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la psychotherapie - de quoi ca parle

La part du lion (1)

par Marie-José SIBILLE

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

 

Traumas et traumatismes dans la construction du soi

 

La part du lion, c’est cette part de soi, démesurée, que nous devons laisser  dans la gueule des prédateurs pour gagner le droit à l’existence, quand nous sommes victimes de traumas dans l’enfance.

Mais c’est aussi la part de soi, démesurée, que nous consacrons à contenir cette blessure, cet abîme. C’est cette part de soi qui, si nous pouvons nous la réapproprier, devient source d’autant de créativité qu’elle a été vectrice de souffrance.

Sentez-vous la morsure du lion ? Imaginez la déchirure,  les crocs avides qui lion_012.jpgvous fouaillent le ventre ou le cœur. Rien ne vient ? Vous faites partie des bienheureux qui ne vivent pas dans la savane. Peut-être alors la part de la panthère noire, ou celle de l’aigle, ou celle de l’ours polaire, vous conviendra mieux. Voir même celle de la fouine, si petite à côté du lion, mais qui peut détruire un poulailler à elle toute seule. Je ne crois pas aux vies sans blessures, mais je crois aux fauves en cage. Le déni, l’amnésie protectrice, la réécriture de l’histoire, le silence, autant de barreaux qui tiennent le fauve enfermé. Mais il est là, toujours avide, toujours sauvage, de plus en plus enragé.

Dévoiler ces blessures du psychisme que sont les traumatismes peut alors sembler aussi suicidaire que d’ouvrir la cage aux fauves. Ils sont nombreux ceux qui prônent le silence et l’oubli, ceux qui pensent qu’il vaut mieux taire les secrets, nier la souffrance, faire comme si. Ils sont nombreux ceux qui détournent le regard, changent de sujet de conversation, évoquent la pluie et le beau temps, ceux qui sourient pour ne pas pleurer, ceux qui se mettent en colère pour ne pas entendre. Ils sont nombreux les impuissants, les fatalistes, les anciennes victimes qui ont tout donné au lion. Et leurs arguments peuvent s’entendre. Les images insoutenables, les émotions brutales, les sensations paralysantes risquent de s’engouffrer par la porte ouverte, avides de liberté, de destruction ; d’autant plus affamées qu’elles auront été longtemps enfermées. C’est la force du traumatisme, le temps ne l’apaise pas, il peut revenir à l’identique quel que soit le moment. Car parfois la porte de la cage s’ouvre toute seule, hors de notre contrôle, à cause de l’âge, d’une maladie qui fragilise, d’un décès qui confronte à la fin, d’un évènement qui fait écho, d’une rencontre qui stimule des images oubliées.

Nous pouvons donc entendre de ces gardiens du temple, de ces taiseurs de secrets, que le travail thérapeutique avec les traumatismes demande de la prudence.

Le poison mortel et le médicament qui sauve sont extraits de la même plante ; de même la résilience - transformation positive du traumatisme en force de vie et de création - est en permanent contact avec la retraumatisation.

Le travail avec le trauma est un travail « borderline », un travail à la frontière, qui nécessite tout ce que nécessite le passage des frontières quand on est exilé : des passeurs qui ne soient pas des escrocs, ni des gendarmes, des interprètes ouverts aux différents langages, une monture solide et sécurisante, des compagnons de voyage attentifs et aimants, des ressources pour tenir dans la nuit, le froid, la solitude. L’espérance d’un passage, d’une intégration, d’une réappropriation de soi, est alors possible. D’autres passeront d’ailleurs sans tous ces soutiens, seuls, en rampant sous les barbelés, ou au contraire en abandonnant toutes leurs ressources entre des mains avides, mais ils passeront.  

 

« Chevaucher le tigre » plutôt que de se laisser dévorer par lui est toujours possible.

Le dresseur de fauves oppose la violence à la violence, au risque de finir dans la gueule du lion, à moins qu'il ne reste dans une relation figée avec l’animal, deux statues face à face, comme dans le mythe de Méduse. Un geste de faiblesse de sa part, et la bête lui sautera dessus, ou le transformera en pierre à jamais. Alors je pense plus à cette part de nous qui sait parler aux animaux, même aux bêtes les plus féroces. L’apprivoisement, la création de liens, n’est pas le dressage. Dans le cas du trauma, le dressage peut se faire à coups de mécanismes défensifs, parfois confondus avec la résilience quand ils sont suffisamment brillants ; il peut se faire aussi à coups de médicaments, ou de contrainte sociale quand le lion, déchainé, a pris toute la place dans l’individu.

