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la psychotherapie - de quoi ca parle

Faut-il être infidèle? Première partie.

par Marie-José SIBILLE

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

Le coupleIgor Prejlocage et Natacha Baïz dans le fameux “Ballet des Ciseaux Magiques”

Max Sauze

En ce moment, une publicité pour une voiture est en train une fois de plus d’écraser les limites du mauvais goût : « Avant Noël, changez pour une plus jeune ! » nous propose-t-elle, ou plutôt propose-t-elle aux hommes.

La sexualité est un sujet si banal dans les médias, et qui se vit si facilement par les acteurs des films et des séries ! On peut croire alors que pour « tous les autres », le sexe est sans problèmes ; mais pour chacun d’entre nous, il se trouve qu’il n’est jamais banal. Encore faut-il se demander si c’est vraiment la sexualité qui est en jeu dans l’infidélité. La souffrance qui s’exprime la plupart du temps dans ces situations montre que l’enjeu n’est pas là, ou dépasse cet aspect.

Les mots employés pour décrire l’infidélité ne manquent pas de sel : Adultère, entorse, coup de canif, liaison, aventure, écart, faute, frasque, extra, toujours fidèle au partenaire en cours, mais le cours varie souvent … quelle est votre façon de mettre un peu d’espace dans votre relation de couple ?

Alors commençons par quelques histoires :

-          Le corps du délit : Martine et Jacques se marient très jeunes, encore étudiants, par amour mais aussi sous la pression de leurs familles trop présentes qui veulent que le premier soit le bon. Vers trente ans, laissée de longs mois seule par son mari qui est en déplacement professionnel, Martine a une brève liaison, c’est le mot qu’elle choisit d’employer ; enceinte elle garde l’enfant qui sera étiqueté adultérin. Elle le dit à son mari, c’est le drame. Ce drame repose entièrement sur les épaules de Martine, quels que soient par ailleurs les écarts de son mari, c’est le mot qu’il choisit d’employer. Le divorce leur est impossible, leur vie de couple devient une dramaturgie permanente autour de l’enfant, avec les conséquences que l’on peut imaginer sur le développement de celui-ci.

-          Camarades ne voulant plus partager la même chambre : Rémi et Sylvie sont un couple moderne, camarades et parents : leur sexualité, qui a perdu de son piquant dans ce couple quasi incestueux, se permet une intrusion par l’intermédiaire d’un extra pour l’un et l’autre, extra prévu et accepté des deux côtés. Ils en parlent, essaient de vivre avec, impossible. Ils se séparent. Actuellement les deux familles recomposées, avec des partenaires encore différents, passent souvent leurs vacances ensemble dans une grande harmonie apparente, et peut-être authentique.

-          La clé des champs : Françoise utilise l’adultère pour se séparer de son mari, au grand soulagement des deux conjoints. Pendant un certain temps, elle a attendu avec espoir que ce soit son mari qui rencontre quelqu’un, pour ne pas avoir à porter la responsabilité de cet acte. Ils ne pouvaient se séparer sans infidélité d’un côté ou de l’autre. Mais cela a été très difficile pour cette femme, un vrai sacrifice, tant étaient ancrées en elle la notion de faute, tant étaient présentes les problématiques de loyauté. Malgré le plaisir de sa nouvelle liberté, jamais ressentie auparavant, elle porte encore le poids de cet acte. Elle a d’ailleurs changé de ville, rompant avec tout son environnement familier, pour que cela soit plus facile à supporter. 

-          La femme trompée n’est pas celle que l’on croit : Michel et Aline vivent depuis leurs vingt ans un couple fonctionnel, reliés par le travail, les enfants et leurs familles respectives. Michel entretient presque depuis le début une histoire parallèle avec une maîtresse à laquelle il reste fidèle. L’adultère, et toutes ses conséquences dramaturgiques, a lieu quand il trompe sa maîtresse. Elle se sent trahie, et l’épouse légitime de Michel se sent en danger pour la première fois. La nouvelle est tellement plus jeune que l’épouse et la maîtresse ! Michel parle beaucoup de sa peur de vieillir en séance, et aussi de l’impossibilité de renoncer à ce désir qui lui donne l’impression de commencer une nouvelle vie. L’équilibre et la stabilité de sa vie affective à trois finissaient par l’enfermer, et il manquait du courage nécessaire pour clarifier ses priorités dans la situation elle-même. Il choisit de tout quitter pour vivre avec cette jeune femme, très culpabilisé, et à la fois revendiquant haut et fort son besoin de vivre différemment.

-          Loin des yeux : René surprend un échange de courriels régulier et très amoureux entre sa femme Nadine, et un de ses collègues de bureau. Après vérification, il n’y a rien eu d’autre que cet échange, vécu malgré tout comme une infidélité par son mari. Nadine a exprimé « vouloir un peu de rêve » et « retrouver le sentiment d’être vue en tant que femme ».

-          Le divorce interminable : David et Caroline sont un couple recomposé, chacun ayant deux enfants qui sont grands maintenant. Le divorce entre Caroline et son premier conjoint, le père de ses enfants, n’est toujours pas prononcé. A chaque séance de thérapie de couple, l’ancien mari a une place, plus ou moins grande, en fonction des derniers avatars du scénario du divorce. David exprime son agacement et sa fatigue de voir que cet homme est toujours présent dans leur relation, par exemple en empêchant Caroline de dormir dans certaines périodes particulièrement conflictuelles.

-          Le premier amour n’en finit pas de finir : Sylvie porte en elle la nostalgie de son premier amour d’adolescente, qui revient régulièrement la hanter au moindre conflit avec son mari, qu’elle aime pourtant profondément. Elle a beau savoir que ce premier amour n’aurait débouché sur rien, elle a beau l’avoir revu et exprimé son indifférence envers l’adulte qu’il est devenu, la marque émotionnelle et sensuelle de cette première fois passionnelle n’arrive pas à s’effacer.

Il n’y a que dans le terme d’infidélité lui-même que nous pouvons relier toutes les situations décrites si dessus, et bien d’autres qui peuvent se présenter. Comment alors pouvons-nous imaginer une réponse satisfaisante répondant à toutes les situations d’infidélité ? Voire poser un jugement tel que celui que nous pouvons voir dans certains livres et médias : jugement d’immaturité maintenant, plus que d’immoralité. Cela semble bien prétentieux.

L’infidélité est multiforme. Elle ne signifie pas du tout la même chose en fonction de la structure du couple, en fonction de sa concrétisation plus ou moins grande dans le réel, ainsi qu’à la présence de la loi dans le couple (mariage, pacs, relation non sanctionnée par la loi, …). Elle peut faire autant de mal en n’existant que dans l’imaginaire : ainsi de l’autre fantasmé dans la jalousie de type paranoïaque, ou de l’autre virtuel qui avant venait hanter les rêves et les fantasmes, et se manifeste maintenant souvent par le biais d’Internet.

