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adopter sa famille

Les mille premiers jours, deuxième partie. Père, mère, bébé : un triangle indispensable ?

par Marie-José Sibille

publié dans Adopter sa famille , On peut choisir sa famille , La psychothérapie - de quoi ça parle

Les mille premiers jours, deuxième partie.

Père, mère, bébé : un triangle indispensable ?

 

Dans la première partie de cet article[1], je vous décrivais deux grands-mères véhicules de la violence éducative ordinaire, l’une en la soutenant ouvertement, l’autre en supportant de l’entendre.

Peut-être en avez-vous conclus que je crois au progrès linéaire et continu de l’humanité ? Que grâce à l’homme augmenté, connecté 24/24 tout va s’arranger ? Ou encore que les nouvelles générations ont tout à nous apprendre et qu’il suffit d’être jeune pour avoir dépassé toutes ces ringardises éducatives ? 

C’est vrai que j’ai toujours une seconde de surprise quand je vois un jeune adulte vraiment déficient - selon moi - politiquement, socialement, relationnellement.

Mais je me reprends vite.

Et le même jour donc, sur la même plage :

Un couple de trentenaires dont l’aisance financière s’étale au soleil, chacun étendu sur sa serviette, temps superbe, mer d’huile, le bonheur. Un bébé pré-mille jours essaie désespérément d’attirer leur attention car, comme 80% des personnes présentes sur la plage, et même dans l’eau pour les photos, ils sont chacun sur leur écran. 

Ça dure, ça dure ! Le bébé PMJ[2]crie, rit, jette du sable. En désespoir de cause il finit par sauter sur le dos de sa mère allongée qui le dégage avec un sourire crispé. Le père n’a pas bronché.

Au bout de longues (pour moi) minutes, Bébé PMJ renonce. Il crapahute jusqu’à son seau, se met à trois mètres devant ses parents et joue tranquillement, concentré sur sa tâche. Sa mère le voit alors. « Regarde les supers photos qu’on va faire », dit-elle au père en le secouant, lequel père ou présumé sourit 3 secondes avant de replonger dans son écran. Et la maman de mitrailler son fils avec les commentaires d’usage sur laquelle elle va poster, et laquelle elle va envoyer à la famille ...

Et là vous allez me trouver au contraire bien réac, du style avant (avant les écrans, la PMA pour toutes, le réchauffement climatique, le mariage pour tous, ...) c’était mieux ! 

Mais non ... 

Je retourne sur la plage dans l’après-midi et me retrouve près d’un couple de deux femmes, grandes, belles, l’une caucasienne très blonde l’autre asiatique très brune, un vrai post Instagram ambulant. Elles enlèvent un petit garçon de sa poussette et passent un long moment à rire avec lui avant d’aller se baigner à tour de rôle puis d’emmener leur bébé découvrir la mer d’huile. Une bonne heure sans aucun écran. Juste du lien.

Et voilà, elle va nous faire la pub des couples lesbiens, il manque plus que les deux papas poule ayant adopté en Afrique et on sera saturés côté clichés.

Désolée du réel.

Mais comme je ne veux pas que vous me pensiez comme ça, je termine par une famille qui pourrait tourner dans Camping 3.

Les parents dans les 70 ans déjà avancés : lui moustachu un peu gras du ventre  en caleçon de bain je vous passe les détails, on sent que la bière l’attire plus que le jeûne intermittent, elle toute  habillée sur la plage avec un magazine féminin dans les mains et un sourire réjoui, le bras posé sur la glacière bleue. Le fils dans les 40 ans a déjà pris de la moustache et du ventre paternels. 

Je vais me baigner en même temps que les deux hommes qui s’amusent comme des fous.

« Ah maman elle pourrait pas se baigner hein », dit le fils, « elle qui est si frileuse ! », et ils éclatent d’un rire complice.

C’est vrai que l’eau est froide.