Certaines thérapies au contraire, nous apprennent à apprivoiser le traumatisme, à en faire un allié, un ami, une source de créativité.

C’est la résilience du vivant, qui n’est plus celle du survivant.

L’apprivoisement n’est pas la domestication, ni  l’asservissement ; l’animal apprivoisé  garde la liberté du « sauvage », la force vive qui devient source de créativité.

Du sang de Méduse peut alors naître Pégase, le cheval ailé.

Le trauma devient  ainsi un accélérateur de croissance.

Céline est une petite fille de 7 ans, victime d’un pédophile sur le chemin de l’école. Elle n’a pas été violée, mais ne peut maintenant plus rien dire sur ce qu’il s’est passé, à part que le monsieur avait un chien loup, et qu’il l’a amenée dans la forêt qui borde le chemin. Pourtant, sur le moment, Céline est retournée bouleversée à la maison et a parlé à ses parents, qui l’ont crue. Quand le papa a amené sa petite fille au commissariat pour porter plainte, le gentil monsieur souriant dans son bel uniforme ne l’a pas crue, lui. Il a expliqué au papa que souvent les petites filles inventent des histoires pour se faire peur, le soir, dans leur lit. Il y a encore peu d’années, il n’était pas fréquent que de telles histoires soient entendues et reconnues comme autre chose que des fantasmes ou des élucubrations enfantines. Alors le papa, qui accordait beaucoup de crédit aux messieurs plus âgés qui portent des uniformes, n’en a plus parlé, et la petite fille non plus. Et la maman a pensé que si les hommes avaient décidé comme ça, c’est que tout allait bien.

Comme ce n’était plus possible d’en parler, mais qu’il fallait bien qu’elle en fasse quelque chose, la petite fille a fait ceci : d’abord elle a mis un grand blanc sur la suite du film, elle a juste gardé l’image du gentil monsieur et du chien-loup, qui voulaient s’amuser avec elle ; ensuite elle a construit un monde où elle était une petite fille mauvaise et coupable d’imaginer des choses méchantes sur les autres, ces autres qui sont si gentils ; enfin elle a décidé que ce qu’elle voyait, ou pensait, ou ressentait, en plus d’être méchant et injuste, était faux, et qu’il valait mieux faire confiance à quelqu’un d’autre pour lui expliquer la vie, ce qu’il faut voir, et comment il faut le comprendre.

Cet évènement aurait pu être un simple accident dans la vie de Céline, douloureux, intrusif, mais un accident. Comme il n’a pas été correctement pris en charge par les adultes, il a eu des séquelles immédiates : il a transformé la vision du monde, l’estime de soi, et la confiance en la vie et en l’autre de Céline. Ces séquelles ont porté des fruits pendant de longues années, elles ont eu des conséquences sur les choix affectifs et sociaux de Céline, sur sa vie amoureuse et professionnelle. Comme elle n’arrivait pas à sortir de l’impasse, le trauma s’est reproduit de multiples fois, car elle retombait sur des personnes qui abusaient d’elle, et elle leur faisait confiance pour lui dire que ce n’était pas cela qui se passait, qu’elle était la méchante ou qu’elle interprétait tout mal.

Il y a eu des aspects résilients aussi dans sa vie. Elle s’est battue pour protéger les plus fragiles, elle a étudié beaucoup pour percer le mystère de ce qui était vrai et de ce qui était faux. D’autres parts d’elle-même ont pu vivre, n’ont pas été étouffées, et elle a développé de nombreuses compétences. Mais à l’occasion d’un deuil trop brutal, le lion affamé est sorti de sa cage. La dépression brutale qu’elle a du affronter, comprise comme une conséquence du deuil qui ne se faisait pas, était aussi l’occasion de faire face à ce trauma du passé. Elle a été très loin dans l’autodestruction avant de décider de ne pas laisser toute la part au lion, qu’elle avait le droit de vivre aussi, pas seulement de survivre.