Le passage au corps est-il indispensable pour parler d’infidélité ? La clinique nous montre que non, quand nous entendons la souffrance de ceux qui n’ont été trahis « que » virtuellement.

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SEA, SEX AND SUN ?

par Marie-José SIBILLE

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

SEA, SEX AND SUN ?

Quelques dommages collatéraux de Mai 68

 

 

« 69, année érotique… »

Serge Gainsbourg et Jane Birkin

 

 

Avertissement : J’ai écrit et publié cet article en 2004 pour la revue Adire, revue professionnelle de l'Analyse psycho-organique.  J’hésitais alors à le mettre sur mon blog car les attaques rétrogrades contre mai 68 n’ont pas manqué dans les dernières années, et je ne voulais pas que cet article puisse être lu dans ce sens. Ces attaques se multiplient aujourd'hui, de même que les témoignages et les dénonciations d'artistes, d'incestes, de pratiques problématiques. Alors, faut-il tout jeter des années 70 ? Je vous laisse décider, quant à moi, malgré le prix payé, je ne souhaiterai pas revenir en arrière ! Juste interroger les abus voire les crimes, l'inconscience aussi de l'époque.

 

 

Hiver 2004 : la loi Veil sur l’IVG a trente ans, le MLF trente-quatre. J’écris cet article sur fond de musique actuelle inspirée des années 70 et je me crois revenue à l’âge de quinze ans. Une nostalgie me prend. Mais non, « les années 70 c’est simplement la dernière période de créativité musicale, c’est pour ça qu’on y revient » me dit une jeune femme de vingt ans, reprenant inconsciemment le leitmotiv des soixante-huitards, à savoir qu’ils sont les derniers à avoir eu des idées ; leurs petits frères et sœurs et encore plus leurs enfants, sonnés par la crise (1973) et le chômage[1], déçus par les années Mitterrand, abrutis par la société de consommation, la télé et la pub, recroquevillés dans un individualisme protecteur qui ne se fissure que pour surfer sur le Net, ne savent pas se montrer dignes des idéaux révolutionnaires et de la liberté qu’ils leur ont légués.

Du moins c’est ce qu’ils disent.

Hiver 2004 : j’écris cet article et je vois « Les Invasions Barbares ». Tout y est dit. Si vous voulez voir les images qui vont avec le texte qui suit, merci de regarder ce film. Vous ne risquez que de voir un chef d’œuvre.

Hiver 2004 : les corps libérés crèvent de faim sur les trottoirs, le tout sécuritaire et le tout économique envahissent notre société. Le hard sexe, les strings pour fillettes de 8-12 ans, les clubs échangistes promus à la télé et la pédophilie sur le Net semblent narguer les créateurs du « peace and love ». Les soixante-huitards rechignent à partir à la retraite et à passer le flambeau, et critiquent leurs descendants comme toutes les générations qui les ont précédées. Ils ont rêvé, certes. Mais le passage du rêve à la réalité les a vu se reconvertir dans un pragmatisme subtilement moralisateur, le prix du pouvoir sans doute, quand ils ne se sont pas réfugiés dans un infantilisme désocialisé en le laissant, ce pouvoir, aux mains des bureaucrates et des faiseurs d’argent.

Entre colère et tendresse, je leur dédie ces lignes.

 

Je suis née en 1961, j’ai donc abordé le troisième millénaire avec cette quarantaine propice à toutes les expressions et prises de position. Je fais partie d’une demi-génération restée jusque là globalement silencieuse, mais qui commence maintenant à s’exprimer en ayant moins peur d’être politiquement incorrecte et en osant remettre en question les générations précédentes.

Chaque génération devrait pouvoir oser la déconstruction des représentations sociales de ses prédécesseurs. Mais c’est plus difficile quand ces ancêtres encore jeunes sont censés nous avoir légué la liberté et l’égalité, surtout sexuelles. Comment ne pas leur être reconnaissant d’avoir brisé les tabous, aboli les frontières, libéré les corps du puritanisme rigide et des dictats de la procréation qui les encorsetaient depuis quelques siècles ?

Ma naissance en début de décennie me facilite le travail. Adolescente, je me suis glissée pile entre mai 68 et le retour de bâton des années SIDA. A quelques années près, je ne serais pas en train de vous parler maintenant.

Une demi-génération trop tard pour faire la révolution, une demi-génération trop tôt pour mourir dans un hôpital, des perfusions plein les bras.

Pour une partie des gens de mon âge, mais soyons clairs aussi de mon milieu socioculturel, car si nous partageons la même planète, nos mondes sont innombrables et souvent radicalement différents, certaines choses sont devenues aujourd’hui évidentes : homosexualité, coparentalité, droit sacré au partage des taches ménagères, écouter France Inter plutôt que regarder la télé et continuer à croire en l’amour avec un grand A malgré une vie sentimentale marquée, comme d’ailleurs la professionnelle, par une succession de ruptures et de séparations avant d’atteindre le port.

Cette vie de sauts permanents, cette vie borderline toujours à la frontière, constitue la vraie nouveauté culturelle par rapport à la génération précédente. Elle crée chez les survivants une certaine force, en particulier pour accepter l’intériorité et ses tempêtes, pour relever le défi de l’intime, pour être capable de voir l’ombre à l’intérieur de soi plutôt que chez l’ennemi extérieur, qu’il soit politique, professionnel ou intime et sexuel.

En fait, pour ces personnes auxquelles je me sens appartenir, le cadeau de ce qui fut notre guerre, avec ses atrocités, ses violences et ses morts, est une sécurité ontologique qui a peu besoin pour se définir d’une case bien précise dans la société, d’une fonction, d’un dogme ou d’une idéologie, voire même d’une manière de penser et de vivre qui nous accompagnerait de la naissance à la mort. Cette sécurité d’être trouve à s’épanouir dans l’intime, qu’il soit affectif ou créateur, et de cet intime profondément subjectif au sens positif du terme, peuvent se construire une vie de couple, de famille et une place sociale voulues et non imposées ou simplement subies pour des raisons d’appartenance ou de besoins affectifs et matériels. Que demander de plus ?

Mais pour cela, nous, les enfants du chaos, avons dû traverser la tempête pulsionnelle déclenchée par nos chers prédécesseurs … C’est de cette tempête dont je me ferai ici l’écho, du pont de mon navire arrivé pour l’instant à bon port.

 

Les enfants du désordre

 

Colère.

