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CARTE POSTALE

par Marie-José Sibille

CARTE POSTALE

 

 

 

SOLEIL BRÛLANT

 

Avec mon amoureux, on échange nos Esquimaux menthe-chocolat et fruits de la passion, en rêvant au son du must-ear des Pink Floyd « Wish you where here », pas trop mal repris par le chanteur-guitariste du camping. On a 15 ans. On n’oubliera jamais cette odeur particulière, ce son si singulier, et le goût craquant fondant de l’esquimau. 

Toujours le même amoureux, on chante à tue-tête « L’été indien » dans la voiture, resté tube de l’été pendant suffisamment d’années pour que l’on s’y retrouve, au grand dam de nos vrais ados. Alors ils enfoncent encore plus leurs écouteurs dans les oreilles et haussent les sourcils d’un air désabusé. On a 16 ans et on se demande si notre amour va survivre à la fin des vacances.

Un autre soir, on danse seuls au monde au milieu des tables du resto du camping au son du saxo, très bon le saxo qui anime la soirée. On a 17 ans, et quand on danse un slow, l’apocalypse peut se produire sans qu’on bouge un cil.

Et puis il y a cette virée à deux sur notre scooter électrique, 50 km/h mais on dirait la vitesse de la lumière, on a 18 ans et on quitte les parents en se croyant enfin libres.

 

Dans la nursery du camping beaucoup de nouveaux papas baignent leur bébé. Beaucoup d’anciens aident leur femme en faisant la vaisselle, et font une partie de tennis avec leur fils ou leur fille en tentant un sourire plutôt qu’un commentaire disqualifiant. En passant, nouveau et ancien papa ça n’a pas toujours à voir avec l’âge.

La nuit dans le camping, les corps s’expriment à travers tous ces bruits réservés d’habitude à l’intimité. Sauf justement dans les campings, les refuges de montagne ou de randonnée, les hôpitaux publics aussi au moins pour certains d’entre eux … Ici ces bruits sont rassurants, amusants aussi. 

Je me prends pour Jonas dans le corps d’une grande baleine au sommeil un peu agité.

 

Ce sont les vacances d’été, temps béni de régression et de vide, temps précieux où les listes s’arrêtent, sauf à vouloir faire à tout prix tous les sentiers de rando, tous les sports nautiques et tous les concerts du coin. 

Depuis que je suis toute petite je connais les vacances à la mer, un peu plus grande à la montagne. Quel privilège ! Quelle construction indispensable dans le temps de l’enfance ! Tout le monde n’y a pas accès, ou pas de manière suffisamment longue pour pouvoir vraiment lâcher. Et ainsi développer d’autres manières d’être en familles, et d’acquérir pour les plus jeunes – et pas que – de nouvelles compétences, de nouvelles autonomies, de nouvelles libertés. 

Et je ne sais vraiment pas comment font ceux qui n’en prennent jamais, dans notre société occidentale s’entend, car à d’autres manières de vivre ensemble, d’autres manières de se ressourcer et de grandir. Il y a tous ceux qui ne peuvent pas se le permettre, mais il y a aussi ceux et celles qui ne veulent pas tant ils ont peur de s’ennuyer. Ceux et celles-là me font peur.

 

NUIT D’ORAGE

 

Mais les vacances d’aujourd’hui ont aussi leurs violences. 

Je fais un saut juste au début de l’été au Port Vieux à Biarritz, cette matrice où j’ai passé de nombreuses heures petite à manger des beignets abricot sous le parasol de ma grand-mère entre deux pêches aux crabes relâchés de suite dans des piscines limpides où j’ai appris le masque et le tuba. Aujourd’hui je suis obligée de me frayer un passage sur plusieurs mètres d’eau de mer remplie de tâches d’huile solaire à l'horrible l’odeur artificielle, de minuscules ou moins minuscules MILLIONS de bouts de plastique. 

Je suis dans une telle rage que je décide de ne plus jamais revenir au Port Vieux. 

A quel moment ai-je laisser se dégrader à ce point la piscine de mon enfance ?

Sur les plages de l’île pourtant particulièrement protégée où je passe mes vacances en famille, je ramasse tous les jours ostensiblement les mégots envahissants, depuis le panneau de réserve naturelle qui montre en gros tout ce qu’il ne faut pas faire sur la plage, par exemple s’en servir comme d’un cendrier, jusqu’au bord de l’eau encore limpide ici, où c’est encore plus facile d’écraser sa cigarette dans le sable mouillé. J’ai envie de faire un gros câlin à ce couple de lesbiennes allemandes qui a pris la peine d’amener un cendrier de plage et un sac pour les restes de leur pique-nique qu’elles ne laisseront pas attachés à un arbre bordant la plage. 

Il y a aussi le silence et le vide. 

Le silence dans les arbres et le maquis, le silence dans le camping où une cigale isolée, un papillon de nuit égaré, un gecko oublié sur un mur me rappellent avec regret mes peurs de petite filles quand je devais traverser des nuages d’insectes bruyants pour aller à la douche, mes émerveillements au bruit incessant des grillons, cigales et autres criquets, ma course après les lézards de toutes les couleurs.

Le vide de la mer quand mon fils revient en me montrant une piqure d’oursin, il s’était planqué dans les rochers, il ne l’avait pas vu. C’était le seul là où il y en avait tant qu’un ancêtre de ma famille nous raconte en riant les quatre-vingt d’entre eux qu’il avait mangé en un seul repas. Il ne savait pas, nous dit-il un peu gêné. Très peu de gens savaient. Mes parents en faisaient partie, dès le début des années 70, mais ça n’aide pas vraiment de connaître trop tôt l’heure de sa mort. Quelques poissons là où j’ai des images de centaines d’entre eux de toutes les couleurs. La mer est encore claire. Mais la méditerranée se meurt. Ça n’empêche pas les japonais de demander l’autorisation de tuer les quelques baleines survivantes. Je ne leur en veux pas plus que ça, ils ne sont pas les seuls ogres dévoreurs de sushis et de hamburgers à bousiller le monde. Mes vacances se passent ainsi dans un camp de réfugiés pour poissons et oursins, pour cigale et papillon de nuit. Dites-moi comment ne pas devenir misanthrope ? Je laisse vivre un peu cette part de moi très enragée. Pour être sûre de ne pas oublier très vite au retour des vacances.

 

J’aurais pu choisir, je le fais parfois, un lieu encore protégé, un de ces paradis préservés réservés aux plus privilégiés, souvent ceux et celles qui ont le plus contribué à détruire le monde par le tsunami destructeur de leur avidité financière, protégés par l’ignorance, la fragilité ou la soumission du reste de l’humanité.

 

Mais là c’est le mois d’août. Les enfants ont envie de la mer et du soleil. Nous aussi d’ailleurs. 

Et avec mon amoureux …

 

Alors on écrit sur la carte postale, on écrit en le pensant vraiment :

 

Mer et soleil au top !

On se repose, on fait du sport, on est ensemble, que du bonheur.

Bisous de toute la famille !

 

 

 

CARTE POSTALE
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F
Carte postale emprunt de nostalgiques... je suis actuellement en vacances en Ardèche et j apprecie ce temps familiale dans une nature encore sauvage riviere bordant notre camping il est crai que la semaine derniere nous etions a carnon et que j ai ete choquée par les megots et dechets sur la plage ...désolation merci de ces ecrits sachons garder le beau le bon de ces escapades aoutiennes....bonne reprise
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M
Merci Florence, et bon ressourcement.