Le contexte aurait pu être différent tout en étant aussi perturbant. Par exemple si Céline avait 7 ans aujourd’hui, et rencontrait le même monsieur avec le même chien loup sur le chemin de l’école, elle pourrait rencontrer des adultes accordant cette fois-ci trop d’importance à l’évènement, ou plus exactement  une importance inappropriée ; Céline pourrait être entourée de personnes proches qui dramatiseraient l’évènement à outrance par un processus d’identification projective, c’est-à-dire en utilisant l’enfant pour exprimer leurs propres émotions oubliées. Ces personnes pourraient trop socialiser l’évènement au lieu de le taire, le surexposer au lieu de l’enterrer, en parler à tout le monde … peut-être même sur Facebook ou dans une émission de téléréalité ! Céline pourrait se sentir obligée d’en rajouter, de déformer la réalité de la même façon que dans le premier cas, mais dans l’aspect inverse, toujours pour plaire aux grandes personnes et ne pas déranger. Les conséquences seraient différentes, surement pas moins difficiles.

La manière de travailler avec un trauma interroge beaucoup la limite entre l’intime et le social. L’intrusion pleine de bonne volonté peut être aussi violente que le déni.

Alors que faire ?

Le travail avec le traumatisme est un travail d’équilibriste; à un moment il devient inhérent au thérapeute,  qui va pouvoir doser le « ni trop, ni trop peu », en lien avec sa propre frontière, en accord avec les rugissements ou les ronronnements de son propre lion, celui qu’il a – peut-être – réussi à apprivoiser.

 

 

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La peur de l'autre: quand la différence devient menace (2/fin)

par Marie-José SIBILLE

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

LES REFLEXES DEFENSIFS

 

Ce que l’on appelle les mécanismes de défense sont avant tout, il ne faut jamais l’oublier, des systèmes adaptatifs. Il est donc très important de les respecter tant que rien d’autre n’est possible.

Ces systèmes internes se transforment en signaux de communications, une sorte de langage non verbal, qu’il est bien sûr fondamental de comprendre en tant que psychothérapeute, mais aussi dans nos relations sociales et intimes, pour aller vers des relations moins violentes.

Chez l’enfant maltraité, abusé, dominé, c’est souvent la  sidération et le mutisme qui peuvent nous alerter. Je me souviens d’une mère disant à sa petite fille abusée par un pédophile : pourquoi n’as-tu rien dit ? Impossible, bien sûr, pour l’enfant de parler de l’innommable! D’autant plus que la décorporation est un système de défense également bien connu des victimes d’abus en particulier sexuels, un mécanisme ingénieux qui permet de ne rien sentir, en tous cas de manière consciente. D’autre part il n’est pas facile pour un petit bout de chou de parler à ses parents, si grands, si aimés, si occupés ! Un grand rôle des parents et des éducateurs est bien sûr de donner à l’enfant les mots pour dire ses émotions et ses ressentis, surtout les plus difficiles, les plus interdits. La grammaire et le langage émotionnels, voilà bien des disciplines où nous trouvons un taux d’analphabétisme inquiétant dans notre société. Mais c’est difficile pour un adulte de transmettre à l’enfant un langage où lui-même en est au B-A BA !

Chez l’adolescent et l’adulte ces systèmes vont se cristalliser à travers différentes attitudes :

1)      L’évitement, conscient ou non, est le terme qui, encore plus que celui de fuite, pourrait regrouper nombre de ces comportements. Avec des nuances variables selon la personne :

§         le blindage caractériel permet de ne plus ressentir d’émotion et donc de n’exprimer aucune vulnérabilité ; ce blindage pouvant aller de la psychorigidité banale à la mise en place d’une structure paranoïde qui va servir de bouclier.

§         la mise en danger qui peut aller jusqu’au suicide, à l’accident ou à la maladie grave (qui manifeste souvent un appel à l’aide et à soutien de type parental jamais reçu) ; il y aurait là une grande piste à explorer pour désencombrer les urgences hospitalières ! Cette mise en danger par l’autodestruction, la maladie, les addictions, manifeste un retournement contre soi de la violence qui ne peut s’exprimer, car la colère est une émotion interdite quand on souffre de la peur de l’autre. Et elle permet elle aussi l’évitement de la situation difficile.

§         L’hyperactivité, la logorrhée, la peur de la solitude ou du silence en sont d’autres manifestations, la liste n’étant bien sûr pas exhaustive.