Elle dit : « A treize ans, en 72, mon premier rendez-vous chez la gynécologue. Celle-ci me prescrit d’office la pilule qui vient d’être décrétée remboursable par la sécu et me laissant paralysée, me met un grand miroir entre les cuisses et détaille à voix haute mon anatomie sexuelle en joignant le geste à la parole. » Etait-elle tombée sur la seule gynéco lesbienne pédophile et sadique de sa bonne vieille ville de province ? Non. Juste sur une femme libérée dont le prosélytisme militant incluait l’éducation sexuelle des jeunes filles juste pubères. 

Tendresse.

J’ai 42 ans ce 8 mars 2004, et j’écoute les larmes aux yeux Simone Veil parler de son histoire et de son combat pour les femmes.

Colère.

Il dit : « J’avais quinze ans en 73 quand mes parents ont décidé de se mettre au nudisme. J’ai suivi, par défi. Je revois le sexe rétréci de mon père et la chair plus très ferme de ma mère. Comme en gros plan. Cela me soulève encore le cœur. Je revois aussi les regards troubles des adultes qui m’entouraient et leur désir gluant. J’en ai encore du dégoût trente ans après ».

Tendresse.

Elle dit : « J’ai quatorze ans, nous sommes en 74. Je fais grève avec ma meilleure amie devant les portes du collège. Nous sommes deux derrière les grilles ! Décidées contre toute évidence à bénéficier de ce droit nouveau qui vient d’être octroyé aux collégiens et lycéens. Mes parents refont le monde avec leurs amis devant la cheminée : psychanalyse, écologie politique qui venait de naître, nouvelles spiritualités, thérapies corporelles, ésotérisme, tout y passait ! »

Colère.

Il dit : « Quand j’allais passer le week-end chez mon père, il m’invitait à boire, à fumer un joint avec lui et à profiter de ses partouzes pour m’initier à la sexualité. Alors c’est vrai que maintenant j’hésite même à me montrer à poil devant mon fils de trois ans. »

Et encore …

Il y avait ces communautés où tout le monde faisait l’amour avec tout le monde, parfois sous couvert de spiritualité ou de thérapie. Enfants et adolescents baignaient dans une surexcitation pulsionnelle qui ne les concernait en rien et que personne ne leur avait appris à contenir.

Il y avait ces enfants et adolescents assistant aux ébats de leurs parents et invités à dormir dans leur lit quand l’un des partenaires était absent.

Il y avait la banalisation d’un inceste soft, où l’amour et l’absence de violence étaient censés faire passer la pilule, et où les mères étaient aussi actives que les pères.

Il y avait ces éducateurs et ces enseignants fusionnant avec les enfants dont ils avaient la charge, libres enfin de pouvoir vivre leur sexualité infantile et qui étaient simplement paumés, mais tellement intelligents  qu’ils avaient lu tout Freud pour pouvoir se justifier. 

Il y avait, avant que ne frappe le SIDA, la drogue, l’alcool et le suicide, les overdoses et les accidents qui faisaient déjà pas mal de morts ou de gens fichus pour le reste de leurs jours. La drogue et l’alcool amplifiaient encore le dépassement, je devrais plutôt dire l’explosion, des limites dans une recherche toujours plus loin, toujours plus forte de « Où est mon corps ? Quelles sont mes limites à moi ? Jusqu’où je peux aller avant de rencontrer une barrière qui pourra me freiner ? » C’est pour cela que je parle sans peine et sans exagération de « survivants » pour ceux qui ont traversé ce type d’adolescence.

Il y avait le sexe libre dès la puberté et les viols non dénoncés par peur de paraître coincé.e. Il y avait déjà les viols collectifs qu’on n’appelait pas encore des « tournantes » et qui n’étaient pas réservés aux banlieues ghettos qui n’existaient pas encore tout à fait.

Il y avait toutes les expériences de Naturisme où les corps des parents s’exhibaient devant les enfants, où les corps des enfants subissaient les regards troubles de l’adulte.

Pendant l’adolescence, il y avait aussi ces rivalités incongrues entre fille et mère, fils et père mêlés dans les mêmes amours. Les parents séduisant les copains et copines de leurs enfants, confondant allégrement les générations physiques, car les générations psychiques n’étaient pas respectées. En effet, ces parents vivaient à trente-cinq ou quarante ans l’adolescence qu’ils n’avaient pas vécue à quinze. C’est quelque chose de très destructeur de voir sa mère ou son père draguer puis coucher avec un.e ami.e à soi, voire son.sa propre petit.e ami.e.

Il y avait les autorités, les médias et l’opinion publique qui ignoraient tout cela sauf rares exceptions. Celles qui témoignaient, souvent des femmes, d'inceste ou de viol devaient subir les commentaires éclairés d'experts, gynécologues ou psychanalystes, surtout des hommes qui justifiaient l'injustifiable. Elles devaient entendre des pères leur demander de ne pas se mêler de ce qu'il se passe à l'intérieur des familles, sans qu'aucune censure ou enquête sociale ne suivent ces déclarations. 

C’était donc bizarrement aussi un temps de silence, comme les phases de terreur suivant toutes les révolutions. Pourquoi mai 68, si petite soit-elle dans le temps, aurait-elle fait exception ?

 

Un inceste culturel

 

Certains à cette époque ont traversé enfance et adolescence sans rencontrer un seul adulte. Ceux-ci étaient bien trop occupés à s’envoyer en l’air dans tous les coins ou à refaire le monde. Certains ados de ma génération ont été envahis par la dite libération sexuelle de leurs aînés : parents, éducateurs, psys, médecins … Quelques uns  ont explosé en plein vol, porteurs d’une sexualité qu’ils ne pouvaient pas assumer, celle des adultes censés les éduquer. D’autres se sont rigidifiés. Certains enfin ont pu trouver leur équilibre après des expériences extrêmes souvent destructrices. Peut-être ceux-là ont-ils pu s’appuyer sur un amour de la vie et une créativité suffisamment forts. Et aussi sur les bons côtés de cette éducation, car il y en a eu, en particulier sur le plan de l’ouverture culturelle et parfois, pas toujours, sur le plan du dialogue entre les générations. Mais ils ont quand même dû traverser la honte, le dégoût et reconstruire une sexualité humanisée, souvent après des périodes de « chasteté », souvent grâce et à l’intérieur d’un couple choisi qui a pu servir de matrice à cette aventure nouvelle.

