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cette societe - c'est la notre !

Le Psychothérapeute indépendant : quelle voix dans le combat social?

par Marie-José SIBILLE

publié dans Cette société - c'est la notre !

La douleur au travail, la paralysie face aux injonctions paradoxales de notre système, la peur pour nos enfants, l’insécurité provoquée chez la plupart par l’obésité financière d’un petit nombre, et plus encore ; le sentiment d’impuissance qui fait écho à la toute puissance affichée sans vergogne par ceux qui nous gouvernent en plein jour, et pire encore ; l’impossibilité d’agir contre ceux qui gouvernent vraiment, ceux qui ont compris que c’est en fuyant la surexposition du premier rang que l’on maintient le plus son emprise, et plus encore ; l’angoisse, la peur de manquer, le rapport obsessionnel à l’argent, l’addiction à la consommation, dont un collègue me disait avec humour qu’elle était la seule alternative à la révolution, et pire encore, que j’oublie, que je laisse partir dans le flot.

Le bruit de ces douleurs grandit chaque jour dans les pièces closes où se déroulent les séances de psychothérapie. Vont-elles tenir le choc ?

Il y a, d’abord, un questionnement clinique : comment accueillir cette souffrance sans la banaliser ? Comment l’écouter sans la transformer immédiatement, par un de ces tours de passe-passe dont certains sont friands, en système défensif mis en place par une personne qui parlerait de son travail ou de ses conflits sociaux pour éviter de toucher des réalités plus intimes ? Comment entendre un symptôme social quand il s’exprime à travers un individu ? Comment soutenir la personne sans la victimiser ? Comment lui permettre d’accéder à ses ressources pour qu’enfin elle se sente riche et capable de prendre sa place dans le monde, non pour renforcer le rang des nantis et des sourds, mais au contraire pour partager son parcours et ses fruits ?

Chaque psychothérapeute réagira selon ses convictions et ses ressources propres. Et aussi selon le chemin qu’il aura lui-même parcouru, c’est une des clés de notre métier, pour traverser ses zones d’insécurité, et les  dissonances éthiques qui parsèment la vie de chacun d’entre nous.

Il serait facile d’instrumentaliser « la Psychothérapie » pour en faire une autre pensée unique qui, enfin, amènerait la bonne parole. Cela a été fait pour « la » psychanalyse, les philosophies, les religions. Mais il est tout aussi facile de se cacher derrière la pratique clinique pour ne pas se positionner, surtout en tant que praticien libéral qui n’a pas, ou plus, à subir la pression quotidienne du travail en institution ou en entreprise. Certes nous avons d’autres défis, en particulier d’assumer jour après jour notre éventuel sentiment d’insécurité ; mais cette liberté souvent chèrement acquise nous pousse trop souvent à détourner le regard du monde social, parfois simplement parce que nous reconnaissons notre humaine fragilité.

Heureusement, le gouvernement ne nous oublie pas, lui, et veut nous couper les ailes par l’intermédiaire de la loi Hôpital 2010.

Or, contrairement à ce à quoi les dirigeants politiques actuels veulent la réduire pour pouvoir la récupérer plus facilement, la Psychothérapie n’est pas un antidépresseur parmi d’autres, dont il faudrait apprendre la prescription sur les bancs de l’université ; elle peut aussi se vivre comme une pensée complexe et originale, issue de la pratique clinique aux multiples visages des années 70, transgressive, créative, bouillonnante et féconde, dont l’une des bases a été, et reste encore, d’intégrer le corps et l’émotion, de ne pas réduire l’homme à ses mots, même aux mots subtils issus de la cure psychanalytique et de l’inconscient. Et je parle bien d’intégrer le corps de chair et de sang, de vie et de souffrance, celui qui dit « j’existe, ici et maintenant, et c’est bien tout ce qui te permet d’exister aussi dans l’ici et maintenant ; alors prends soin de moi, écoute-moi, pas seulement en prenant soin de ma santé, mais surtout en écoutant ce que j’ai à dire de tes limites, et de tes possibles créations, de ce tout petit champ d’action qui t’est prêté jusqu’à ce que la mort nous sépare ».