2)      Les tentatives de manipulation de la violence subie, plus que de son auteur, et de maîtrise de la terreur qui en résulte, que sont par exemple :

§         L’identification à l’agresseur et la soumission apparemment joyeuse  dans les relations d’emprise. Le besoin de faire plaisir de la femme battue, et de l’homme d’ailleurs, ou de l’enfant maltraité ; répondre par un « cadeau » ou un compliment à la personne qui nous agresse.

§         Devenir superstitieux et chercher refuge dans des croyances qui permettent de faire tiers. Si je ne croise pas de femme de plus de 50 ans d’ici à la maison, il ne me battra pas ce soir …

§         Se positionner clairement en victime ou en dominé, dans l’espoir de voir diminuer, ce qui serait le cas chez les animaux, le comportement de violence qui déclenche la peur : détourner le regard, se baisser, voire se coller à l’agresseur ou à la personne qui réveille chez nous le réflexe de la peur. Cette attitude est souvent méprisée socialement, on la nomme lâcheté, obséquiosité, léchage de bottes ou autres expressions encore moins agréables. Certes elle ne nous renvoie pas à la partie la plus brillante de notre humanité ; mais qu’en est-il des causes d’une telle attitude de mépris de soi ?

3)      Enfin l’agressivité et le passage à l’acte violent quand la personne n’en peut plus. C’est le conjoint maltraité qui assassine son bourreau, c’est l’enfant abusé qui met le feu à la maison, c’est le paysan humilié qui coupe la tête au roi. Au bout de combien de siècles d’esclavage ?

           

LES CAUSES DE LA PEUR DE L’AUTRE

 

L’Eternel jeu complexe entre l’inné et l’acquis rend toujours délicat de réfléchir sur les causes d’un phénomène aussi ancré dans l’humanité. Mais nous pouvons identifier malgré tout des comportements qui vont aider à surdévelopper ce qui n’est au départ qu’un réflexe somme toute très naturel, et, je le répète encore une fois, une étape indispensable de notre développement.

Je ne traiterai ici que des comportements qui ne sont pas (encore ?) toujours répertoriés comme des maltraitances envers l’enfant, comme le sont les violences physiques, les abus sexuels, ou la déficience de soins.

·         Les menaces archaïques : L’adulte qui, dans le cadre d’une psychothérapie par exemple, accepte de plonger dans cette peur, pourra trouver l’image mais peut-être aussi la réalité d’une mère dévoratrice ou indifférente, d’un père tout puissant jugeant, méprisant, excluant, bref de figures parentales sensées protéger et aimer qui au contraire incarnent la terreur et la maltraitance. L’adulte confronté à ces souvenirs, je ne parle pas ici de la vie fantasmatique telle que l’a pensée la psychanalyse, mais bien de la maltraitance réelle de l’enfant réel, pourra se sentir dans le présent la menace d’un danger très grand, voire d’une mort imminente. La théorie de l’attachement nous permet de comprendre que si la sécurité de base dans la relation, avant même de parler d’amour familial ou de tout autre sentiment, n’a pas été construite et respectée dès la toute petite enfance, l’adulte souffrira de nombreux troubles dans ses relations autant intimes que sociales.

      La peur est une manière terrible mais bien réelle de rester attaché à l’autre.

·         Le soutien à la socialisation ou son absence par les parents : Certaines familles vivent en huis clos,  repliées sur elles-mêmes. Quand le jeune adulte en sort c’est parfois par une rupture brutale, et il se retrouve projeté dans un monde auquel il n’a pas été préparé. Il pourra certes dire encore : maman j’ai peur, mais maman n’est plus là. C’est aussi le cas dans l’autonomisation trop précoce de l’enfant par des parents immatures dépassés par la parentalité ; ou encore dans la surexposition précoce, dans certains excès libératoires de mai 68, d’enfants à toutes sortes de relations ou de vies communautaires, y compris sur le plan sexuel.

