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cette societe - c'est la notre !

Ecrire du Noir … pour ne pas en broyer !

par Marie-José Sibille

publié dans Cette société - c'est la notre ! , Des livres profonds ... comme une psychothérapie ! , Le quotidien c'est pas banal !

Ecrire du Noir … pour ne pas en broyer !

 

 

A douze ans je dévorais les Rougon Macquart de Zola, une série culte du 19ème siècle : Nana, l’assommoir, Au bonheur des Dames, Germinal … Cette atmosphère de charbon, d’avidités et de luttes, c’est celle du roman réaliste, origine de la littérature noire.

Pourquoi moi, fille apparemment bien protégée de la bourgeoisie intellectuelle des années 70 étais-je à ce point passionnée par Zola ? Les livres ne manquaient pas à la maison, et beaucoup m’ont marqué et ouverts au monde. 

Zola ?

C’était noir, sombre, dense. 

Cela me faisait du bien, je ne savais pas pourquoi.

Maintenant je sais. Zola parlait des corps et des émotions. Il parlait, comme Hugo, des sans parole, les enfants. Il parlait des femmes aussi, dont la parole ne pesait pas plus qu’un souffle de vent. Il disait leurs souffrances. Il levait des tabous : la prostitution, l’alcoolisme des hommes et aussi celui des femmes frappé d’interdiction totale, la dépression comme maladie sociale, les violences conjugales, et même l’homosexualité féminine. 

Il osait, grâce à la littérature noire, sortir l’ombre en plein jour. 

Une des approches de la souffrance condamne l’individu à la loi brutale du groupe, groupe perçu comme un lieu de combat pour la survie, au détriment de toute forme de résilience, de créativité et de solidarité envers le plus fragiles. La souffrance apparaît souvent ici comme innée, incluse dans le sang et les gênes, destinée aux pauvres et aux esclaves, aux femmes et aux enfants, aux porteurs de troubles diagnostiqués avant l’âge de trois ans. 

A tous les exclus.

Les romans réalistes pourraient sembler de ce registre. 

Sauf qu’il y a toujours, chez les meilleurs auteurs, un soupçon d’espérance et de compassion, voire d’humour noir et d’inversion des rôles. Sauf qu’ils nous entraînent à l’empathie, à sortir de nos vies cloisonnées, à nourrir la mixité sociale.

J’ai toujours trouvé le 19ème siècle terrible. De grandes ruptures, des abus ahurissants, qui engendrèrent des grandes haines dont nous avons récolté les fruits au siècle suivant, et encore maintenant, de plus en plus maintenant, à nouveau. 

Et qui pour en rendre compte, si ce n’est ces romans ?

Merci Zola pour L’assommoir et Germinal, merci Hugo pour Les Misérables.

Illisible aujourd’hui ? Trop long. Trop charnel. Pas assez photoshoppé ?

Peu à peu, Nana avait pris possession du public … Le rut qui montait d'elle, ainsi que d'une bête en folie, s'était épandu toujours davantage … elle retournait la chair d'un geste de son petit doigt. Fauchery … eut la curiosité de regarder … le gros Steiner, dont la face apoplectique crevait, … Daguenet dont les oreilles saignaient, et ils remuaient de jouissance. 

Et la voilà morte, à la fin du roman :

Nana restait seule, la face en l’air, dans la clarté de la bougie. C’était un charnier, un tas d’humeur et de sang, une pelletée de chair corrompue, jetée là, sur un coussin. Les pustules avaient envahi la figure entière, un bouton touchant l’autre …

A vomir n’est-ce pas ?

Zola, c’est l’anti-résilience, le fatum des romains, la condamnation dès la naissance à la délinquance, à l’alcoolisme, au « vice », comme un vice de forme, un vice caché que rien ne peut empêcher de se manifester. Même celui qui essaie de s’en sortir, par sa droiture et son travail, a la tête bientôt replongée dans la boue du monde. C’est le thème de l’Assommoir.
Ainsi cette fatalité nous révolte-t-elle et nous donne envie d’agir, un peu comme certains tyrans provoquent, par leurs excès, des unions transformatrices du lien social.