« Ma mère était une femme géniale, libérée, éduquée. La vie d’un écrivain me paraissait extraordinaire. A 20 ans, on passait nos journées à fumer de l’herbe, à boire du whisky, à s’envoyer en l’air … A l’époque, je ne savais pas dire non à un homme, je faisais n’importe quoi, c’était le dérèglement des sens à la Rimbaud ! (…) Puis je me suis imposée deux ans de chasteté. Pour plaire à Dieu. J’ai fermé pour cause de travaux, ravalement général. J’étais chroniqueuse dans un quotidien, j’y racontais ma vie, mes frasques … »[2]

Cet envahissement par la sexualité parentale et sociale, j’ai envie de l’appeler un inceste culturel. Certains ne l’accepteront pas, préférant réserver strictement le terme d’inceste à l’acte sexuel perpétré par un parent sur un enfant. Mais j’assume ce terme. En effet, cette absence de limites entre la sexualité des parents et celle des enfants, comme le montrent les témoignages du début, dérape souvent vers des contacts physiques incestueux. D’autre part les troubles que j’ai pu rencontrer chez certaines personnes ayant vécu cela sont les mêmes que ceux des personnes victimes d’un inceste au sens strict, au point de me faire souvent penser immédiatement qu’il y avait eu inceste.

Mais justement, un inceste sans violence physique, une relation entre parents et enfants basée sur la séduction et pouvant déboucher sur une véritable passion amoureuse, faisant de l’enfant le réceptacle consentant voire fasciné de ces débordements et entraînant des liens très longs à défaire car la révolte et la colère sont longtemps absentes. L’emprise affective de la séduction est aussi forte que l’emprise autoritaire. C’est une autre manière d’être dans le pouvoir. La notion d’abus est intacte car reste une place de dominant et une de dominé malgré l’envie de nier la différence des générations. Nous nous trouvons ici dans une forme de violence symbolique[3] telle que la décrit Pierre Bourdieu.

La terreur était souvent le mode de relation précédent, dans les relations avec les parents et avec les institutions éducatives. Dans ce nouveau mode relationnel, la terreur ne disparaît pas. Elle se déplace vers l’intrapsychique car le monde pulsionnel n’est plus contenu. Et elle se déplace aussi vers le social qui, en l’absence d’éducation à son fonctionnement, ne laisse plus apparaître que son côté de jungle. Ainsi, les parents ne jouent plus leur rôle transitionnel entre l’intrapsychique et le social. Il manque un pont. Ce sera à l’enfant de le construire lui-même grâce à des processus de résilience. C’est-à-dire en trouvant à l’extérieur de la famille mais aussi, à cette époque, souvent à l’extérieur de l’école, des modèles adultes suffisamment structurants pour remplir cette fonction. Certains, finalement assez nombreux quand on prend la peine d’entendre, ont fait l’expérience de ce que Boris Cyrulnik appelle des communautés extrêmes, qu’elles soient politiques, spirituelles, thérapeutiques, ou simplement centrées sur la vie en commun, fortement centralisées et hiérarchisées autour de leaders charismatiques et de règles collectives rigides, pour tenter de compenser ce manque.

Et en particulier ce manque de fonction paternelle, si on attribue à cette fonction le rôle de socialiser les pulsions. Là encore, c’était un mouvement social logique, après le patriarcat rigide comme seul moyen non de contenir, mais de réprimer le désir et les pulsions.

Dans ce contexte, je peux identifier enfin la fausse communication parents-enfants. « On se dit tout », nous disent ces familles. Peut-être, mais on cache l’essentiel. Les secrets de famille sont toujours aussi présents et la communication n’étant pas plus que par le passé centrée sur l’enfant et sa compréhension, elle reste au minimum inefficace. Par contre, l’enfant ou l’adolescent peut en conclure qu’il n’a pas droit à son jardin secret et laisser violer souvent avec douceur son espace intime. Il peut en ressortir culpabilité, honte et obligation d’aveu.

« Bien sûr ma mère me demandait tous les détails de mes amours. Nous en discutions à table et au bout de quelques jours, mon copain du moment venait passer la nuit à la maison. Je crois qu’elle était prise entre la curiosité et la peur qu’il m’arrive quelque chose. Elle pensait que c’était mieux pour me surveiller. Après tout, je n’avais que quinze ans. Mon père était passif et laissait faire. »

« Un des pires moments de mon adolescence, c’est quand la femme de ménage a trouvé mon journal intime et l’a montré à mes parents après l’avoir lu. Ils l’ont lu eux aussi. Ils n’ont pas renvoyé la femme de ménage qui en a parlé à tout le voisinage. Ils avaient trop peur d’elle. Tout le monde se moquait de moi. J’avais douze ans et je parlais de mes premiers émois amoureux envers un garçon du quartier. »

 

Faites l’amour, pas la guerre : bel idéal ou illusion perverse ?

 

Ces adultes qui refusaient l’idée d’être dans le pouvoir et voulaient une société libérée de ses rapports de force, ont en fait utilisé un pouvoir potentiellement aussi destructeur : celui de la séduction. Lâcheté ou incompétence, si je laisse la place à la colère, canaux enthousiastes des mutations de l’inconscient collectif, si je les regarde avec tendresse,  ces adultes infantiles n’ont pas voulu ou pas pu assumer leur place, ont usé d’un pouvoir sans vouloir le reconnaître et l’assumer, un pouvoir sans autorité ni responsabilité.

Une des caractéristiques de ce type de parents (mais aussi enseignants, éducateurs, thérapeutes) est la peur du conflit. Et là nous retrouvons leur propre éducation basée sur la terreur. Ils voulaient, et c’est tout à leur honneur, instaurer d’autres liens. Mais ne pas vouloir assumer le conflit, le pouvoir du non quand il est justifié, pendant l’enfance et encore plus à l’adolescence, empêche l’affirmation et la croissance en force de ces mêmes enfants. D’autre part, comment affronter un éducateur fuyant ou manipulateur qui devient par un schéma bien connu agressif-défensif quand il se sent acculé ? Faites seulement l’amour et jamais la guerre et vous finirez par nourrir un monstre ultra violent dans votre sein, aussi sûrement que par la pire des répressions. Ce sont les effets psychiques de la négation de l’ombre et du conflit, ou de leur projection sur l’extérieur.

C’est d’ailleurs dans ces années du « peace and love » que naquit le terrorisme (ETA, IRA, Brigades Rouges, …), le tourisme sexuel de masse et ses prostitué.es enfants et un essai de justification de la pédophilie et de l’inceste, non plus comme la domination absolue des pulsions de l’adulte sur le corps de l’enfant, mais en s’appuyant sur des théories de la sexualité infantile, projections d'adultes ayant oublié leur enfant intérieur et sa fragilité.