·         La contagion familiale : des parents anxieux sociaux ne vont pas pouvoir transmettre de compétences sociales et relationnelles à leur enfant. Or celles-ci s’acquièrent, il n’est que de voir les  rites de socialisation dans les sociétés tribales, et l’école ne suffit pas toujours à compenser ce que la famille n’a pas au minimum semé. Certains parents, surtout aujourd’hui, peuvent aussi refuser le conflit avec leur enfant, l’expression de l’autorité, les limites. La peur de l’autre peut alors s’enraciner dans la peur de détruire l’autre que j’aime et dont je dépends si j’exprime ma colère, car je le ressens comme trop faible.

·         La transmission transgénérationnelle : la réponse à un stress peut se transmettre entre générations. Une expérience intéressante[1] nous montre qu’une poule soumise au stress perd une part de ses capacités cognitives - en particulier celles qui ont trait à l'orientation. Surtout, elle transmet à sa descendance la dégradation de ces facultés.  Pas moins de 31 gènes sont ainsi sur-exprimés ou sous-exprimés chez les bêtes soumises au stress. Autant de divergences que les scientifiques retrouvent, dans une certaine mesure, dans la descendance des volatiles. Et ce, bien que celle-ci n'ait eu aucun contact avec ses génitrices et qu'elle ait grandi dans un environnement "non stressant". En sus, des conséquences collatérales ont été notées, comme une croissance plus rapide chez les rejetons des poules stressées ... Des petits poussins pressés de quitter le nid de parents déficients !  D’autres travaux, sur la réponse de mammifères à un stress de nature chimique, suggère que des rats dont l'un des arrière-grands-pères a été exposé à la vinclozoline (un fongicide) ont un succès reproductif inférieur à ceux dont aucun ascendant n'est entré en contact avec ce produit, interdit depuis peu en Europe. Là encore, la transmission à la descendance d'un caractère acquis en réponse à un stress s'effectue sans mutation génétique.

Chez les êtres humains, les travaux sur la résilience entre autres, montrent que le syndrome de stress post-traumatique se transmet entre les générations, par exemple les traumatismes de guerre ou d’exil. Mais c’est le cas aussi des secrets de famille dont la toxicité peut durablement affecter la descendance.

 

Ensuite il faudra voir si ces expériences et empreintes précoces sont confirmées, ou au contraire transformées :

 

-          à l’école : Humiliations, moqueries, exclusion, phénomènes de bouc émissaire. Par les professeurs ? Par les pairs ? Ou au contraire, apprentissage, estime de soi, insertion sociale.

-          à l’adolescence : intégration de la sexualité, honte par rapport au corps, relations avec l’autre sexe, positionnement par rapport aux tentations addictives et aux comportements ordaliques. Intégration dans des clans, des bandes, des gangs, isolement notable, ou « saines camaraderies «  et amitiés adolescentes.

-          chez le post-adolescent ou le jeune adulte : entrée dans  le monde du travail, relations de pouvoir, rituels sociaux et de dominance, expression et évaluation de ses compétences, rapport à l’argent.

-          chez l’adulte : va-t-il pouvoir se remettre en question ou rester figé éternellement dans les systèmes défensifs issus des traumas précoces ?

-          chez la personne âgée : va-t-elle restée socialisée, en rapport avec ses désirs et ses besoins, garder sa place dans la famille, s’ouvrir humainement voire spirituellement, quel que soit ce que l’on entend par là et affronter le grand Autre en ayant au moins le sentiment d’avoir vécu et transmis ? Ou va-t-elle se laisser envahir par les terreurs enfantines, peut-être refoulées ou tenues à distance pendant la période adulte ? Ou encore se retrouver confrontée à des situations de dépendance institutionnelle ou familiale qui vont la retraumatiser en rejouant, encore une fois, des scènes de violence et d’emprise déjà connues ? La dépendance de la fin de vie, comme celle du début de vie, est incontournable, et sûrement indispensable. Mais dans quel contexte est-elle vécue ?

 

QUE FAIRE ? Psychothérapie et résilience

 

Il ne s’agit pas pour moi ici d’apporter des solutions ou de changer le monde d’un coup de baguette magique, heureusement pour nous tous … Mais de réfléchir à un comportement de bientraitance mutuelle, qui s’enracinerait dans l’estime de soi et le respect de l’autre, et qui serait un des apprentissages relationnels différent que pourrait permettre la psychothérapie, en tant que source de valeurs culturelles et de réflexion politique.

