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cette societe - c'est la notre !

Camping sans étoiles - Petit conte survivaliste

par Claire Sibille

publié dans Cette société - c'est la notre ! , Le quotidien c'est pas banal !

Camping sans étoiles

Petit conte survivaliste

 

 

C’est le camping de bord de mer, ses aiguilles de pin dans le café instantané et ses odeurs d’enfance à chaque coin d’allée. C’est le camping de bord de mer, ses hommes emplis d’amour conjugal alignés à la vaisselle, il faut bien qu’elle se repose elle aussi, comparant en riant la taille … de leur pile d’assiettes. C’est le camping de bord de mer, ses familles multicolores, mais surtout celles venues du nord, leur peau rouge vif et leurs cheveux blonds blanc. C’est le camping de bord de mer, ses animations du soir qui font encore en 2020 la part belle au disco et à la macarena.  

Un camping de bord de mer. 

Mais les personnes non humaines en ont à peu près disparu. 

Plus d’insectes ni de lézards, plus de scarabées ni de papillons. Quelques moustiques à l’instinct de survie chevillé au corps justifient à eux seuls l’achat de mon huile de citronnelle et nos voisins s’aspergeant d’insecticide en toute bonne conscience. Quelques pigeons et moineaux risquant la proximité de l’homme pour picorer nos restes rappellent la ville que beaucoup ont fui.

Quelque part près de l’emplacement A-58, le plus près de l’étang, une grenouille solitaire croasse quelques fois avant de s’arrêter, effrayée par le son de sa voix sans écho.

Une araignée égrène les secondes sur sa toile en comptant les survivants. Elle pense qu’elle fera encore ceinture ce soir. Elle va devoir migrer. Encore une fois.

Dans sa mémoire collective d’Araignée des Pins clignotent en flash-backs nostalgiques des moments d’abondance. Il fallait alors se méfier des papillons de nuit qui détruisaient parfois la toile trop fragile de leurs ailes maladroites et de leur corps trop lourd. Des milliers d’années et des générations innombrables d’Araignées des Pins ont permis de tisser des toiles de plus en plus solides pour résister aux mille variétés de sphinx aux couleurs chatoyantes et aux ailes poudrées. Tellement solides que l’armée des géants étudie sa composition.

Et puis plus rien. 

En quelques années inexistantes pour la grande âme d’Araignée des Pins. 

Une minuscule goutte de temps pour son regard multiple et si ancien. 

Plus rien.

Une toile solide que le moustique égaré ne parvient pas à faire vibrer, un filet tendu dans un océan vide.

Rien, sauf le coup de raclette indifférent ou dégouté de la Géante chargée de nettoyer le dessous du lavabo où elle s’est réfugiée. Araignée des Pins a réussi à lui échapper au dernier moment. Elle glisse sur le carrelage désinfecté et vide. L’air lui renvoie une unique odeur chimique que sa mémoire lui ordonne de fuir. Elle file sous la porte le plus loin possible du monstre à roulettes hérissé de balais, le monstre à raclette et à produit qui pue. Elle se perd dans le sable et se précipite sur la première écorce de pin venue. Elle rencontre alors une cohorte de fourmis minuscules. Sans danger les unes pour les autres elles se croisent respectueusement. Chaque fourmi porte au bout de ses mandibules une miette de quelque chose à manger mais rien de bon pour la danseuse aux huit longues et fines pattes les regardant passer. 

Araignée des Pins sait profondément que Fourmi des Sables est capable de survivre sur les poubelles des géants qu’il faut fuir. Mieux qu’elle.

Elle dépasse à toute vitesse les milliers de petites mandibules accrochées à leur pitance.

Décidément ce camping est bien triste.

Araignée des Pins n’y retournera pas l’été prochain.


 

Offrande à Fourmi des Sables. Photo 1: Temps T, Photo 2: Temps T plus quelques heures.
Offrande à Fourmi des Sables. Photo 1: Temps T, Photo 2: Temps T plus quelques heures.

Offrande à Fourmi des Sables. Photo 1: Temps T, Photo 2: Temps T plus quelques heures.

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LES BONOBOS N’ONT PAS LA WI-FI

par Claire Sibille

publié dans Cette société - c'est la notre ! , Le métier de Psychothérapeute , Malheureusement tout est vrai !

