« Encabanée », un livre dont on ne peut pas sortir… Et tant qu’à faire : pourquoi j’ai changé de prénom !
« Encabanée », un livre dont on ne peut pas sortir…
Et tant qu’à faire : pourquoi j’ai changé de prénom !
Du fond de ma cabane, je lis « Encabanée » de Gabrielle Filteau-Chiba. Il y a des livres qui osent sortir des sentiers battus, des livres qui soutiennent des combats essentiels tout en racontant une histoire prenante. « Encabanée » en fait partie. Les combats de Gabrielle sont les miens : féminisme et écologie, autrement dit éco-féminisme, la porte de sortie pour notre monde épuisé par des millénaires de patriarcat prédateur.
Dans ma cabane il fait chaud, l’été indien béarnais est là. Un peu trop chaud peut-être ? 30° à la fin du mois d’octobre en milieu d’après-midi, difficile de considérer cela comme normal. Mais je profite des couleurs, de la chaleur, de la présence des arbres, de l’incroyable chant des oiseaux. Je profite des papillons et des sauterelles. Se croient-ils tous au Printemps ?
La terre est aride, les feuilles se dessèchent aussitôt tombées, pas question de les brûler sous peine de contribuer à l’incendie du monde. Il y a déjà assez de pyromanes sans vouloir en rajouter. La plupart se présentent comme des pompiers mais attisent le feu dès qu’ils sortent des lumières médiatiques. Les maîtres du monde sont des pompiers pyromanes, en France comme au Québec à en croire la lecture d’ « Encabanée ». Ils sont arrivés au stade d’incendier leur propre maison et celles de leurs voisins innocents, aveuglés par l’avidité, rendus fous par la brillance de l’or qui leur cache celle du feu.
Dans ma cabane il fait chaud, dans celle de Gabrielle il fait très froid. -40° à l’extérieur, elle ne dit pas combien à l’intérieur, mais elle apprécie le jour où un chat errant vient lui servir de bouillotte. Et encore plus celui où un homme errant vient lui servir de couette.
Ce livre parle d’une rupture radicale avec une vie d’avant faite de confort et de consommation. Les ruptures radicales je connais bien. Mais pour la confrontation aux forces de la nature, je n’ai jamais été plus bas que les 4° dans ma chambre, la douche et la vaisselle à l’eau froide. Je n’ai jamais fait pire que dormir dans un fossé ou dans un champ de maïs et subir un orage dans la nuit en pleine montagne. Je n’ai jamais affronté de bande de coyotes affamés, juste un taureau en colère, une vache gourmande et un troupeau de cochons semi-sauvages ressemblant à des sangliers préhistoriques ! J’ai de la marge. J’ai un homme qui coupe le bois avec lequel j’allume le feu. Ça aide. Gabrielle coupe son bois toute seule, et il en faut du bois quand il fait -40°.
Personne ne comprend ses choix de vie. Ce sentiment je peux aussi le reconnaître, à chaque rupture le contexte change. Que reste-t-il de nos amours ? De nos ami.e.s ? De notre famille ? Faut-il à chaque fois tout reconstruire ? Est-ce tolérable de vivre plusieurs vies en une seule, des vies radicalement différentes qui transforment l’étape précédente en lointain passé, voire en l’histoire de quelqu’un d’autre ? Un ancêtre oublié ou une amie égarée peut-être ? Mais plus « moi ». Reste-t-il quelque chose d’une identité constante ? Il faut la chercher très loin pour la trouver, aux fins fonds de l’enfance et quelque part ailleurs aussi, par exemple dans le fil conducteur de l’écriture, dans les liens proches qui se réinventent et passent la frontière de mondes différents, dans l’amour qui impose ses priorités. Hors de l’espace et du temps.
Il semble que ce soit également le parcours de Gabrielle : se réinventer en prenant le risque de la solitude, et finir par trouver ce diamant qui ne change pas au fond des mémoires.
J’ai changé de prénom pour nommer la liberté trouvée au bout des chemins de traverse. L’ancien prénom ne me parlait plus. L’ancien prénom parlait des attentes de mes parents, elles-mêmes nourries des attentes d’ancêtres trop bavards de leurs exigences, trop taiseux de leurs blessures. Un nom, une lignée, un pays, une couleur de peau, parfois une religion. Une assignation à résidence. La mienne était riche de nourritures en tous genres, de blessures aussi, dont certaines auraient pu être mortelles avant d’être sources de vie augmentée. D’autres de ces résidences obligées sont comme des cases étroites sans fenêtre à la porte fermée où l’on s’entasse au-delà des limites. Mais l’injonction à ne pas franchir le seuil, que l’on appelle « loyauté familiale », est toujours présente. Alors un jour, ou plutôt jour après jour, défaire le bracelet qui se met à sonner dès que l’on essaie de quitter le champ clos.
Liberté.
Liberté de revenir aussi, parfois, comme dans ces jours de la Toussaint dédiés à ceux qui sont partis. Comprendre à nouveau, autrement. Car ce parcours était déjà celui de mes parents, nés à l’étranger et ramenés en France manu militari à la fin de l’enfance. Ramenés pour des tas de raisons politiques, incompréhensibles pour des enfants de dix ans obligés de quitter leur nounou et leur école pour débarquer dans un pays où le soleil leur a paru si froid. Toute leur vie ils ont cherché des cabanes où trouver la liberté, témoigné et vécu leur œcuménisme et leur universalisme. Mais il reste impossible de savoir s’ils ont pu désactiver leurs bracelets.
« Encabanée » parle de la liberté trouvée dans un lieu clos qui pourrait sembler une prison, impossible à quitter tant la nature sauvage nous y renvoie vite. La nature sauvage ou la violence des hommes. C’est un paradoxe qui n’est pas nouveau : depuis toujours des femmes et des hommes font cette expérience. Les recluses, les ermites, les cloîtré.e.s, les sorcières. Certain.e.s y ont trouvé la liberté, d’autres la folie. Impossible à prévoir. Impossible à juger.
Mais je ne peux que vous recommander si vous le pouvez de vous isoler un soir devant un feu de bois, de tendre l’oreille aux cris des chouettes et aux rayons de lune, et de plonger dans « Encabanée » au risque de ne plus vouloir revenir en arrière.
EXTRAITS :
"Fini, les soupers de famille où l'on évite les sujets chauds, où les tabous brûlent la langue et l'autocensure coince comme une boule au fond de la gorge."
"Les pionnières errent seules dans la foule. Leur regard transcende l'espace. (...). Comment fait-on pour s'éviter l'usure, le cynisme, l'apathie quand le peuple plie et s'agenouille devant l'autorité, consentant comme un cornouiller qui ne capte plus de rêves ?" (Note : le cornouiller est un arbre du Québec que les autochtones peuvent fumer).
"... se taire devant un tel risque environnemental, c'est être complices de notre propre destruction."
" Que la société continue de consommer et de polluer, mais qu'elle reconnaisse au moins les conséquences de ses gestes, toutes les carcasses d'animaux englués de pétrole, victimes de son indifférence, qu'elle soit hantée par l'odeur de la mort don elle est complice."
"Enfin j'avais découvert le sens à ma vie de féministe rurale : me dévouer à la protection de la nature, corps et âme. Le Printemps fertile n'était pas bien loin."