Il apparaît important tout d’abord, quand nous travaillons sur cette zone de peurs, de déjouer le mécanisme de la panique, de la terreur, c’est-à-dire de la peur de la peur, de la peur devenue un automatisme relationnel. Reconnaître la soumission de l’enfant chez l’adulte et écouter la peur de cet enfant, puis faire émerger l’affirmation de l’adulte tout en gardant le contact avec l’enfant me paraissent à la base d’une psychothérapie de l’anxiété sociale.

Et cela est fondamental si l’on considère la bientraitance relationnelle mutuelle comme la clé d’un changement de la société.

Il existe des personnes réellement toxiques dans la relation, pour des tas de raisons toutes compréhensibles et susceptibles de provoquer l’empathie. Mais nous avons aussi le devoir d’empathie envers la victime actuelle de la victime passée ! Il faut pouvoir se protéger de la toxicité d’une relation sans exclure la personne, ce qui devrait toujours être le cas avec un enfant devenu toxique par excès de maltraitance subie. Or les débats sur la pénalisation des crimes commis par des mineurs montre à quel point ce sujet reste interrogeant pour beaucoup, y compris dans nos démocraties.

 D’ailleurs, qui d’entre nous n’a jamais été un élément toxique dans une relation ou dans un groupe ? Qui d’entre nous peut dire qu’il ne se reconnaît jamais dans ces comportements suscitant la peur chez l’autre : la moquerie, la divulgation d’un secret ou d’une information hors cadre, la propagation d’une rumeur, la culpabilisation de l’autre quand on ne peut pas soi-même assumer ses besoins et réaliser ses désirs, l’agression de la personne qui réalise ce que j’aimerais réaliser, le jugement, l’infantilisation de quelqu’un qui exprime une émotion, un doute, une vulnérabilité ; le non contrôle des pulsions sadiques, en particulier chez les personnes détenant un pouvoir ou une autorité, y compris les psychothérapeutes ; la jouissance de la vulnérabilité de l’autre ; le non contrôle des émotions paroxystiques qui peuvent effrayer, terrifier les autres, en particulier la colère.

Voilà quelques comportements quotidiens, que j’ai choisis volontairement non excessifs, ne suscitant jamais de dépôt de plainte, qui sont pourtant profondément nuisibles, et pourvoyeurs de beaucoup d’anxiété sociale.

La résilience, par le remaniement des blessures traumatiques, entraîne la transformation définitive du comportement issu du traumatisme. C’est une nouvelle naissance.

Je peux parler ici uniquement de la manière dont je vois quelques étapes du processus de résilience dans le cadre d’une psychothérapie individuelle ou de groupe, où la conscience des phénomènes d’anxiété sociale et relationnelle serait prioritaire :

-     Sécurisation et étayage par rapport à la problématique de l’attachement. Ceci passe par l’alliance thérapeutique et la confiance dans le thérapeute qui est un ingrédient majeur de la thérapie. Mais aussi par la capacité du thérapeute à créer un « juste contenant », ni trop abandonnique ou distant, ni trop intrusif, ce qui est loin d’être simple. Ce type d’attitude clinique, mais d’abord humaine et intérieure, est le fruit de l’apprentissage que nous faisons en tant que psychothérapeutes, à la fois dans les formations longues, cinq années minimum, qui sont spécifiquement les nôtres, comme par exemple celle que j'ai effectué en Analyse psycho-organique; mais aussi dans le travail que nous faisons sur nous-mêmes: nous considérons comme impossible de faire vivre à quelqu'un un processus aussi complexe sans l'avoir nous-mêmes traversé, et avoir pris le recul nécessaire sur la manière dont nous l'avons traversé. Et la réponse que la personne va accepter de faire petit à petit à ces signaux relationnels sera peut-être différente de son expérience intériorisée, et modifiera également notre attitude.

-     Identification, et transformation, des représentations de soi négatives intériorisées et de leur circuit de renforcement qui les transforme en complexes autonomes. Ces sous personnalités, où je suis la petite fille bonne à rien, le voyou sans cœur, le petit garçon impuissant, la mauvaise, le méchant, la nulle, le moins que rien, doivent petit à petit s’apprivoiser, se rassurer, se transformer ; c’est une thérapie de groupe à l’intérieur de soi !