 

A l’opposé, les visions à l’eau de rose peuvent inspirer l’agacement face au déni, un agacement qui pourrait se transformer vite en violence. Il y en a aujourd’hui des négationnistes de la souffrance, parfois même sous prétexte de psychologie positive ou de développement personnel. Pourtant certains des auteurs psys ou philosophes les plus populaires, Christophe André, Boris Cyrulnik, Alexandre Jollien, Maryse Vaillant … sont des hommes et quelques femmes, elles s’expriment moins, ce sont toutes des personnes donc qui ont souffert, voire qui souffrent encore au quotidien de leur origine, de leur handicap, de leur histoire. Et qui ont intégré cette souffrance comme une force, après avoir été capables de la partager.

 

En tant que thérapeute, il y a la question permanente de l’impuissance que nous ressentons face à la violence envers les plus fragiles, la douleur dans ce qu’elle peut avoir d’implacable, la mort dans ce qu’elle peut présenter d’injuste. Quel est le prix de cette impuissance ? Pour citer  un exemple d'intervention difficilement acceptable bien que banal, il y a cette députée russe, cette femme, qui déclare devant ses collègues qu’il n’est pas normal qu’un homme soit poursuivi pour avoir fait un bleu sur la figure de son enfant.

La violence éducative fait partie depuis trop longtemps des principes d’organisation de base de notre société, certes moins ici qu’en Russie ou au Congo, mais sans qu’à aucun moment notre démocratie ne règle définitivement le problème. Le refus du sénat de valider la loi contre les violences envers les enfants dans la famille, violences quand même qualifiées d’éducatives, les décisions du parlement russe de ne pas trop sanctionner les violences domestiques, montrent à quel point cette violence est structurelle. Et ces hommes qui nous gouvernent, ces femmes aussi, sont eux-mêmes, se sont elles-mêmes, construit(e)s autour de cette violence. Et nous les acceptons. Encore.

Les conséquences de cette organisation sociale sont terribles en termes d’agressions trop souvent mortelles envers les femmes et les enfants, et les personnes dépendantes aussi, en raison de l’âge ou du handicap. Viols, coups, incestes, humiliations, abus en tous genre commis la plupart du temps par des hommes eux-mêmes souvent victimes de la violence économique et sociale depuis leur enfance, ou au contraire dominants clivés et incapables d’empathie, agissant en toute impunité. 

Et non, ne les appelons pas animaux, bêtes ou prédateurs, laissons la nature hors de cela, cela qui fait intimement partie de la culture humaine. 

 

Où trouver la ressource d’une compassion consciente, différenciée qui inclurait ces actes. Je crois d’abord en assumant la colère et la révolte, et en l'exprimant dans une action résiliente, créatrice, thérapeutique, militante, artistique. La colère est rouge quand elle me prend face à une situation incompréhensible, ou quand elle se heurte de front à la limite que met heureusement l’autre à ma toute puissance. Mais elle devient noire quand l’injustice s’accumule et qu’elle doit, pour permettre la survie, se marier à la haine. 

 

Le Noir, s’il cache l’agresseur, protège aussi l’exclus. 

Ainsi, qui mieux que les auteurs du noir pour rendre compte des souffrances insupportables de tant d’êtres humains, de manière accessible au plus grand nombre possible

Comparativement peu de gens vont lire les essais de Naomi Klein sur le pouvoir des multinationales et leur violence implacable. Beaucoup plus, même si jamais encore assez, vont lire leur description rendue accessible par la fiction dans certains romans noirs. Les auteurs de littérature noire sont en effet souvent engagés socialement. Comme l’étaient Zola et Hugo.

 

Sans oublier qu'au niveau plus intime, nous avons tous une biographie noire, cachée, obscure, pleine de toiles d’araignées et de rats qui parfois pointent le bout de leur nez, trottinent dans notre tête ou notre ventre et nous font dire, non, le chemin n’est pas encore fini. 

Peut-être plus tard.

Mais pas encore.

 

L’ombre des secrets et des vies cachées, la violence intime et sociale incompréhensibles et injustes, toutes ces vies des exclus et des sans voix illuminent la littérature noire.

La lecture d’une nouvelle ou d’un roman noir peut ainsi faire oeuvre au noir alchimique, transmutation, rédemption. 

Ne parlons pas de son écriture.

Lavée par les émotions ressenties, des envies d’agir, des besoins de résilience sociale me prennent.

Des envies d’être avec, de prendre la main aussi, ou de la donner.
Des envies d’éclairer l’ombre et d’adoucir la lumière.