Mon côté ethnologue donc scientifiquement voyeuse me fait sortir de l’eau en même temps qu’eux. Ils sont tous fiers et la mère en rajoute sur leur exploit en souriant. 

Ils s’assoient tous le trois autour de sandwichs pas du tout vegan que la mère sort de la glacière. 

Le père dégage le bonheur absolu, c’est contagieux, je me prends à sourire.

« Ah que c’est bien d’être ici avec ma femme et mon fils quand même », dit-il. Il est ému. 

Ils sourient tous les trois, sans rien rajouter.

Je suis touchée.

Vous l’avez compris, mon argument est qu’une « vraie famille », une famille qui va faire grandir convenablement les petits, les ados et aussi leurs parents, n’a pas une forme, une couleur, un nombre particulier. 

Dans la mesure où elle répond suffisamment bien aux besoins de ses membres, peu importe. 

Sur France Inter, dans l’entretien déclencheur de cette série d’articles, Boris Cyrulnik répond ainsi à une maman lesbienne sur la question de l’absence du père. Elle se référait, légèrement angoissée à moins que ce ne soit provocante, à ces psychanalystes obsédé.es par la présence de ce tiers séparateur de sexe masculin que l'on nomme « père ». 

« Qu’est-ce qu’un père », proposa-t-il alors d’interroger ? 

« Un père, c’est d’abord un tiers protecteur de la maman. Si le couple fonctionne bien », rajouta-t-il, « le père est sécurisant pour la mère dès avant la conception ». 

Il nous explique que le désir dans son regard, je rajouterai le désir valorisant et respectueux, va structurer l’enveloppe sensorielle de l’enfant avant même sa conception. Mais en l’absence de ce père, une grand-mère - c’est très fréquent - des oncles, un réseau d’ami.es, des parrains et marraines, et d’abord la compagne dans le cadre d’un couple lesbien pourront jouer ce rôle. 

De même que dans le cadre d’un couple d’hommes, l’un des deux peut se sentir particulièrement bien dans la fonction maternante.

« Ce qui compte », nous dit encore Boris Cyrulnik, « c’est d’ouvrir le champ affectif de l’enfant à quelqu’un d’autre que la mère pour qu’il ne se sente pas prisonnier de son affection. Sinon, à l’adolescence, la haine prend le pouvoir séparateur. »

Comme j’accompagne nombre de familles monoparentales, dans l’immense majorité maternelles, je crois que cette remarque peut inquiéter ces mères, qui se débattent déjà au quotidien avec l’absence de compagnon « suffisamment bon », ou de compagne, situation rarement voulue. 

La présence d’une fratrie joue aussi ce rôle de tiers, et le joue très bien. La fratrie est un remarquable « tiers séparateur », parfois violemment pour l’ainé.e qui doit apprendre alors à partager le parent.

Mais dans le cas très répandu de la maman solo d’un enfant solo, par exemple dans le cadre de l’adoption, il est important de construire ce tiers séparateur dès le projet d’apparentement, et de vérifier qu’il tient bien la route tout au long du développement de l’enfant.

Quelle que soit la forme, même collective, une vie de village par exemple, que prendra ce tiers.

Ainsi, peu importe la famille fondée par des parents solo ou duo, de même sexe ou non, pour peu qu’ils se remettent en question de manière souple, sans trop de paralysante culpabilité, pour répondre au mieux aux besoins de tous à commencer par les leurs et s'il existe ceux de leur couple, en ne s’arrêtant pas sur les accidents relationnels ponctuels ni sur leurs vivantes imperfections.

 

A suivre avec : un article un peu plus technique sur l’attachement, un autre sur l’adoption, un dernier sur l’attachement dans le couple avant qu’il ne devienne couple parental et une réflexion sur l'attachement dans les "familles monoparentales".

 

 

 

 

[1]http://www.sibillemariejose.com/2019/09/les-mille-premiers-jours.html

[2]Pré-mille jours

« Adopter sa famille. L’adoption internationale, un exemple d’attachement résilient ». Le prix de l’ebook est passé à 4,99 pour la rentrée.