-     Identification et digestion des traumatismes, y compris, voire surtout, sur les plans émotionnel et corporel. QUI EST CE MONSTRE DONT J’AI PEUR A TRAVERS LE VISAGE DE L’AUTRE ? Nous sommes habités par des représentations internes de l’agresseur beaucoup plus puissantes que les personnes réelles que nous rencontrons, au moins la plupart du temps, dans nos contrées raisonnablement démocratiques.

      Le travail consistant à cibler le traumatisme, grâce à une thérapie comme l’EMDR par exemple, peut se révéler très réparateur. J’insiste sur le fait que ces techniques souvent remarquablement efficaces, ne peuvent se mettre en œuvre que dans un cadre relationnel préalablement sécurisé et sécurisant, ce qui est loin d’être simple. La « psychothérapie sur ordonnance » ne marchera jamais, car la qualité du lien thérapeutique est tout aussi agissante que la méthode employée. Il est un fait aussi que le lien ne suffit pas face à certains traumas et que nous disposons maintenant, et de plus en plus, de méthodes qui permettent de potentialiser ce lien pour le bénéfice de la personne, qui plus est en lui permettant de prendre elle-même les rênes de sa propre résilience.

-     Remaniement intérieur sur les plans cognitif, émotionnel et corporel par la mise en situation dans le cadre protégé de la psychothérapie, en particulier en thérapie de groupe : le travail de groupe est en effet particulièrement adapté à ce type de problématiques, à condition que le groupe soit suffisamment sécurisé et le thérapeute suffisamment fiable et conscient  pour qu’il n’y ait pas au contraire retraumatisation, le risque étant particulièrement grand en situation de groupe. Quand il est positif, il permet le vécu de nouvelles expériences intérieures et relationnelles, ainsi que la mise en place d’une solidarité active, autre que celle du thérapeute.

Le corps doit apprendre qu’autre chose est possible car c’est notre meilleur soutien ; c’est le vrai levier du changement. Le raisonnement ne suffit pas, la conscience et la parole non plus. Il est important de pouvoir accéder à la colère et à toutes les émotions interdites, dont la peur justement. Il est important de sentir comment notre corps peut se positionner différemment dans le geste, la posture, le regard, le contact. Nous vivons sur terre, notre corps est notre terre, comment la dépolluer pour y vivre mieux ?

-     Exposition soutenue et étayée à des situations de difficultés croissante, entraînement dans la « vraie vie ». Avec, bien sûr, tous les soutiens possibles. C’est dans la vie que nous appellerons réelle, dans le sens où elle contient le quotidien de la personne, que la transformation effective pourra se mesurer.

    

CONCLUSION

 

La vie avec les autres exige un repositionnement permanent et une adaptation constante ; aucune relation n’est totalement neutre ou sécurisée, c’est l’art par excellence de l’âge adulte de pouvoir expérimenter cela, de pouvoir affirmer tous les aspects de son identité, sans que ceux-ci représentent une menace pour l’identité de l’autre, voire en étant un soutien pour celle-ci.

Sur le plan familial et collectif, la peur de l’autre est encore trop souvent utilisée comme outil de pouvoir, comme levier de manipulation de l’individu et des groupes. Mais si la peur est très contagieuse, la confiance peut l’être aussi, avec peut-être un peu plus de travail. Il y a donc des conséquences individuelles, familiales, politiques et sociales incalculables dans le travail sur l’affirmation de soi.

C’est pour cela que la bientraitance relationnelle me paraît pouvoir être un objectif fondamental des valeurs transmises par la psychothérapie, quelle que soit sa forme et son école. Le métier de psychothérapeute est un de ceux où l’on peut expérimenter la créativité relationnelle et la transformation permanente de notre rapport à l’autre, si on le désire, et si l’on reste vivant ; en considérant que l’accompagnement de l’autre est toujours une opportunité de mieux s’accompagner soi-même, comme la transmission est la meilleure manière d’apprendre.

 

Première version parue dans : « IDENTITES, ENTRE ETRE ET AVOIR QUI SUIS-JE ? », sous la direction de Joyce Aïn, Editions Erès 2009.

 www.edition.eres.com

Merci de respecter les lois sur la propriété intellectuelle en me demandant la possibilité de diffuser cet article dans le champ associatif ou professionnel.

 

 



[1] Article publié le 14 Avril 2007, par Stéphane Foucart, Source : LE MONDE, lemonde.fr

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