La psychothérapie a donc potentiellement exactement la place qu’a pris la psychanalyse au début du 20ème siècle, par la conséquence d’un mouvement qui avait largement commencé dans la fin du 19ème; elle pose d’ailleurs le même indispensable lien entre le travail sur soi et l’accompagnement des autres, elle affirme que le premier outil sur lequel doit travailler le psychothérapeute c’est le psychothérapeute, et non un savoir supposé extérieur, objectivable, et transmissible uniquement par les livres et le discours.

Toute théorie, même complexe, est réductrice. Loin de nous donner les clés du monde, elle est une manière d’appréhender le réel, la possibilité de s’accrocher à un bout de ciel, sans prétendre comprendre l’ensemble de l’univers. La réflexion sur la souffrance humaine est toujours la base de profondes modifications sociales, que ce soit par le biais de la religion, de la politique, de la philosophie ou de la psychologie, de la sociologie ou de l’art.

Parmi les portes ouvertes par les théories concernant la psyché sur une meilleure prise en compte du réel, l’aliénation intérieure que nous nommons « folie » est féconde ; elle nous permet de mieux appréhender l’aliénation collective qui apparaît trop souvent dans ce que nous nommons « société ». Mais inutile d’aller jusque là : la souffrance quotidienne qui fait précisément l’objet de la psychothérapie, la souffrance du lien, qu’il soit intime ou social, dans la famille ou au travail, dans le couple ou dans les rapports de pouvoir, cette souffrance du lien qui parfois, trop souvent aujourd’hui, se transforme en douleur insoutenable, cette souffrance là est très inspirante pour réfléchir sur le monde.

Comment s’étonner alors que ce gouvernement qui brandit la peur comme étendard de ralliement, comment s’étonner que ce gouvernement qui reconnaît seulement « manquer parfois de pédagogie » envers les petits enfants que nous sommes, que ce gouvernement qui est incapable de répondre présent aux vrais défis de notre époque, ce gouvernement dont beaucoup de membres ne pensent qu’au moment où ils prendront leur retraite avec le plus d’argent possible au fond des poches, et en tous cas dont tous les membres sont apparemment sourds à la souffrance provoquée par leur manière d’envisager le travail et la répartition des richesses, comment s’étonner que ce soient eux qui veulent mettre la main sur la psychothérapie, sous prétexte de protéger les usagers ?

La psychothérapie est en train d’être récupérée et réduite d’un côté, marginalisée de l’autre. J’ai jusqu’en mai 2011 pour choisir entre ces deux termes, ou essayer d’en trouver un troisième. C’est l’effet de la loi, qui signe l’inclusion et la socialisation d’un côté, l’exclusion et la mort sociale de l’autre. Souvent protectrice, et tout aussi souvent castratrice et totalitaire, inquisitionnelle.

Je prends un risque en m’exprimant comme cela. Pourquoi le faire ? Pourquoi ne pas me contenter de continuer à creuser ma tanière, en sachant que je fais partie des privilégiés qui ont le choix, de nombreux choix.

C’est une dissonance éthique que je ne me sens pas capable d’assumer, tout simplement.

La psychothérapie m’a enseignée qu’une des choses les plus importantes dans la vie, c’est de prendre soin les uns des autres. En cela, c’est un véritable « service public ». Je ne veux pas la privatiser de facto en me fixant sur mes propres intérêts, même en pensant que cela pourrait, éventuellement, protéger également les intérêts des personnes qui me font confiance. Je ne crois pas qu’ils souffriront de savoir que « leur psy » a un engagement social et politique. Ce sont de grandes personnes. Souvent même de très grandes personnes, puisqu’ils ont accepté de se remettre en question, d’aller rencontrer leur enfant intérieur, leur tout petit, de lui redonner vie dans les mots, les émotions, dans le corps. Ils acceptent leur part dans les conflits, se remettent en question dans leur souffrance, et dans la souffrance de leurs proches.