« Adopter sa famille. L’adoption internationale, un exemple d’attachement résilient ». Le prix de l’ebook est passé à 4,99 pour la rentrée.

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Les mille premiers jours ...

par Marie-José Sibille

publié dans Adopter sa famille , Adoption , La psychothérapie - de quoi ça parle , On peut choisir sa famille

Les mille premiers jours ...

Boris Cyrulnik fait la promo des bébés et du regard amoureux ...

Parent et Enfants, Première partie.

 

Lundi matin Boris Cyrulnik a présenté sa mission gouvernementale sur France Inter.

Il s’agit de prêter attention aux mille premiers jours du bébé, mais aussi à la grossesse de la maman et même au contexte de la conception. 

Une révolution dans une société patriarcale centrée sur la croissance, la performance et la destruction du monde.

Une évidence pour la vie. 

Boris Cyrulnik, en porte-parole de beaucoup de voix moins audibles propose de s’occuper avant tout des parents. 

Prendre soin de celles et ceux qui prennent soin, cela peut se faire de deux façons complémentaires :

- D’abord en améliorant le contexte dans lequel les parents vont avoir à s’occuper de leur bébé. Et ce dès la grossesse. Car si la femme enceinte est insécurisée, elle transmettra in utero une partie de son stress à son bébé, cela est largement démontré. Mais grâce à la plasticité cérébrale, si un bébé est facile à blesser il est aussi facile à rattraper, en réorganisant le milieu qui entoure la mère de manière intégrative, c’est-à-dire matériellement, affectivement, culturellement aussi s’il le faut. En effet certaines cultures sont bienveillantes pour les femmes et les enfants, d’autres non. Et il est impossible de prendre soin des enfants si on maltraite les femmes. Au mieux on les nourrit pour les enrégimenter.

- Ensuite en développant les comportements bientraitants chez les parents, c’est-à-dire en acceptant de voir que s’occuper d’un bébé n’est pas « que » inné et naturel, encore moins pour les pères dans notre société. Les parents n’ont pas forcément les clés des signaux envoyés par le bébé. Et s’ils ont une bonne base innée, ils peuvent toujours l’améliorer et participer à sa transmission aussi.

La théorie de l’attachement[1]nous donne les clés d’un comportement parental suffisamment adapté au développement harmonieux du bébé. Mais certaines habitudes culturelles nourries par l’ignorance ont la vie dure. Il n’est que de voir par exemple le combat contre la violence éducative ordinaire, ou encore le temps mis à prendre en compte les féminicides et le peu de moyens accordés à ces enjeux majeurs de l’évolution humaine. 

Par exemple, combien de fois ai-je entendu « qu’il faut laisser pleurer un bébé, il finira bien par se calmer ». Et de la part de professionnel.les aussi.

 

La plage un après-midi. Je bois un verre à côté de deux femmes parlant de leurs petits-enfants.

- "Il a du mal mon fils avec son dernier", dit la première, la gentille. "A deux ans et demi il refuse de manger tout ce qu’on lui donne. Hier il a jeté l’assiette par terre ! "

- "J’espère qu’il en a pris une bonne", lui répond la deuxième, la méchante, "et que ça l’a calmé ! "

La gentille, un peu gênée : « Oh tu sais, c’est pas trop le style de mon fils ».

La méchante sent (peut-être) qu’elle a été trop loin, ou que je l’écoute et vais la dénoncer à la police suite à la loi de cet été contre les violences éducatives ordinaires.

« Ça n’empêche qu’il y a des enfants on peut en faire tout ce qu’on veut et d’autres c’est une catastrophe ! », répond-elle d’un air boudeur.

Il n’y a qu’à les ramener au supermarché ...

Question : ai-je devant moi une mutante transhumaine qui n’a jamais été une petite fille ?

Ou une femme tout ce qu'il y a de plus "ordinaire", comme la violence éducative qu'elle véhicule sans en avoir conscience, une femme qui nécessite empathie et accompagnement si elle a en charge des petits ?

