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ARMER LA RAGE : Années internationales de lutte pour les droits des femmes !

par Claire Sibille

publié dans Alterégales , Cette société - c'est la notre ! , Je suis psy mais je me soigne ! , Le métier de Psychothérapeute

ARMER LA RAGE

Années internationales de lutte pour les droits des femmes !

Chronique littéraire et témoignage commenté pour le 8 mars…

 et les jours qui suivent qui ne seront pas mieux…

 

"Une fille, c'est comme une carafe : qui la casse, la ramasse"

Viola Ardone

Le choix, Albin Michel

 

Armer la rage est un livre qui se lit très rapidement, comme un cri sort du ventre. Mais un cri très bien étayé, illustré de nombreuses histoires. L’auteure, Marie-Pier Lafontaine, elle-même victime, nomme toutes les conséquences d’une agression sexuelle et décrit très bien le stress post-traumatique qui en découle. Je ne vais pas le détailler ici, je l’ai fait dans beaucoup d’autres articles de mon blog et dans mes livres, en particulier le recueil sur les traumatismes de l’enfance.

Mais je veux renommer une des conséquences les plus terribles, et les plus incompréhensibles par les institutions policière, judiciaire ainsi que par les psys pendant longtemps, voire encore aujourd’hui, une conséquence à laquelle je suis régulièrement confrontée dans mon travail de thérapeute : la répétition traumatique.

Comment accepter qu’une jeune fille violée se mette en situation de maltraitance, d’emprise, de surexposition ? Qu’elle se drogue ou s’alcoolise au point de ne plus pouvoir discerner le danger ? Qu’elle se retrouve – comme par hasard – dans des lieux ou dans des relations où elle revivra le même traumatisme ? Qu’elle n’arrive pas à dire non ? Cette répétition, incompréhensible pour qui ne l’a pas vécue, est souvent l’objet de jugement et dans tous les cas d'incompréhension. Or elle est liée, nous dit l’auteure, au sentiment d’avoir survécu à la mort : « La répétition traumatique serait une manière de comprendre que nous avons frôlé la mort et que nous n’en sommes pas mortes ». Et c’est un fait, se mettre régulièrement en danger, d’une manière ou d’une autre, est une des caractéristiques des nombreuses victimes de ce genre d’agression que j’accompagne. Une signature du traumatisme.

D’ailleurs, apprendre à le repérer par celles et ceux qui s’occupent d’adolescents devrait être indispensable. Car si beaucoup d’adolescents jouent avec la limite, la victime se met ouvertement en danger, voire à même de revivre le traumatisme subi.

Mais tout n’est pas perdu grâce à la résilience, ce mot si mal compris, souvent mal utilisé, voire même manipulé par les agresseurs ou les professionnels, comme une faute supplémentaire de la victime qui n’arriverait pas à mobiliser cette ressource. L’équivalent du coup de pied aux fesses que l’on propose encore aux personnes atteintes de dépression.

Marie-Pier explique particulièrement bien que nous ne sommes pas résilientes : il n’y a pas d’un côté les douées et de l’autre les nulles, celles qui ont bien mérité ce qui leur est arrivé. Nous ne sommes pas résilientes. Nous faisons résilience, grâce à la créativité, l’écriture en particulier, la sororité, la militance, grâce aussi à l’évolution de la société. Car comme cela est rappelé pour de multiples causes, en particulier la cause environnementale, le politique, à travers la police, la justice, les soins aux victimes, est censé nous protéger. Que faire alors quand il ne remplit pas son rôle, ou si mal ? Que faire quand loin de protéger il retraumatise ? Voire, dans trop de pays, qu’il est à l’origine de l'agression ?

Écrire, parler, chanter, se battre ensemble. Survivre. Puis vivre pleinement. Et même mieux. Avec plus de conscience de l’essentiel, plus d’empathie. C’est possible.

Ainsi ces agressions subies peuvent produire des fruits positifs inattendus, comme une sorte d’initiation brutale, du genre de celles pratiquées par certaines tribus à l’aide de fourmis rouges et de marches pieds nus dans les braises. Car le contact avec la mort, caractéristique de tout traumatisme, peut faire grandir. Mais à quel prix ? Et ce prix est-il indispensable ? Non. Nous devons, ensemble, faire diminuer ces agressions et ces violences. Diminuer car elles ne disparaîtront jamais. Et prouver ainsi que grandir en étant protégé.e est aussi possible.

J’ai été violée il y a longtemps, j’avais 13 ans, et j’ai réussi, aux alentours de la quarantaine je dirai, à « résilier » ce traumatisme inscrit dans mon corps et mon âme. Pour y arriver, j’ai utilisé toutes les armes nommées plus haut.

Dans certains cas, viols de guerre, d’honneur, racistes ou pathologies avérées, la violence, c’est-à-dire le désir de meurtre, et la haine de la femme sont à l’origine de cet acte banal. Oui, banal. Aux États-Unis une femme est violée toutes les 68 secondes (selon les chiffres connus), toutes les 17 mn au Canada, le pays de Marie-Pier Lafontaine. Toutes les 20 mn en France, où j’habite. Et nous parlons de pays, encore peu nombreux, où le viol est considéré comme un délit, voire un crime.

Dans mon cas je ne pense pas que le désir de meurtre ou la haine de la femme aient été la motivation de ces jeunes hommes. Juste l’impossibilité de contenir une frustration, ils n’ont pas été éduqué pour. Ni pas leur famille, ni pas la culture, ni par l'école. Leur impuissance à dire NON à leur pulsion s’est transformée en une incapacité à entendre le NON de l’autre, qu’il soit formulé ou inscrit dans tous les refus de son corps.  