 

Où en est mon recueil de nouvelles noires : "Juste un mauvais moment à passer" ? Vous l'avez beaucoup apprécié et je vous en remercie ! Mais j'ai changé de prénom et je suis en train de refaire la maquette.

Très vite un deuxième tome avec plein d'autres nouvelles !

 

Ecrire du Noir … pour ne pas en broyer !

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Expliquer, est-ce excuser ? Une question importante en psychothérapie et en accompagnement de la personne.

par Marie-José Sibille

publié dans Cette société - c'est la notre !

Expliquer, est-ce excuser ?

Une question importante en psychothérapie et en accompagnement de la personne.

 

Lundi matin il était question sur France Inter des phrases prononcées par Manuel Valls pendant les cérémonies en mémoire des victimes de janvier 2015. Ces phrases ont été vite oubliées suite à la mort de David Bowie. Elles disaient : « Pour ces ennemis, … il n’y a aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà un peu excuser. Rien ne peut expliquer que l’on tue à des terrasses de café ». [1] Le premier ministre avait déjà mentionné qu’il « en avait assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications à ce qui s’est passé » (i.e. les attentats du 13 novembre).

Cette dernière phrase m’a particulièrement interpellée. En dehors des milieux les plus stigmatisants, nous devons aussi nous battre contre nous-mêmes dans les métiers de la relation d’aide pour ne pas juger les personnes, en particulier dans l’accompagnement des familles.

La recherche d’explication, car nous restons très en-deçà d’une quelconque vérité absolue, est une fonction de notre pensée qui appartient au domaine du questionnement scientifique ou philosophique. Elle est ici confondue avec la notion d’excuse, associée au jugement, ainsi qu'au pardon ou à la condamnation.

Quelle que soit par ailleurs la nécessité de la loi pour vivre ensemble, l'accompagnement thérapeutique nous apprend à chercher la cause des comportements parfois violents auxquels nous sommes confrontés.

Sinon à quoi servirions-nous ?

C’est la recherche des causes qui nous permet de proposer, dans l’ici et maintenant, des comportements éducatifs et psychoaffectifs qui, dans la relation avec le tout jeune enfant et avec les enfants devenus grands, vont nourrir un attachement sécure. Cet attachement sécure qui sera une des bases du développement de l’empathie, empathie corrélée à la présence d’ocytocine, cette hormone du lien que nous trouvons chez la mère du tout petit. Cette réflexion est à la base d'une prévention des violences sociales, car elle nous permet de penser aux entourages résilients, aux liens susceptibles de réparer un individu qui n’a pas eu cette possibilité de construction de base. Ces relations peuvent non seulement lui éviter de tomber dans la violence, mais parfois lui permettre même de développer un « surplus d’humanité » par rapport à d’autres personnes plus protégées. C’est le cadeau du traumatisme.

Epigénétique, attachement, résilience, éducation …

Parfois nous devrons nous arrêter au bord du gouffre, et admettre que nous n’avons pas encore trouvé. Surtout quand nous oublions que le faisceau d’explications, comme on parle d’un faisceau de preuves, est bien plus adapté à la complexité du réel qu’une explication unilatérale et déterministe. Certains chercheurs, ayant découvert quelque chose de souvent génial, pensent que c’est le passe-partout qui va donner la clé du monde et partent en croisade avec comme étendard leur idée « prouvée scientifiquement ».

Les passionnantes neurosciences, la biologie et l’éthologie, les toutes aussi passionnantes sciences humaines, sociologie, psychologie, philosophie, anthropologie sociale et religieuse … nous expliquent une petite partie du réel.

Quinze pour cent ? Vingt pour cent ?

Pour le reste, nous devons apprendre à vivre avec le mystère.

Et toujours chercher à expliquer et à comprendre.

Parfois ce sera l'art qui aura le dernier mot.

Ainsi, dans le beau livre « Nous rêvions juste de liberté » [2], le héros constate :

« Quand le juge m’a demandé pourquoi j’avais toute cette violence en moi … J’aurais bien voulu dire que c’était parce que mes parents étaient une belle paire de salauds tortionnaires … mais c’était même pas vrai … Non, si j’avais toute cette violence à l’intérieur, c’est peut-être simplement parce qu’il y avait la place ».

 

 

 

Pire que les piloris modernes ?

Pire que les piloris modernes ?

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