Danielle Czalczynski[4]se souvient « des discussions souvent vives qui opposaient les hommes et les femmes sur le fait de jouir sans entrave », même avec les enfants. « En tant qu’enseignante, j’ai été beaucoup marquée par la découverte des désirs enfantins mais j’étais opposée, en tant que femme, à ceux qui dérivaient sur les rapports entre adultes et enfants, en faisant abstraction du rapport de pouvoir. » (…) Le bilan de cette période oblige à évaluer les effets des passages à l’acte sexuels entre adultes et enfants (…) qui ont souvent eu des effets désastreux … en particulier dans le développement de la toxicomanie (...) surtout chez les femmes[5] ».

 

Une liberté liberticide ?

 

Il est toujours difficile de porter un regard critique sur une révolution destinée par définition à faire évoluer la société des hommes. « Trente ans après, il existe une incapacité à poser le regard de l’historien sur ces transformations et les resituer dans leur contexte. (…). On ne peut pas réduire Mai 68 et les années qui l’ont suivi à « tout est permis ». (…). Nous avons été confrontés à des dérives mais il ne faut pas s’étonner que ce bouleversement ne se soit pas fait de manière parfaitement ordonnée»[6].

Ne nous plaignons pas, trente ou quarante ans ne sont rien au regard de l’histoire. Il n’en reste pas moins que nous pouvons essayer le plus tôt possible de creuser un peu ces secrets de famille collectifs. Mais comme toujours dans ces cas-là, vient vite le sentiment insidieux d’être injuste et non reconnaissant. Après tout ce qu’ils ont fait pour nous …

Il était bien entendu impossible de remettre en question les valeurs patriarcales et bourgeoises si bien assises en occident sans qu’il y ait des dégâts collatéraux. Il y en a dans toutes les guerres.

On peut malgré tout amener quelques réserves à ces bilans exaltés des années 70 idylliques que l’on trouve dans les médias, bilans fortement teintés de l’auto-satisfaction globale de cette période.

Une psychothérapeute explique[7] qu’il n’est pas difficile d’être héritier de la libération sexuelle, « il faut qu’ils (ces héritiers) dépassent l’idée de cadeau. Ils vont devoir apprendre la liberté sans la subir, en se la réappropriant ». Ce style de discours non critique et moralisateur pour les descendants est typique des écrits sur cette période. Toujours dans le même article, une fille répond à sa mère soixante-huitarde qui lui dit à quel point elle a de la chance d’avoir tous ces acquis : « Ma liberté doit s’exprimer entre Sida, sexe omniprésent, difficulté de rencontrer quelqu’un, peur de finir seule. Je suis condamnée à être épanouie. Si je ne le suis pas, c’est que je ne sais pas en profiter et que j’ai tout faux. Je suis jugée ».

Nous naviguons ici entre la sexualité interdite, en particulier la sexualité œdipienne, ainsi que celle des parents, et l’épanouissement sexuel obligatoire. Cela s’appelle vraiment une double contrainte !

Les descendants de beaucoup de ces soixante-huitards et ce quel que soit leur âge précis, entre trente et quarante cinq ans, forment une génération borderline ou plutôt de l’entre-deux, toujours en quête de ses propres frontières, habile à transgresser les normes établies mais de manière souvent discrète et privée, bien que parfois confrontée aussi à la délinquance sociale. Habile donc, dans le meilleur des cas à privilégier ses choix subjectifs plutôt que ceux induits par les nécessités sociales ou matérielles.

La question c’est de trouver ses propres limites quand la morale ne sert plus de repère. La perception subjective devient prédominante et permet parfois des avancées très positives, fondatrices d’une véritable éthique, ou l’enfant, l’animal, la femme, la terre acquièrent une existence propre et méritent respect, protection et liberté par une sorte d’animisme empathique qui interdit de faire le mal car c’est à soi qu’on le fait. Cette conscience de l’autre élargie, cette sensibilité, deviennent l’aspect positif de ce problème des limites. De là tous ces acquis de 68 en ce qui concerne les lois, l’écologie, les droits de l’homme incluant maintenant la femme et l’enfant, voire l’animal.

Reste la question non résolue de la socialisation des pulsions sexuelles, profondément inscrite dans ce problème des limites, enjeu si important à l’adolescence qu’il en devient source durable de honte et de culpabilité s’il n’est pas assumé.  

L’adolescence, et en particulier la phase juste autour de la pré- et post- puberté, est une période particulièrement sensible aux problématiques concernant la sexualité. L’adolescent est soumis à une forte contrainte interne d’ordre identitaire : suis-je un homme, une femme, puis comment être un homme, une femme ? En plus de cette contrainte interne, il se débat au centre de quatre pressions fondamentales, au lieu d’y être soumis comme l’enfant : famille, pairs, culture, éducation.

C’est dans cette période si fragile que ces adultes ont démissionné, laissant l’adolescent face au vide et à la solitude.

« C’est à treize ans que j’ai perdu mes parents. Jusque là, j’ai le souvenir d’une enfance heureuse voire idyllique, de jeux, de voyages et de plaisirs. Mais quand mon corps s’est transformé et que ma sexualité a commencé à pointer le bout de son nez, je n’ai plus eu personne en face de moi, sauf dans le rejet de mon père.»

 

 

 

 

 

 

[1] Le chômage quadruple dans les pays occidentaux de 1971 à 1993 ; Le Monde du 28.02.01 : Que reste-t-il de la révolution sexuelle de mai 68 ?

[2] Aminata Zaaria, écrivain.

[3] Le pouvoir symbolique est un pouvoir qui est en mesure d’obtenir la reconnaissance ; c'est-à-dire un pouvoir qui a le pouvoir de se faire méconnaître dans sa vérité de pouvoir, de violence et d’arbitraire. Site Internet : http://1libertaire.free.fr/LexiqueBourdieu

[4] Secrétaire Générale du Syndicat national unitaire des instituteurs et militante féministe dans les années 70.

[5] Journal Le Monde du 28.02.01 : Que reste-t-il de la révolution sexuelle de mai 68 ?

[6] Hervé Hamon, coauteur de Génération, Le Seuil, 1988, cité dans le Monde du 28.02.01 : Que reste-t-il de la révolution sexuelle de mai 68 ?

[7] Journal « Elle », 16 février 2004 : Sexualité, les nouveaux tabous des jeunes adultes.

[8] Ainsi que de voir le remarquable film italien en DVD (2004) : Nos meilleures années, qui retrace en 6h toute l’histoire de ces années-là, en particulier à travers la vie d’un psychiatre.

[9] J’ai traité de certains de ces problèmes dans «L’ombre du groupe », revue Adire n°18.

[10] Norbert Châtillon, psychanalyste, membre de l’Association Internationale de psychologie analytique, in Le Cul, Cahiers n°9 de Gestalt Thérapie, 2001.