Je ne saurai les utiliser comme prétexte pour justifier mon silence.

Surtout quand je m’interroge : qu’en est-il de ces hommes et ces femmes de pouvoir qui ne mettent jamais de mots, encore moins d’émotions, sur leurs haines et leurs rejets, sur leurs colères qui assassinent, sur leurs accointances perverses, faisant ainsi le lit de tous les passages à l’acte possibles ; ces hommes et ces femmes de pouvoir qui ne supportent même plus l’existence, dans ce qu’ils pensent être leur pays, d’une cour des miracles, de bouffons du roi et du droit d’asile dans les églises ; ces hommes et ces femmes de pouvoir qui habillent des vêtements du bien commun la nudité crue de leurs pulsions archaïques jamais travaillées, jamais assumées, transformant ainsi la République en épouvantail où les corbeaux font leur nid ?

 

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Laver ou ne pas laver sa voiture ? Mise à jour 2019.

par Marie-José SIBILLE

publié dans Cette société - c'est la notre ! , Le quotidien c'est pas banal

Laver ou ne pas laver sa voiture ?

Juillet 2019 

 

Une des nombreuses questions essentielles et existentielles qui se posent à l'Homo Ecologicus 2019.

Je l'ai déjà abordée en 2010, voir ci-après le dessin.

La vieille voiture de cette année-là est bien morte.

La nouvelle malheureusement indispensable ne nous a pas fait changer d'avis sur le sujet.

Nous fantasmons sur une roulotte tirée par nos deux ânes, un vélo électrique en plus du scooter déjà acquis, le vélo pur et dur est au-dessus de mes forces dans les vallons où nous habitons. Un char à vent et à pluie, une mini-montgolfière, une voiture solaire, ou tout simplement avoir le temps de tout faire à pied ... Ou encore l'invention par un savant fou de la téléportation, bien plus utile que les clones qui se multiplient ici et là dans le monde, comme si nous n'étions pas déjà assez nombreux.

En attendant ces fruits de l'intelligence humaine, la voiture transporteuse d'ados et de courses est belle et bien là, il faut l'assumer. Mais pas la laver ! Sauf à l'éponge et eau de pluie éventuellement. 

Quelques évènements m'ont poussée à reprendre ce thème typique de l'utilisation délirante de l'eau potable.

D'abord le choc de voir encore une fois la queue, en pleine canicule, devant l'énorme éléphant bleu qui m’invite cordialement à venir sous sa trompe faire laver ma voiture.

À côté de lui s'est opportunément installé depuis 2010 un vendeur de pizzas, preuve s'il en est de l'affluence attendue sous les rouleaux décapants. Pile le temps de faire cuire votre pizza, la voiture ressort toute belle.  

La radio hurle alertes canicule et sécheresse, et des hommes  dépensent des trombes d'eau potable pour ... ?

Dans la foulée, la radio mentionne les paquets de paille en plastique à usage unique vendus par Donald Trump pour financer sa campagne présidentielle. Et des êtres humains les achètent. En plus juste au moment où l'Europe les déclare écocidaires. "Fuck" les écolos européens. Excusez-moi, ça passe mieux en anglais. Et peut-être n'y a-t-il même pas pensé, évitons la parano.

Mais en attendant, c'est VRAIMENT le monde dans lequel je vis et pas un mauvais trip dû à un produit phytosanitaire que j'aurais ingéré par erreur.

Je me couche donc sur le capot et j'essaie d'attaquer la descente tranquillement. Car la haine m'a prise aux entrailles pendant une très très longue seconde, je ne vous le cache pas.

Surtout épargnez-moi les bons conseils du style "mais arrête donc d'écouter la radio" ! J'ai fait le choix de ne pas totalement me couper de l'actualité, tout en me préservant de longues périodes sans. Cet entre-deux frontière me convient bien tant la tentation du déni est le propre de l'Homme.