 

Un parent qui ne voit ni n’accepte les violences ou négligences  « ordinaires » qu’il a lui-même subi en tant qu’enfant, que ce soit dans la famille ou à l’école, aura du mal à ne pas les reproduire. Et je parle bien d’enfances suffisamment bonnes, ou les seules violences et carences sont celles de l’imperfection humaine et pas de maltraitance avérée. Plus de 3/4 des parents français trouvent cela normal de frapper un enfant alors qu'ils trouveraient insupportables d'être eux-mêmes frappés. Avant c'était les femmes qu'il était normal de battre pour calmer leur hystérie et leurs émotions incontrôlables. 

C'est une dissociation ordinaire très répandue. 

Un jour, en thérapie ou par d'autres biais, certain.es prennent conscience. 

 

Par ailleurs l’éducation d’un enfant reste soumise aux diktats gouvernementaux, comme en témoignent des drames comme celui bien connu des orphelinats de Ceaucescu. Gouvernements et institutions aux mains d’instances de pouvoir rarement envahies par les mères et pères de famille suffisamment bons ... 

Boris Cyrulnik soutient pourtant l’intervention de l’État dans le changement de comportements. Il parle des 1% d’illettrés malheureux en Norvège contre 15% en France, et ce malheur coûte cher. Il souligne ainsi à peine avec humour que « mettre de l’argent sur le cerveau des bébés c’est une bonne affaire ».

S'agit-il de mettre de l'argent comme en Corée ou au Japon pour faire des enfants super performants, comme le recommandent encore certain.es "expert.es" en France ? 

Ce n'est pas du tout le positionnement de Boris Cyrulnik, pour qui la réussite sociale est un "bénéfice secondaire de la névrose" ! 

Il nous invite à nous concentrer sur la sécurisation du bébé, qui alors se stimulera et jouera à la performance et à la créativité aussi d’ailleurs.

Comment avons-nous pu transformer cet infini plaisir d’apprendre et de créer en pensum contraignant ? Cela me fait penser au « devoir conjugal » et à l'art de transformer le plaisir en corvée !

Apparemment les suicides, les dépressions et les troubles anxieux des ados japonais et coréens ne nous suffisent pas à renoncer à faire de nos bébés des cracks qui savent lire dès la maternelle, par opposition aux délinquants de moins de trois ans qui eux sont fichus quoi qu’il arrive ! 

Le bébé a été longtemps considéré comme un tube digestif sur pattes, insensible à la douleur et donc au plaisir, à la parole, à l’échange.

Combien de temps a-t-il fallu à notre société pour comprendre l’importance de parler à un bébé ? 

Cela construit son cerveau et son système nerveux.  

Et le sécuriser par le toucher, l’émotion positive et l’empathie bienveillante, permet de développer la partie limbique du cerveau celle qui gouverne les émotions et la mémoire. 

Sans oublier le « cerveau du ventre », si sensible chez les enfants, le développement du microbiote intestinal et son effet sur le système immunitaire, le stress et la joie de vivre.

 

Et vous, ils étaient comment vos mille premiers jours ?

 

A suivre ...

 

 

 

 

 

 

[1]Développée dans le livre : « Adopter sa famille. L’adoption internationale, un exemple d’attachement résilient ». J’y reviendrais dans la deuxième partie de l’article.

Pour mettre à disposition le livre pour le plus grand nombre le prix de l’ebook est passé à 4,90, prix de rentrée.

Dessin de Liane Langenbach, illustrant une des nouvelles du recueil « Juste un mauvais moment à passer » sur les maltraitances ordinaires et des ressources existantes. Disponible en cliquant sur l’icône dans la colonne de droite.

Dessin de Liane Langenbach, illustrant une des nouvelles du recueil « Juste un mauvais moment à passer » sur les maltraitances ordinaires et des ressources existantes. Disponible en cliquant sur l’icône dans la colonne de droite.

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