LES BONOBOS N’ONT PAS LA WI-FI

Billet d’humeur hypersensible

 

Dans le  film « Pleasantville », deux jeunes pénètrent dans la série télévisée qu’ils aiment en traversant l’écran, et transforment l’histoire des acteurs par leurs interventions. Penchée sur mon écran face à la personne que j’accompagne en séance de visio-thérapie, j’essaie de toutes mes forces de faire de même chose, mais je n’y arrive pas ! Mon corps reste désespérément au même endroit, et je me retrouve au bout du compte avec la nuque raide, les sourcils froncés et les abdominaux tendus comme signes corporels visibles de mon empathie affective. 

Je ressemble à un bonobo cherchant à réconforter un partenaire séparé de lui par les grilles d’une cage et souffrant de ne pouvoir le prendre dans les bras, ou juste lui mettre une main sur l’épaule, voire sentir une chaleur corporelle de proximité.

Je sais, j’exagère. Un peu. Les séances visio marchent très bien avec certaines personnes. Et même avec la plupart après quelques essais. Quant aux séances par téléphone elles sont même parfois plus efficaces qu’en direct dans certaines situations très précises : difficulté importante dans les contacts, situation traumatique porteuse de honte, besoin de confidences cachées à l’ancienne, un peu comme dans les confessionnaux.  

Mais je ne peux assurer que quelques séances virtuelles en restant efficace, contrairement à certain.e.s qui arrivent à les multiplier. Hypersensibilité à l’écran, me dit-on, ce qui m’agace assez. En effet, pourquoi Hyper ? Sur quelle échelle de valeur ? Donc de jugement ?

Imaginons un rhinocéros versus un suricate. La tribu des rhinocéros va juger que les suricates sont vraiment TROP des hypersensibles ! Et certes, ils sont plus souvent en alerte que les rhinocéros et leurs larmes… de crocodiles. Ils ont la peau plus fine, les oreilles plus pointues, et un nez qui bouge dans tous les sens plutôt qu’une corne dont la poudre est censée soutenir les virilités défaillantes. 

Mais dites-moi, pourquoi le rhinocéros serait l'étalon auquel rapporter toutes les mesures de sensibilité ? Pourquoi la tribu des suricates ne déciderait-elle pas que ce sont les rhinocéros qui sont TROP hyposensibles ? Une histoire de pouvoir et de mâles alpha peut-être ? Les rhinocéros seraient-ils plus représentés que les suricates dans les sommets de nos pyramides humaines ? Y compris chez les « psys » ? Quelle surprise…

Et voyez-vous ça, le dictionnaire automatique de mon ordinateur reconnaît le mot hypersensible mais pas celui d’hyposensible : je le rajoute donc d’un clic affirmé de la part de la tribu des suricates !

Dans la démarche de psychothérapie non médicale qui est la mienne, il était normal d’interrompre totalement les séances en présence pendant les 55 jours du confinement et elles ne reprendront que très progressivement. Pourquoi si progressivement ? Parce que pire que la visio-consultation, il y a la consultation masquée ! Comme ces images d’enfants tout jeunes parqués chacun dans son carré dans la cour de récréation ou derrière une boîte en carton sur leur table, la consultation thérapeutique avec masque me fait entrer de plein fouet dans un monde délirant auquel je ne veux pas participer. Je porte mon masque avec rigueur dans tous les espaces nécessaires, et j’en trouve le port évident pour toutes les professions médicales, là n’est pas la question. Mais pas dans mon métier, mieux vaut encore l’écran ou le téléphone.

Mais peut-être là encore vais-je muter et m’adapter ? Qui sait. L’empathie affective est censée diminuer au fur et à mesure que la distance augmente car c’est une compétence qui s’inscrit profondément dans le corps à corps et le partage émotionnel entre le bébé, l’enfant et ses figures d’attachement. 

Mais peut-être d’autres formes de cette qualité essentielle vont prendre la relève dans la dystopie que nous traversons ?

Ce qui est sûr c’est que si les bonobos n’ont pas la wi-fi, ils ne portent pas non plus de masques. Par contre ils pratiquent régulièrement la distanciation sociale en cas de maladie contagieuse, oui, oui, vous pouvez vous renseigner. 

Le super bouquin de Franz de Vaal.

Le super bouquin de Franz de Vaal.

LES BONOBOS N’ONT PAS LA WI-FI

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