Respiration ventrale, contact avec la nature, chaleur humaine des personnes qui m'entourent, expression créative, j'ai survécu encore une fois.

Sans laver ma voiture. 

 

 

 

Dessin issu du site ci-dessous

Dessin issu du site ci-dessous

Laver ou ne pas laver sa voiture, telle est une des nombreuses questions

Version du 4/02/2010

 

Quand j’accepte de quitter mon coin de nature, je passe devant quelques officines qui m’interrogent, assez agressivement pour tout dire. L’une en particulier : un énorme éléphant bleu m’invite cordialement à venir sous sa trompe faire laver ma voiture. A voir le nombre de personnes qui attendent leur tour, je sens le doute m’envahir. Et si je loupais quelque chose ?

Evidemment j’ai un argument massue à faire valoir à ceux qui pourraient me suggérer d’aller au moins faire un tour pour voir : utiliser quelques centaines de litres d’eau potable pour faire briller ma vieille carriole, jusqu’à la prochaine pluie, c’est-à-dire une moyenne de deux heures au plus dans ce Béarn où j’habite, me laisse perplexe. Me vient immédiatement à l’esprit l’image d’un éthiopien, cherchant à s’abreuver avec une paille, couché contre un marigot, et j’hésite.

Mais.

Il paraît que la consommation d’eau potable chez moi n’a rien à voir avec le marigot de l’éthiopien. Je veux bien l’admettre, je n’ai pas suffisamment bûché la question pour argumenter scientifiquement,c’est-à-dire bien sûr de manière rationnelle. Donc il s’agit juste d’un problème moral, d’un conflit entre moi et moi, une incompatibilité d’images intérieures.

Poursuivons.

Ma voiture vit à la campagne, et si nous avons construit des étables pour les ânes, des cabanes pour les chèvres et des niches pour les chiens, ainsi que nichoirs et mangeoires pour les petits oiseaux, il ne nous est jamais venu à l’idée de construire un garage. J’exagère. Cela nous est venu à l’idée, enfin à mon mari, mais cette idée n’a jamais descendu les multiples couches, de plus en plus denses, de plus en plus résistantes, nécessaires à l’incarnation.

Elle vit donc dehors, quel que soit le temps. Telle un vieux sanglier, elle aime particulièrement les bains de boue, très efficaces contre les parasites et les manifestations viriles et humides de nos chiens ; et puis s’ébrouer en grognant de plaisir, en dévalant le chemin cahotant qui nous relie à la vie sociale. Bon an mal an, elle a acquis une hygiène particulière mais réelle ; vous savez sûrement qu’il vaut mieux ne pas commencer à laver un animal, ça le fragilise et vous serez obligés de vous y recoller régulièrement. En laissant faire la nature, vous verrez que la capacité autonettoyante de la vie est très au point. Malheureusement, j’ai commencé mes bains à un âge où je ne pouvais affirmer cette position avec assez de force pour être entendue, et je suis depuis vouée à la douche quotidienne.

En plus du conflit moral, je viens donc d’identifier que m’habite l’esprit de revanche.

Pour en finir avec ces interrogations torturantes : dans la semaine, ma carriole a accueilli trois enfants en bas âge et leur goûter, deux bottes de paille pour les chèvres, une visite au vétérinaire pour mon gros chien poilu, un tas de bois à remonter pour le chauffage. Enfin, la rupture d’un sac de farine le jour du ravitaillement mensuel a permis de sabler l’ensemble ; j’ai terminé le ménage avec la paille qui restait des chèvres, c’est efficace.

Quand j’irai à Paris recevoir les lauriers pour le futur livre que j’éditerai bien un jour, je n’irai pas avec ma vieille carriole.

En plus du conflit moral, et de l’esprit de revanche, me voilà embarquée dans la pente si facile des plus hautes trahisons.

  

  

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