettes pour chiens chaque jour (dont il paraît qu'elles sont de meilleure qualité que les produits premier prix pour homme dans les supermarchés, il y a un livre qui vient de sortir là-dessus, Vive la Malbouffe).
Dans son interminable crise d'adolescence, il a consommé une trentaine de paires de chaussures, récupérées dans le lointain voisinage, ce qui nous a permis de créer des liens sympathiques avec la communauté villageoise. Si, c'est vrai, le monde n'est pas uniquement rempli de râleurs agressifs et mauvais coucheurs.

Il a également réussi à me dégoûter temporairement de toute forme de jardinage, pour éviter la dépression vertigineuse qui suivait la découverte de mes jolies fleurs mâchouillées et éparpillées, ainsi que les chutes brutales dans les gouffres creusés au milieu des plates-bandes. Il nous a fait aussi renoncer au vieux rêve de l'oeuf tout frais pondu au petit déjeuner. La chance, c'est que la dernière poule avec laquelle il s'est amusé, sans méchanceté bien sûr, nous avons pu la retrouver, elle, et l'achever avant de la manger. Depuis ce dernier drame familial, nous avons renoncé - temporairement - aux poules.
Ce matin, un improbable dinosaure jaune et vert gît, déchiqueté, le ventre en l'air au milieu du pré.
Méditation sur l'impermanence de toute chose, surtout celles en plastique made in China, dont je vous passe la profondeur exaspérante.
Leçon de morale citoyenne à mes enfants au petit déjeuner,  dont je vous passe également la lourdeur, uniquement supportable par des petits enfants en train d'écouter papa et maman. C'est ce que j'aimerais croire en tous cas, même si la vie quotidienne montre d'autre réalités.
Mais Djak supporte sans aboiement dire notre manque de disponibilité, tous les jeux des enfants, il protège la maison des méchants et accueille les gentils avec un enthousiasme toujours débordant. Il nourrit la meilleure part de nous-mêmes en nous faisant croire qu'il est heureux avec nous, tout imparfaits que nous soyons.
C'est pour cela que je les aime, mes chiens, même si je me sens coupable chaque fois que je les regarde. Ils n'y sont pour rien.
Il y a la mère Lila  qui est morte l'hiver dernier, toute seule dans son coin pour ne pas déranger. Une sainte.
Et puis il y a Lug, le père. Qui vieillit. Il ressemble lui aussi au fameux dragon, mais un qui aurait mille ans de plus. Il a des rhumatismes, et il n'aime plus autant courir après les chevreuils. Il est sans danger pour les poules, les dinosaures verts et jaunes, les chaussures et les fleurs. C'est un grand traumatisé : quand il était tout petit, il a tellement paniqué la nuit du 14 juillet, qu'il est parti dans la forêt et s'est perdu. Ce traumatisme primaire a été renforcé un mois et demi après quand l'ouverture de la chasse a déversé autour de notre fief des hordes de barbares déchargeant leur fusil sur tout ce qui bougeait.
Depuis, le moindre orage le transforme en petite chose affolée. Mais la petite chose a des ongles de plusieurs centimètres, capables de creuser un trou dans une porte de chêne.
Quand l'orage gronde et que ma fille me regarde avec ses yeux, en me demandant: "dis maman, pourquoi on ne peut pas le faire rentrer dans la véranda au moins? ", je reste fermement établie dans mon NON (bien sûr après avoir expérimenté les conséquences du oui un certain nombre de fois).
Mais je me demande, quand je serai vieille et que j'aurais peur de l'orage, est-ce qu'elle me laissera moi aussi, dormir dans la niche ?


MJS

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