[11] Travail de psychothérapie

[12] Je n’oublie jamais la toute petite partie du monde et même de notre société susceptible d’être concernée par ces questionnements.

Un exemple clinique

Voici pour résumer, quelques points-clés de cette problématique, illustrés par un entretien semi-directif réalisé avec une seule personne et centré sur son expérience d’enfant de parents soixante-huitards.

 

  1. Un monde symbolique et un idéalisme forts.

 

« J’avais 7 ans et mes parents ont décidé après une première séparation de partir vivre en communauté. Ils avaient l’espoir de vivre autre chose, une libération ; il y avait un besoin de liberté énorme chez mes parents et ils pensaient que ça passerait par une liberté sexuelle. Il y avait un idéal de vie, une recherche auprès de la Nature, il y avait d’autres enfants et plein d’autres couples. Moi j’ai été projetée là-dedans. Je pense que j’étais assez contente d’y aller, avec aussi cet espoir que ça irait mieux. Mais j’ai vite vu que ce n’était pas bien, que j’étais malheureuse. J’y avais déjà été pendant les vacances et ça m’avait bien plu parce qu’il y avait d’autres enfants. Étant donné que j’étais fille unique c’était bien ...»  

 

  1. Incarnation inexistante ou négative de ce monde symbolique : la Paradis devient Enfer.

 

« … Je suis arrivée avec tous mes jouets et en l’espace d’une semaine tous mes jouets ont été cassés et tout ce qui m’appartenait. Ca a été très très dur pour moi. Et j’ai le souvenir dans cette communauté de chercher ma mère tout le temps, tout le temps, tout le temps, de la chercher. Et puis de chercher mon père aussi parce qu’il n’était jamais là, jamais là où je le cherchais. On était quand même assez livrés à nous-mêmes les enfants. Je pense que les adultes étaient tellement préoccupés par ce qu’ils vivaient et c’était tellement conflictuel, je pense parce que je n’ai pas de souvenir de conflit ouvert ou de violence mais des choses non-dites. Et puis passer d’une chambre à l’autre et voir ma mère avec un homme, puis avec un autre, puis de voir mon père aussi avec d’autres femmes, c’était pas très rassurant ».

 

  1. Absence de repères parentaux pour apprendre à contenir les pulsions.

 

« Ils avaient du mal à s’intéresser à l’enfant et je crois que chaque parent se reposait sur les autres et en fait personne ne s’occupait des enfants. On était un peu des boulets, il y avait des belles phrases et idées pour les enfants, il y avait aussi des choses matérielles, de belles pièces, des salles de jeux, mais moi je sentais que les adultes se faisaient chier avec nous  et c’était vraiment à nous de nous contenir. Moi j’ai le souvenir d’être toujours obligée de me contenir, de pas faire de bêtises. J’en ai fait des bêtises, mais le sentiment qu’il n’y avait personne sur qui se reposer, j’ai pas senti de soutien et personne qui pouvait être parent. C’était des adultes en recherche éperdue de liberté, ils étaient perdus, eux aussi ils étaient complètement paumés, des gosses paumés ».

 

  1. Absence de limites et de protection. Intrusion parfois massive de la sexualité parentale.

 

« Un des souvenirs qui m’est resté, un des plus forts : j’étais très malade et ma mère m’a enveloppée dans une couverture, elle m’a fait boire une tisane pour que je transpire, donc elle s’est occupée de moi. J’étais contente qu’elle s’occupe de moi. Et puis elle est partie en me disant je reviens. Et puis elle ne revenait pas, elle revenait pas, elle revenait pas. J’ai été la chercher, je suis passée d’une chambre dans une autre. Je cherchais ma mère, éperdument ma mère, et je l’ai retrouvée dans un lit avec un homme et elle m’a dit « reste dormir là ». Je me suis mise entre eux dans le lit et lui m’a tripotée. Pas de loi, pas de protection par rapport à la sexualité, aucune protection. Il n’y avait aucune barrière entre les parents et les enfants ».

 

  1. Pas d’intimité, sexualité « sociale », séparée de la reproduction mais aussi de l’intime.

 

A l’adolescence, j’étais pas coincée. Je le vivais comme une revanche par rapport aux autres enfants que j’enviais, c'est-à-dire les enfants des parents normaux qui n’avaient pas vécu mai 68. Moi je pouvais vivre une sexualité, parce que ma mère avait vécu une sexualité libre. Et moi je vivais une sexualité libre, c'est-à-dire j’ai couché très tôt par rapport à mes copines, et vraiment sans culpabilité aucune, très bien, très heureuse. Mais c’était pour prouver quelque chose. C’était « je fais l’amour donc j’existe ». Mais il n’y avait pas de rencontre dans cette sexualité là. C’était un peu comme une révolution. J’avais l’impression d’avoir une banderole dans une manifestation. J’exhibe mon corps, j’exhibe ma sexualité. J’avais des photos dans ma chambre d’hommes et de femmes faisant l’amour. Pas d’intimité, vraiment aucune intimité. Je pouvais me trimballer toute nue, avoir les seins à l’air, ça me gênait pas. Maintenant je vis la polarité complètement inverse. Très pudique, plus de sexualité. Peut-être que j’arriverai à trouver le juste milieu ?

J’ai senti un jour que c’était au détriment de moi. Je devenais l’objet de l’autre ; j’ai eu une relation avec un homme très pervers et là j’ai vraiment senti la limite. Et là avec le travail thérapeutique que je fais[11] j’en viens à sentir comment je me pose en tant qu’objet et pas en tant que femme désirante. J’ai eu énormément d’aventures, je ne les ai même pas comptées. La sexualité était devenue pour moi un moyen d’exister.

 

  1. Imitation de l’exemple parental, ici, sexuel. Aucune révolte possible, collés.

 

« J’étais très très sage comme petite fille. Je ne me révoltais pas, il n’y avait aucune révolte. Rien du tout. J’absorbais tout. Toute la souffrance de ma mère. Collée. J’ai été envahie par sa sexualité, complètement envahie par elle. Je ne sais plus ce qui est moi, ce qui est elle. Je commence à le sentir maintenant mais c’est récent ».