En écrivant ce témoignage, je dois transgresser plusieurs tabous, et cela reste sensible même si ce n’est pas la première fois. Pourquoi ?

D’abord, il y a l’idée encore bien ancrée, adaptable à de multiples autres situations, qu’un psy doit être comme un miroir anonyme, sans histoire, sans parole. Je ne le crois pas. Je crois même que j’ai le devoir de l’écrire, c’est-à-dire de le mettre à disposition sans jamais l’imposer. L’auteure de l’essai défend aussi cette position en parlant de « littérature de combat ».  Et les retours sur mon travail quotidien sont la preuve que ce n’est pas un obstacle. Non pas que j'ai envie de raconter ma vie, ni d'exposer mon intimité à tout bout de champ. Je n’ai jamais publié une photo de mes enfants sur les réseaux sociaux (sauf une exception, dix ans après, pour une manif pour le climat…), à peine une de mes ânes ou de mes chiens ! 

Mais la clé à comprendre, la clé dont les femmes (et les plus rares hommes) doivent se saisir, est celle-ci : le viol ne fait pas partie de mon intimité. Je répète, pour être sûre d’être entendue : le viol ne fait pas partie de mon intimité. Le viol est une agression de mon intimité permise par la société et la culture patriarcale que nous ingurgitons depuis des millénaires.

Si j’avais eu un accident à cause d’un chauffard ivre ou si j’avais été victime d’une guerre, je n’hésiterai pas à en parler. Être victime d’un chauffard ou de la guerre autorise la parole. Mais un viol ? Non.

Et c’est le deuxième tabou à franchir pour écrire un article comme celui-ci. Si ça reste difficile de parler des agressions sexuelles subies, c’est à cause de la transgression sociale qu’elles représentent toujours… du côté de la victime ! Dans le viol, il est encore supposé, même pour des enfants, que la victime a sa part. Et souvent plus que sa part. À elle de porter la honte, car il faut bien que quelqu’un la porte, et ce ne sera ni l’agresseur, ni la société, ni la culture. À elle aussi de supporter trop souvent les conséquences : exclusion, humiliation, mariage forcé, perte d'emploi, mise au placard... Double peine.

Ainsi les femmes, les victimes, continuent à se taire la plupart du temps, malgré #MeToo et #Balancetonporc. Bien sûr qu’elles se taisent. Pour protéger la famille. Protéger le conjoint ou les enfants. Protéger le père ou la mère. Mais aussi. Ne pas savoir comment dire. Ne pas savoir à qui dire. Et parfois même ne pas savoir quoi dire.

Quand j’avais 13 ans, dans les années 70, aucune conscience du viol et de ses conséquences n’existait de manière visible dans la société.

Ça ne se nommait pas. Ça n’avait aucune raison de se dire dans un poste de police. Et, comme je l’ai découvert bien plus tard, Ça n’avait même pas sa place dans le cabinet de pas mal de psys rencontrés. Et donc, comme Ça n’avait pas de mots pour le dire, Ça n’existait pas. Ça n’a pas existé pendant longtemps. Mais c’était un fantôme inscrit dans ma chair qui tirait certaines ficelles de ma vie sans que je ne m’en rende compte, c’est ce que font les traumatismes.

À la fin d’un jour qui a duré des années, j’ai pris le fantôme à bras le corps, avec les personnes adéquates, avec l’écriture aussi. Il s’est débattu car il voulait continuer à vivre. Mais cette fois-ci, j’ai été la plus forte. Juste que le combat a duré 150 rounds et qu’il a fallu faire avec le temps passé à affronter et apaiser ce fantôme, transformer le temps perdu en temps utile, en temps de création, de rencontres, d’empathie, de conscience, de maturité.

Car les fantômes laissent parfois des cadeaux avant de s’évanouir dans la nuit.

Aujourd’hui, Ça n’existe plus en moi que comme une trace mnésique complétement digérée et intégrée. Et je peux le nommer. C’était un viol, c’est-à-dire un crime, même si je ne pourrais jamais traîner ses coupables en justice. Je ne ressens aucune colère, aucune tristesse, parfois encore quelques peurs, mais elles ont pu naître d’ailleurs.

Pourquoi cela bouge-t-il si lentement ? L’histoire de la criminalisation du viol est éloquente. La société, et la justice, nous prouve tous les jours que la réalité du viol en tant que crime n’est pas intégrée. Chez nous par exemple, jusqu’en 2010 c’est-à-dire hier, le viol conjugal n’existait pas. Et combien d’histoires je pourrais raconter de dossiers qui traînent pendant des années dans le bureau d’un juge, d’hommes connus en liberté croisant chaque jour le chemin de leur victime, même mineure, sans qu’aucune protection ne soit instaurée ?

L’actualité est pleine de faits divers qui nous font renoncer, en tant que femmes, à porter plainte, seule une sur dix y arrive. Et, en 2020, 0,6% des viols déclarés en France par des majeurs ont fait l’objet d’une condamnation. Je vous laisse consulter les multiples sites qui commentent ce phénomène socio-culturel et politique indigne d’un pays qui se dit démocratique. Mais bien digne d'un pays imprégné de patriarcat dans chaque cellule de son corps social.

Et en attendant que ça change, lisez Armer la rage, de Marie-Pier Lafontaine, vous y trouverez force et ressources.

Claire Sibille

Écrivaine, psychothérapeute, écoféministe

 

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