 

  1. Double langage, sexualité toujours liée à culpabilité, problème de fond non résolu.

 

« Une autre expérience c’est que je m’amusais avec un petit garçon. En fait, ce que je voulais c’était reproduire ce que je voyais au niveau de la sexualité, des jeux un peu érotiques avec un petit garçon qui était plus jeune que moi et sa mère est arrivée. Et là je me suis faite engueulée. Et je me souviens qu’il n’y a que moi qui me suis faite engueuler. Lui non. Comme il était plus jeune, c’était moi l’initiatrice, c’était moi la coupable. On m’a foutu une raclée. J’avoue que ça a été vachement dur, c’est encore là dans ma sexualité. Le plaisir du corps est lié à tout ça. Ça finira mal. C’est empreint de culpabilité. C’est comme si il y avait un double langage, en parallèle avec la libération. C’est paralysant. Et donc moi ma sexualité maintenant, je suis paralysée, je suis bloquée, complètement bloquée. Toute la libido coincée. Ça va au-delà de la sexualité, ça touche le désir, le désir de vivre, c’est bloqué. Il y a une culpabilité à vivre pleinement la pulsion de vie, parce que c’est empreint de souffrance, la souffrance y est collée. En fait je sais pas si ça fait vraiment du bien cette expérience là. Je ne sais pas si mes parents ça leur a apporté grand-chose. »

 

  1. Problème de la norme et de l’exclusion.

 

« Quand j’étais dans la communauté, on en sortait pour aller à l’école. Là on nous montrait du doigt parce qu’on puait la chèvre, parce qu’on ne vivait pas normalement comme les autres donc on était exclus. C’était très décevant parce que moi en même temps, je cherchais une appartenance, une norme pour pouvoir être normale, être incluse dans le groupe et j’étais montrée du doigt et ça c’était affreux, affreux, affreux d’être rejetée comme ça. Je me sentais rejetée, bafouée, une image mauvaise, on était les mauvais. Ce qui est paradoxal c’est que je me suis construite après là-dessus, je suis pas normale, je suis pas comme les autres, et donc pour arrêter de vivre dans cette souffrance là, je suis devenue méprisante. Ce côté méprisant que j’avais à l’adolescence, faire l’amour, moi je peux avoir tous les mecs que je veux, regardez, je suis belle … ce côté méprisant où c’est moi qui excluait l’autre. Un moyen défensif comme un autre. »

 

Conclusion : L’intime, un nouveau paradigme

 

La sexualité, comme la créativité ou la spiritualité, peuvent être vécues socialement au nom d’une norme ou d’une appartenance, mais elles peuvent aussi prendre leur source dans le creuset du plus profond de l’être.

Le discours des psychothérapeutes est là encore ambigu, et l’ambiguïté n’est pas le paradoxe ni la complexité. D’un côté nous prétendons être les promoteurs de cette dimension essentielle qu’est l’être subjectif, de l’autre nous mettons sans arrêt en avant la nécessité du lien et de l’appartenance et nous nous méfions comme la peste de tout individu un peu différent.

Alors, sommes-nous réellement les promoteurs de l’intime ?

La chute des idéologies ne peut laisser la place qu’à la guerre économique et politique totale, ou bien à cette petite chose fragile, à ce monde de l’intime qui représente à mon avis le vrai contre-pouvoir actuel face aux enjeux souvent délirants que porte notre époque. 

Les grands acquis des années 70 concernent en effet, en occident, les valeurs dites féminines que je préfère appeler les valeurs de l’intime : expression des sentiments, accent mis sur la qualité de la relation, intériorité, subjectivité, réveil d’une spiritualité immanente et de la sagesse du corps, conscience de la Terre comme d’un être vivant (écologie), respect de chaque être vivant.

Peut-être que l’enfant peut maintenant être considéré comme une personne, au moins dans une petite partie de la population[12] et sortir des années noires de la terreur et des temps rouge sang de la séduction. Car il ne s’agit encore une fois en aucun cas de promouvoir un quelconque retour en arrière. Quelque chose de nouveau est né dans la deuxième moitié du siècle dernier, un idéal porteur d’espoir et de vie et il serait difficile pour ceux qui l’ont rencontré de renoncer à ses acquis.

La vocation fréquente d’un idéal est certes de se casser les dents sur le réel, souvent à la génération d’après. Mais quand ces enfants du chaos ont relevé le défi et dépassé les traumatismes vécus dans leur enfance et leur adolescence, ils ont développé des valeurs basées sur l’autonomie, la créativité, le partage des compétences et la solidarité, plutôt que des valeurs d’appartenance dont ils ont souvent vécu le pire, tant au niveau familial que social. Et si ces valeurs peuvent se vivre à l’intérieur d’une liberté sexuelle et d’un célibat acharnés, elles peuvent aussi se vivre dans un couple matrice, un couple évolutif que les partenaires n’hésitent jamais à remettre en question, quelles que soient les raisons matérielles, de sécurité affective ou de besoin d’appartenance qui pourraient les en empêcher. Le couple et la sexualité qui en est une des composantes, deviennent alors un lieu de réalisation de soi avant d’être un prélude à une famille qui prend souvent elle aussi une forme originale, qu’elle soit recomposée, mosaïque, homoparentale, élargie aux amis, internationale ou autre.

Encore une fois, toutes les personnes de mon âge ne se reconnaîtront pas dans ces témoignages. En fait plus que d’une génération, il s’agit d’une « niche sociologique » bien particulière correspondant à un état d’esprit et à une somme d’expériences plus qu’à une tranche d’âge spécifique. Ainsi, en récoltant ces expériences, j’ai aussi bien pu trouver des personnes de 50 ans que de 30 ans. C’est surtout le type de relation parents enfants qui a été significative, basée, comme je l’ai longuement expliquée, sur la non différentiation des rôles, sur la séduction, l’absence d’autorité et, dans le meilleur des cas, une grande richesse sur les plans culturel et créatif.

Peut-être ces enfants de soixante-huitards annoncent-il, comme le dit le film, le déclin de l’empire américain, voire de tous les empires et le début des Invasions Barbares ?

Dans ce cas, vive la Barbarie !

Addenda sur les psychothérapies

 

Les abus des « nouvelles thérapies »

 

Il est impossible de faire l’impasse sur le fait que les nouvelles thérapies, relationnelles, humanistes et à médiation corporelle sont entrées en lice dans ces mêmes années 70. Porteuses d’un même idéal révolutionnaire, il suffit de lire Rogers, l’anti-psychiatrie ou Reich[8], elles sont tombées souvent dans des abus qui ont dû depuis être rectifiés par les codes de déontologie de la profession. Les abus existent toujours mais ils sont petit à petit repoussés vers les marges, laissant quand même beaucoup de personnes blessées au passage. On n’en est plus à croire que coucher avec ses clients victimes d’abus sexuels est une thérapie efficace, ni à penser qu’une orgie collective suite à une régression en piscine d’eau chaude est la clé de l’éveil et de la maîtrise des pulsions. Mais il y a encore de trop nombreux témoignages d’expériences actuelles parlant des massages qui dérivent, de thérapeutes qui s’exhibent nus devant leurs clients dans des attitudes provocantes, ou qui se font faire des séances de rebirth par leurs clients (« chacun son tour … »). J’en passe et des meilleures. Ce type d’abus un peu spectaculaires a surtout lieu en groupe et c’est en particulier la thérapie de groupe qui a souffert de ces phénomènes. Les groupes de psychothérapie avaient le même succès dans les années 70 que les communautés soixante-huitardes. Ils inspirent maintenant une méfiance légitime et les personnes ont d’abord besoin de créer une vraie relation de confiance avec leur thérapeute avant de se risquer dans le groupe. Dommage. Car c’est le lieu où jamais de développer une intelligence émotionnelle et relationnelle impossible à apprendre à la fac. Cela éviterait aussi que cette thérapie de groupe se retrouve comme attente informulée dans les formations qui touchent l’humain (entre autres celles de psychothérapeutes) et dans les groupes de développement personnel, avec tous les problèmes qui en découlent[9].

Les abus sont aussi nombreux dans le travail individuel, mais moins visibles.

Les débordements « créatifs » des nouvelles thérapies, leurs déviations, finissent par rejoindre les secrets de famille, surtout en ce temps où la psychothérapie issue des années 60 vit ses 40 ans, a soif de reconnaissance et de respectabilité et veut se refaire une virginité au risque de perdre sa spécificité en voulant trop coller à la psychanalyse et en y sacrifiant le corps, lieu de tous les abus et pourtant grand acquis des nouvelles thérapies.

Quel dommage que le travail corporel peine à sortir de ces excès et à conquérir ses lettres de noblesse ! Quelle tristesse de voir les psychothérapeutes les plus en vue faire la promotion d’une allégeance à la psychanalyse et renier le travail corporel pour être sûrs d’être bien vus et ne pas passer pour des abuseurs ou, encore pire, pour des gourous sectaires ! Hors de l’église, point de salut, la chasse aux hérétiques est ouverte. Il est vrai que le toucher suffit à créer une relation d’emprise et peut créer une agression supplémentaire chez quelqu’un qui n’en a en général pas besoin. Mais les relations d’emprise n’ont pas besoin du corps pour exister. Et le corps appelle, il veut être entendu. Travailler avec lui, permettre l’accès à la régression profonde est une des principales richesses des psychothérapies à médiation corporelle, sous peine de la voir basculer tranquillement, l’âge aidant, vers une pseudo psychanalyse qui n’a aucun des avantages de chaque approche et tous les inconvénients.

Loin d’être une étape préliminaire avant d’accéder à la cour de la reine Psychanalyse, je crois que les thérapies corporelles sont une nouvelle aventure profondément évolutive et contre-culturelle. D’ailleurs, et je pense qu’il en est de même pour les collègues qui me liront, un nombre significatif de clients viennent me voir après de nombreuses années de psychanalyse, justement pour toucher la régression profonde qui intègre les émotions et le corps. Cela implique aussi que les psychothérapeutes aient une vraie formation sur les problèmes touchant à la sexualité, au pouvoir, à la relation d’emprise, ce qui est loin d’être le cas. Souvent cela reste même sujet tabou, par un retour de pendule qui reste à explorer.

Entre autres parce qu’il y a encore peu d’écrits sur ces problématiques et d’ailleurs peu d’écrits en règle générale sur ces thérapies. Ce qui crée un effet bien connu dans les familles : la tradition orale gardant globalement le silence sur les points obscurs, les secrets de famille non explicités créent des tabous incompréhensibles dans les générations suivantes.

Il est temps d’accélérer ce travail de fond sur notre histoire professionnelle et notre pratique.

 

Le retour du pendule 

 

Norbert Châtillon s’interroge ainsi[10] : « Alors pourquoi cette éviction du sexuel (… à différencier du sexe …) dans les thérapies actuelles ? Deux hypothèses :

- une anesthésie des thérapeutes, qui, dans la multiplication des écoles et des formations ont pu accéder au statut de thérapeute dans l’évitement du plus secret, du plus intime, du plus nodal. Et dont toute l’approche consiste à éviter à leurs patients de les interpeller là où ça leur fait mal. Combien de thérapeutes de couples n’ont rien construit en ce domaine, combien de thérapeutes d’enfants ont soigneusement évité la confrontation personnelle à la rude tâche éducative et viennent ensuite donner des leçons et diriger des filières de formation dans des sociétés réputées ?

- une anesthésie sociale dont les thérapeutes se font le miroir, et qui ferait du sexuel un « hors champ », avec des spécialistes nommés « sexologues », et pourquoi pas, puisqu’il y a bien des psychologues ! »

Une autre hypothèse est que beaucoup de thérapies issues des années 60, que ce soit en travaillant sur la régression et l’archaïque, ou de manière plus relationnelle, s’embourbent parfois dans le corps de la mère et dans le manque du père comme le montrent les besoins de reconnaissance sociale actuels de la profession. Ainsi, à force de travailler le pré-oedipe, cela deviendrait presque de l’inceste que de parler de sexe à son thérapeute ! De quoi s’agit-il au juste ? Un fond dépressif collectif mal assumé ? Une difficulté à faire le deuil des images parentales idéalisées ? A force de rester fixé de manière quasi biblique sur les images parentales, est-ce qu’on n’oublie pas de fixer le regard sur l’avenir ? Arriverons-nous à quitter père et mère pour construire notre famille et libérer notre créativité et notre sexualité de sujet adulte ? Ou continuerons-nous à répéter sans arrêt les mêmes nostalgies stériles dans notre profession, nos combats sociaux, nos groupes de référence ? Encore une fois, difficile de parler de sexe, j’entends de sexe adulte, à quelqu’un à qui nous avons passé des années à raconter les difficultés de notre enfance. C’est un problème général et complexe que d’incarner l’adulte et sa sexualité sans passer directement de l’enfant au parent. Les stades de la libido ne sont pas linéaires, je crois même qu’ils voyagent allègrement dans l’espace et le temps et qu’un des héritages de la psychanalyse peut être une vision hiérarchique trop figée. On amène le client jusqu’à la porte de la maison parentale, mais c’était peut-être uniquement une visite, il pouvait avoir déjà par ailleurs développé une sexualité d’adulte. C’est comme ça que celle-ci peut devenir le domaine réservé des sexologues et des groupes de développement personnel.

D’ailleurs, au risque de paraître provocatrice, il est interrogeant de voir que les deux seuls interdits de notre déontologie portent sur la violence physique et la sexualité.

Alors, des psys pudiques ou des psys coincés ? Attention au retour du rigorisme moralisateur, les soixante-huitards en atteignent l’âge !

Pour se protéger des abus du soleil...

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